Comment Ermenegildo Zegna a été le précurseur d’une mode éco-responsable
En l’espace de plus d’un siècle d’existence, Zegna a su se renouveler avec inventivité et brio, en misant sur l’éthique sociale, puis l’écologie et l’upcycling. C’est en mettant à l’honneur ce beau souci d’autrui, et de la planète, que le groupe est devenu aujourd’hui un des leaders mondiaux de l’habillement masculin.
Dans notre souvenir, il y a un quart de siècle, l’entrée dans “le temple de la laine”, sis à Trivero, près de Biella, dans le Piémont, en Italie, se caractérisait par une impressionnante architecture où colonnes et escaliers en marbre supportaient des fresques murales allégoriques racontant le chemin parcouru par les fondateurs de l’usine Lanificio Ermenegildo Zegna, construite en 1910.
Le site naturel, avec ses rivières dont l’eau était indispensable pour laver la laine, ses amandiers en fleur et son paysage vallonné de forêts de pins, était splendide. Anna Zegna, petite-fille d’Ermenegildo Zegna, n’était pas encore la présidente de la Fondation homonyme et de l’Oasi Zegna dont la vocation sera, dans les années 90, de préserver l’environnement, mais elle racontait déjà combien son grand-père en était soucieux. “Il voulait fabriquer les plus beaux tissus au monde. Pour cela, il était conscient que l’achat des matières premières devait répondre à une qualité optimale. Il savait aussi qu’il devait améliorer toutes les étapes de la production, de la filature au tissage jusqu’au finissage. Dès le départ, il fit en sorte que son activité soit intégrée dans le milieu où elle était implantée.”
En fabriquant des tissus haut de gamme pour l’habillement masculin, Ermenegildo Zegna arrive sur un marché dominé alors par les Anglais. L’Italien leur dame le pion en proposant à la vente des coupons de trois mètres alors que les Britanniques ne vendaient les leurs qu’en rouleau de soixante… Dans les années 30, ce fils d’horloger exporte ses étoffes dans quarante pays dont les États-Unis où, à New York, il s’attache les faveurs des tailleurs de la ville qui sont, pour la plupart, d’origine italienne. En outre, contrairement à l’usage, il signe ses textiles de son nom pour que ses clients se souviennent de lui.
En Italie, le tisserand pressent, avec plusieurs décennies d’avance, la nécessité de protéger la nature environnante. À cette période, Ermenegildo Zegna finance le reboisement des collines entourant sa filature de laine en plantant un demi-million de conifères et de rhododendrons, et crée une réserve naturelle de cent kilomètres carrés, la fameuse Oasi Zegna.
Cette “philosophie verte” se double d’une conscience sociale puisque le Piémontais fait construire, dans le même temps, un hôpital, une école, une rue, un cinéma – et même une piscine dernier cri ! – pour améliorer la vie de ses concitoyens. Sa devise, frappée au coin du bon sens mais, hélas, rarement suivie d’effets dans l’industrie de la confection, pourrait se résumer ainsi : on ne peut pas fabriquer de beaux produits dans un environnement moche.
Près d’un siècle plus tard, les descendants d’Ermenegildo ont retenu la leçon en continuant d’appliquer les principes de leur grand-père. Travailler le meilleur en ne sélectionnant que des fibres nobles et naturelles choisies directement sur place – la laine mérinos en Australie, le cachemire en Mongolie, la soie en Chine. Miser sur les technologies les plus pointues pour élaborer les lainages les plus fins, les plus légers et les plus “respirants” possible, histoire d’aider les hommes d’affaires contemporains à jouer à saute-mouton sur les fuseaux horaires sans voir leur costume en super 100 se friper comme un vilain sharpeï. Avec ses étoffes estampillées High Performance, Techmerino ou encore Wash & Go, ce dernier permettant aux clients masculins de passer en machine leur uniforme quotidien, Zegna est parvenu à tisser un empire qui a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 1,3 milliard d’euros, en progression par rapport à 2018. La marque compte près de 500 boutiques et est présente dans 80 pays. Si elle fabrique toujours des tissus d’exception, elle est devenue l’un des leaders du prêt-à-porter pour hommes depuis qu’elle a lancé ses premières collections dans les années 60 sous le label Ermenegildo Zegna. L’affaire familiale s’est étoffée au fil des rachats qu’elle a effectués depuis dix ans. En 2009, elle a acquis Tessitura di Novara, une entreprise spécialisée dans le tissage de la soie, puis, en 2016, Bonotto, un fabricant de textiles, et en 2019, Dondi, un important producteur de tricots. De quoi quadriller quasiment tous les segments de l’habillement masculin haut de gamme.
En 2020, Zegna a choisi de célébrer ses 110 ans en “renforçant son engagement en faveur de la planète”. Il passe par la mise en place de l’opération #UseTheExisting. Son objectif ? Repenser la chaîne d’approvisionnement et utiliser des matériaux préexistants et/ou recyclés pour leur donner une nouvelle vie. Quand on sait que lors de la fabrication d’un vêtement, plus de 30 % des matières premières sont jetées, on imagine l’ampleur de la tâche pour parvenir au Graal mondial du “zéro déchet”. “Dans la collection automne-hiver 2020, nous avons intégré davantage d’éléments de #UseTheExisting. À partir de cette saison, il y en aura dans toutes nos lignes de prêt-à-porter. Ce n’est pas qu’un simple projet, c’est un état d’esprit”, observe Alessandro Sartori, directeur artistique de la griffe. “Notre volonté profonde est de repenser le système de la mode afin de réduire notre empreinte écologique. Chez Zegna, nous essayons de réutiliser les ressources afin de ne gaspiller aucun matériau lors des différentes étapes de production. C’est une mission et une vision dans lesquelles nous investissons beaucoup. C’est le moteur de nos dernières créations et de celles de demain.” Le luxe écologique aurait-il trouvé son homme ? Il semblerait que oui.