30
30
Dans les coulisses de la collaboration H&M Glenn Martens
De Margiela à Diesel en passant par Y/Project, le designer belge Glenn Martens a prouvé qu’il savait faire bouger les lignes. En s’associant avec H&M, il s’attaque à un nouveau terrain de jeu : celui du vêtement accessible. Le résultat ? Une collection audacieuse, entre expérimentation textile et réinvention des basiques. À l’occasion de cette rencontre créative qui fait (enfin) son arrivée en boutique ce jeudi 30 octobre 2025, Numéro revient sur une rencontre menée dans l’intimitité du showroom parisien de la marque, avec Glenn Martens et Ann-Sofie Johansson, directrice de la création d’H&M, qui nous livrent les secrets de cette collaboration exclusive…
propos receuillis par Nathan Merchadier.


H&M Glenn Martens : une collaboration audacieuse et accessible
Le 4 octobre dernier, Glenn Martens fait vibrer le Centquatre, à Paris. À peine quelques mois après avoir dévoilé sa première collection couture pour Margiela, le designer belge, nommé directeur artistique de la maison en janvier 2025, s’attaque cette fois-ci au prêt-à-porter, avec la même audace. Un exercice d’équilibriste au cours duquel il réinterprète les codes du vestiaire Margiela entre références à l’histoire de la maison et réappropriation de ses codes.
Quelques jours plus tôt, c’est à Milan qu’il semait la pagaille en organisant une chasse aux œufs géante pour le défilé Diesel printemps-été 2026, label qu’il pilote depuis 2020. C’est dans cette même veine, à la fois impertinente et démocratique, qu’il s’associe à H&M. Au travers d’une collaboration pensée avec ce leitmotiv : dévergonder le quotidien, mais avec style. En explorant les archives de la marque suédoise, Glenn Martens s’attaque à ses basiques les plus universels (t-shirts, chemises à carreaux, bombers, jeans) pour mieux les “glennifier”.


Une collection hybride et joyeusement transformable
Vêtements en trompe-l’œil, sacs et bottes XXL, fils métalliques et matières à effet foil transforment ces classiques en objets mouvants, capables de se sculpter et de se réinventer au gré de l’humeur de leur propriétaire. Le résultat ? Une collection hybride et joyeusement transformable… L’humour, fil rouge du créateur, infuse jusque dans la campagne imaginée pour l’occasion. En résulte un portrait de famille improbable réunissant deux légendes du cinéma britannique, Joanna Lumley et Richard E. Grant, dans une composition colorée, peuplée d’animaux et de détails loufoques.
Quelques années après avoir collaboré avec Rabanne, Mugler ou encore Magda Butrym, H&M signe ici un retour à ses grandes heures de dialogue avec les designers. Et cette fois, c’est avec un trublion de la mode qu’Ann-Sofie Johansson, directrice de la création d’H&M depuis 2008, a orchestré cette rencontre. Ensemble, ils livrent une collection tout sauf banale. Un exercice de style à la fois conceptuel et profondément démocratique, disponible dès ce jeudi 30 octobre dans une sélection de magasins et sur hm.com. Rencontre.

L’interview de Glenn Martens et Ann-Sofie Johansson
Numéro : Lors de votre première rencontre, quel a été le point de départ de la conversation ? Qu’est-ce qui vous a immédiatement donné envie de collaborer, et qu’est-ce que vous vouliez éviter ?
Ann-Sofie Johansson : Nous voulions simplement un peu de Glenn, de son énergie, de sa vision. Il nous intriguait énormément, car on trouvait son univers créatif à la fois audacieux et rafraîchissant. Nous l’avons contacté il y a presque deux ans, avec une approche très simple. Car nous aimons que les collaborations gardent une part de spontanéité. Mais cette fois, nous voulions aussi apporter une touche plus personnelle. Une direction claire en invitant Glenn Martens à revisiter certaines de nos pièces iconiques. Nous lui avons donc soumis une liste de nos best-sellers (le t-shirt, le sweat à capuche, le jean, le trench). Et nous lui avons proposé de les “glennifier”. C’était un point de départ assez ludique et instinctif, qui a tout de suite éveillé notre curiosité des deux côtés.
Glenn Martens : D’habitude, H&M collabore avec des marques, pas avec des créateurs indépendants. Et à l’époque, j’étais encore à la tête de Y/Project, donc il n’était pas question de mélanger les deux univers ou de risquer de brouiller l’identité de la marque. Mais le concept de retravailler des basiques m’a séduit. C’était une sorte d’exercice créatif : comment réinventer des pièces universelles, repenser leur construction, leur attitude ? J’ai commencé à imaginer une histoire autour de ça. Et puis, alors que Y/Project s’apprêtait à fermer, je me suis dit que cette collection pouvait être une forme d’hommage. Une manière de célébrer tout ce que j’avais construit en rendant ces créations accessibles à un public plus large. Grâce à H&M, on a pu conserver l’esprit des pièces, leur sophistication technique, tout en les rendant abordables. C’était une belle manière de clore un chapitre tout en en ouvrant un nouveau.
Comment avez-vous relevé le défi de créer des pièces accessibles au large public d’H&M tout en restant fidèle à votre ADN créatif ?
Glenn : Je pense que l’une des raisons pour lesquelles H&M collabore avec des designers, c’est de ne pas s’adresser au grand public. Pour être franc, cela ne contribue pas à leur chiffre d’affaires. Ils plaisent à tous, de 6 à 80 ans, quel que soit leur milieu d’origine. Il y a bien sûr toute une famille de personnes dans le monde qui aiment la mode mais qui n’y ont pas accès car c’est extrêmement exclusif. Je pense que c’est pour ça qu’ils existent. Que des gens comme moi, Stella McCartney et d’autres, acceptent ou refusent ces collaborations, car nous trouvons cette créativité fantastique et nous adorons la pratiquer. Et je trouve aussi cela très triste que parfois, je ne puisse pas satisfaire ces étudiants en mode extraordinaires qui en rêvent et n’y ont jamais accès. Grâce à H&M, nous pouvons y parvenir.


“Collaborer avec H&M m’a rappelé qu’une idée, aussi audacieuse soit-elle, ne vaut que si elle peut trouver sa place dans la vie des gens.” Glenn Martens
Ann-Sofie, qu’est-ce qui vous a le plus marquée ou surprise dans votre collaboration avec Glenn sur cette collection ?
Ann-Sofie Johansson : Glenn est quelqu’un d’entièrement dévoué à ce qu’il fait. Rien n’était fait à moitié. Il s’est vraiment immergé dans l’univers d’H&M, tout en apportant sa vision, son exigence et son savoir-faire. Nous avons aussi beaucoup appris techniquement, notamment sur certains procédés de fabrication qu’il maîtrisait déjà. Comme le travail du foil ou certaines constructions de maille. C’est toujours passionnant d’entrer dans le détail de sa manière de concevoir un vêtement.
Glenn Martens : (Il rit.) C’est vrai que le début a été un peu frustrant. Pendant presque un an, je n’avais pas le droit d’en parler à qui que ce soit ! Tout était sous embargo, ultra confidentiel. J’étais ravi de collaborer avec H&M, une marque mondiale, démocratique, avec une portée incroyable, mais c’était difficile de garder le secret. Quand le projet a enfin été annoncé, j’ai ressenti un vrai soulagement, presque une libération.
Glenn, travailler avec H&M vous a-t-il appris quelque chose de nouveau sur votre processus créatif ?
Glenn Martens : Ce projet m’a surtout rappelé l’importance de l’équilibre. Il fallait que la collection puisse parler à tous, sans perdre son caractère. C’est un exercice passionnant : réussir à rendre accessible quelque chose de conceptuel, tout en restant fidèle à son ADN. Ce qui m’a aussi frappé, c’est la rigueur d’H&M. Il règne une vraie sérénité, ce qui est assez rare pour une entreprise de cette taille. Pour le reste, j’ai eu la chance de travailler dans des univers très différents, de Hugo Boss à Jean Paul Gaultier, en passant par Y/Project et Diesel, donc je connais déjà pas mal de façons de faire. Mais collaborer avec H&M m’a rappelé qu’une idée, aussi audacieuse soit-elle, ne vaut que si elle peut trouver sa place dans la vie des gens. C’est une forme de pragmatisme créatif, et j’aime beaucoup ça.


“La plupart des collaborations, aujourd’hui, ne sont que du bruit. Du marketing. Un moyen de créer un buzz sur Instagram, d’attirer du monde en boutique, puis de passer à autre chose.” Glenn Martens
Votre récente nomination chez Maison Margiela a-t-elle influencé cette collaboration d’une manière ou d’une autre ?
Glenn Martens : Pas vraiment, non. En réalité, peu de gens savent que la collection H&M x Glenn Martens avait déjà été imaginée et validée bien avant mon arrivée chez Margiela. Produire une collection à cette échelle prend énormément de temps, donc tout était bouclé avant même que je commence à discuter avec la maison. Ce qui est également intéressant, c’est que j’ai appris, depuis, que la première collaboration Margiela x H&M (sortie en 2012) continue d’avoir une vie incroyable sur le marché de la seconde main. Et je trouve ça génial, leurs pièces étaient magnifiques, et c’est aussi vrai pour beaucoup de collaborations H&M.
Les collaborations sont devenues un moyen d’expression à part entière dans le milieu de la mode. Qu’avez-vous souhaité exprimer ou partager à travers ce projet ?
Ann-Sofie Johansson : Je pense que l’industrie devrait encourager ce type d’échanges plus souvent. Une collaboration, quand elle est sincère, c’est un espace d’apprentissage et de partage. C’est ce que cette collection représente pour moi : une conversation entre deux univers, menée avec curiosité et respect.
Glenn Martens : Oui, mais il faut aussi être lucide : la plupart des collaborations, aujourd’hui, ne sont que du bruit. Du marketing. Un moyen de créer un buzz sur Instagram, d’attirer du monde en boutique, puis de passer à autre chose. Et ça, c’est dangereux. Parce qu’à la fin, c’est juste un produit de plus, qui contribue à la pollution de l’industrie. C’est du gaspillage d’énergie, au sens propre comme au figuré. Ce que j’aime ici, c’est que ce projet avec H&M a du sens. Il repose sur une vraie réflexion autour de la durabilité, de la qualité, du design.
La collection H&M Glenn Martens, disponible en édition limitée dans une séléction de pop-up stores et sur h&m.com.