De Hood By Air à Lafayette Anticipations : Akeem Smith, un jeune électron libre de l’art
Passé par les labels Hood By Air et Helmut Lang, Akeem Smith s’est depuis distingué par son travail de plasticien. Le jeune artiste new-yorkais ouvre les portes de sa résidence à Lafayette Anticipations à Paris, où il dévoilera en octobre le fruit de ces mois de travail.
En collaboration avec Paris+ par Art Basel.
Akeem Smith, un artiste qui a fait ses débuts chez Hood By Air et Helmut Lang
Alors qu’il n’a qu’une trentaine d’années, Akeem Smith est déjà une figure incontournable des mondes de la mode et de l’art. Aujourd’hui un styliste reconnu, ses œuvres ont par ailleurs été exposées à l’international dans des institutions de premier plan telles que le Centre canadien d’architecture de Montréal et le Centre d’art contemporain Genève. Akeem Smith s’est également fait remarquer à Paris où, grâce à son exposition solo présentée en octobre dernier à Paris+ par Art Basel, il a été le lauréat 2022 du soutien à la production de Lafayette Anticipations. Cet été, le créateur de mode, styliste et artiste né à New York mais qui a grandi en Jamaïque bénéficie d’une résidence à Lafayette Anticipations, au cœur de Paris, ainsi que d’une bourse destinée à un nouveau corpus d’œuvres qui sera présenté au sein de l’institution à l’automne prochain.
La carrière d’Akeem Smith débute dans l’univers de la mode : il a d’abord étudié la création de costume au Columbia College Chicago, puis l’ingénierie textile au Fashion Institute of Technology (FIT) de New York. Il se fait un nom à la fin des années 2000 dans ce domaine à New York et devient une figure de la scène underground. Il a notamment travaillé pour des marques aussi réputées que Hood By Air et Helmut Lang – avant de créer son propre label, Section 8, qui a vu le jour en 2017 sous la forme d’un collectif anonyme.
Un “entrepreneur créatif” à la frontière entre mode et art
Sa pratique artistique s’appuie sur un processus continu, en mouvement. “Il n’y a pas eu de moment clé” marquant son entrée dans cet univers, précise Akeem Smith. “Je continue à développer ma pratique”, me dit-il lorsque je le rencontre dans son studio à Lafayette Anticipations. Pour Akeem Smith, l’art offre un espace d’expérimentation privilégié pour une quête de sens qui dépasse les évidences, menée dans un environnement quotidien qu’il définit comme “un bazar, au sens littéral et social du terme”.
La mode et l’art cohabitent de manière indépendante dans le travail d’Akeem Smith : “Ils ne se croisent pas”, dit-il. La temporalité des deux univers est différente : l’évolution rapide des tendances propre à la mode contraste avec la lenteur du processus de recherche sur lequel s’appuient ses œuvres. Pour autant, une certaine fluidité existe entre les deux dimensions de la pratique de celui qui se définit comme un “entrepreneur créatif” : d’une part, sa manière d’appréhender le vêtement est définitivement artistique ; d’autre part, la dimension texturale occupe une place importance dans des œuvres où le banal se mue en spectaculaire.
Sculpter pour écrire une autre histoire de la Jamaïque
Son processus artistique consiste à glaner des éléments et des objets dans son environnement pour créer de grandes œuvres et des installations combinant sculpture, photographie et vidéo. Sa première grande exposition personnelle, intitulée “No Gyal Can Test”, présentée en 2020 par Red Bull Arts New York, associait des œuvres réalisées à partir d’objets trouvés dans la maison de son enfance en Jamaïque. Du bois au fer forgé, ces matériaux de récupération forment des installations monumentales qui subliment leur état originel.
Sa pratique photographique et vidéo est basée sur un processus d’archivage qui, à l’instar de ses installations, consiste à assembler différents éléments trouvés dans les tiroirs de ses proches et de sa famille. Ces œuvres mettent en lumière le quotidien de la Jamaïque des années 1990 à nos jours, et plus particulièrement la vie nocturne de Kingston et sa culture dancehall, dont sa grand-mère était une fervente participante. Ces archives sont définies par Akeem Smith comme des “archives de l’ombre” : elles présentent un contre-récit qui s’oppose à l’histoire officielle.
Un jeune artiste en résidence à Lafayette Anticipations
Dans le cadre de sa résidence à Lafayette Anticipations, l’artiste travaille actuellement sur une nouvelle série de sculptures réalisées à partir de bois et de fer forgé, matériaux également récupérés en Jamaïque. Il explique de quelle manière l’urne, comprise dans son sens métaphorique, a été intégrée à sa pratique pour la première fois dans ce contexte : “Personne ne l’ouvre jamais, personne ne sait vraiment ce qu’il y a à l’intérieur. Cet objet n’est en fait qu’un cendrier. Et pourtant, c’est un objet de valeur. C’est ça que je veux créer.” L’urne renvoie à l’idée de l’objet trouvé, de l’image trouvée et de l’archive. Loin d’être associée à la mort et au funèbre, elle incarne pour Akeem Smith la notion même de mémoire : “Il n’y a pas de corps sans mémoire, le corps est une boîte à souvenirs”, explique-t-il. Envisagé dans sa globalité, son travail aborde la mémoire comme une entité vivante, documentant notre présent.
Bien que la plupart des éléments qu’il assemble dans son travail soient liés à sa propre famille et à son enfance, l’artiste conserve une certaine distance avec les récits qu’ils recèlent. “C’est à peine s’il s’agit de mon expérience, affirme-t-il. J’agis presque en historien. L’histoire des Noirs et des Indigènes manque de récits à la première personne, et mon travail cherche à changer cela, ajoute-t-il. On pourrait s’y reporter comme à une note de bas de page ou, peut-être, à une référence sérieuse, qui pourrait un jour avoir une forme d’utilité. C’est l’un de mes objectifs.” À partir de sa propre expérience, Akeem Smith construit un espace vital pour la mémoire collective et la culture afro-caribéenne. L’artiste retrace le processus de décolonisation d’une nation et de formation d’une identité nationale indigène, aidant ainsi à appréhender sa place dans la culture contemporaine.
Akeem Smith est représenté par Heidi (Berlin).
Le groupe Galeries Lafayette soutient le secteur Galeries Émergentes de Paris+ par Art Basel, pour lequel la Fondation récompense chaque année un·e artiste. L’artiste bénéficie de la production d’une œuvre, ainsi que de sa présentation à la Fondation pendant Paris+ par Art Basel.
Le prochain lauréat du soutien à la production du groupe Galeries Lafayette sera sélectionné par un jury international de professionnels constitué de : Ruba Katrib, directrice du pôle programmation au MoMA PS1 ; Diana Campbell Bétancourt, directrice artistique de la Samdani Art Foundation au Bangladesh et conservatrice en chef du Dhaka Art Summit ; Akeem Smith, artiste résident à Lafayette Anticipations et lauréat 2022 du soutien à la production ; Rebecca Lamarche-Vadel, directrice de Lafayette Anticipations, et Guillaume Houzé, président de Lafayette Anticipations.
Juliette Desorgues est commissaire d’exposition et auteure. Elle vit et travaille à Paris.
Traduction française : Henri Robert.
Toutes les photos et vidéos par Mathieu Richer Mamousse pour Art Basel.