All about the exhibition of the month: Christian Dior, couturier du rêve
Jusqu’au 7 janvier 2018, le musée des Arts décoratifs célèbre le 70e anniversaire de la maison Dior avec une rétrospective exceptionnelle. Plus de 300 robes, des centaines de documents, mais aussi des tableaux et des œuvres explorant la passion de Christian Dior pour les arts, construisent un portrait en profondeur de l’institution du 30, avenue Montaigne. Numéro a rencontré les deux curateurs de l’exposition, Olivier Gabet, directeur du musée des Arts décoratifs, et Florence Müller, historienne de la mode.
Par Delphine Roche.
Par Delphine Roche.
Numéro : Quel est le projet global de cette exposition ?
Olivier Gabet : De la même façon que les grands peintres se voient consacrer tous les trente ans une grande exposition, il me semble évident qu’un couturier aussi influent que Christian Dior soit lui aussi régulièrement célébré par une rétrospective dans un musée parisien. La dernière exposition datait de 1987, également à l’occasion d’un anniversaire de la maison. Cette fois, il m’a paru naturel d’imaginer avec Florence Müller une rétrospective exhaustive. Car la mode avance plus vite que jamais, et les jeunes générations ne connaissent pas forcément l’histoire de Dior. Les aficionados, eux aussi, peuvent découvrir ici des éléments qu’ils ne connaissent pas, car l’exposition couvre une très large période : les dix années passées par Christian Dior lui-même à la tête de sa maison, et les soixante années suivantes.
Florence Müller : La précédente rétrospective, également au musée des Arts décoratifs, ne couvrait que les dix premières années. Ce n’est pas la première fois qu’une exposition évoque les directeurs artistiques qui ont suivi Christian Dior, mais c’est la première fois qu’un espace est consacré à chacun d’entre eux. Notre originalité est d’avoir un parcours à la fois thématique et chronologique. Nous avons voulu montrer comment cette maison s’est incarnée au fil des décennies, et comment elle a répondu à l’air du temps de différentes manières, notamment à travers des choix de directeurs artistiques très emblématiques de chaque époque.
Comment mettez-vous en perspective l’apport de la maison Dior à l’histoire de la mode ?
O. G. : Nous avons voulu concevoir une exposition populaire dans le bon sens du terme, pour que le plus de visiteurs possible puissent comprendre pourquoi une maison comme Dior est aussi importante. Si le tailleur Bar peut paraître très classique à un néophyte, le fait de le resituer dans son époque montre la force iconique et l’inspiration d’un modèle qui cristallise un moment de recherche dans le monde de la mode.
F. M. : Nous montrons sa résonance dans le monde des années 40-50. Son impact durable se mesure au nombre de créateurs qui s’y sont référés au fil du temps, ce qui prouve qu’il appartient à l’histoire de la haute couture. Nous avons proposé à de nombreux designers d’exposer leurs modèles inspirés du tailleur Bar, et les réponses ont été enthousiastes. Des Balenciaga, Lanvin et Balmain qui lui ont fait écho à son époque, jusqu’à des modèles contemporains de Dries Van Noten, Thom Browne ou Comme des Garçons, pas moins de vingt-cinq maisons ou créateurs sont représentés.
Ce qui était novateur à l’époque, c’était de proposer une forme de sculpture du vêtement ?
F. M. : Absolument, c’est une des idées maîtresses de Christian Dior : partir du corps féminin et embellir cette architecture naturelle par la coupe et le choix des matières.
O. G. : La silhouette du new-look entre en résonance avec des créations issues d’autres disciplines. La modernité des lignes de Christian Dior rappelle celle du mobilier de Jean Prouvé, par exemple. Elles participent pleinement à un moment esthétique.
Christian Dior n’a passé qu’une dizaine d’années à la tête de l’entreprise qu’il a fondée. Comment, en si peu de temps, a-t-il pu poser les bases d’une maison qui lui a survécu ?
F. M. : Il a réussi cet exploit parce qu’il croyait à la notion d’art total. Dès ses débuts, il conçoit sa maison de couture de façon globale. Du décor des salons aux packagings, du vêtement au maquillage, en passant par les accessoires. C’est le seul couturier qui ait conçu un parfum dès le lancement de sa maison. Un chantier colossal, pour lequel il s’est appuyé sur son ami Serge Heftler-Louiche, ex-président de Coty.
O. G. : Dior est l’incarnation parfaite du couturier qui dépasse les frontières de son domaine. Il aime les opéras italiens et français, ce qui n’est pas anodin dans sa conception d’un art total. En cela, il est l’enfant du xixe siècle. Il est fasciné par l’Art nouveau, une des dernières tentatives en Europe de créer, justement, un art total fusionnant l’urbanisme, l’architecture, le textile, le mobilier…
F. M. : Très vite, il lance également une ligne de lingerie, ce qui est très important quand on veut reconstruire la silhouette féminine. Il propose aussi des souliers, des bijoux, en s’associant à chaque fois aux meilleurs fabricants d’Europe. C’est la première fois que l’on assiste à la construction d’un réseau de licences mondial lancé depuis Paris.
Son intuition le pousse également très tôt à soigner son image, notamment en habillant les stars de Hollywood.
F. M. : Tout à fait. Très vite, il met sur pied une équipe de presse qui gère son image. Lorsque sa ligne H fait un tollé, car on pense qu’elle risque d’aplatir la silhouette des stars hollywoodiennes, Christian Dior convoque la presse et profite d’un passage de Jane Russell dans les salons de Dior pour faire la démonstration du contraire.
On le perçoit souvent comme une personnalité plutôt bourgeoise, ce qui semble en contradiction avec la galerie d’art qu’il tenait avant d’ouvrir sa maison de couture.
F. M. : En effet, à l’époque, diriger une galerie d’art n’était pas considéré comme un métier très digne pour une famille bourgeoise. C’était une activité marchande comme une autre. Le père de Christian Dior lui a prêté de l’argent pour sa galerie à condition qu’il ne la baptise pas du nom de Dior. Plus tard, Christian Dior soutiendra les avant-gardes honnies par la bourgeoisie. Ainsi, lorsque Dalí devient célèbre à la sortie d’Un chien andalou, qui crée un énorme scandale, il signe un contrat pour plusieurs expositions dans la galerie de Christian Dior. Dans ses Mémoires, le couturier raconte ses disputes avec son père, lors desquelles il le traitait souvent de “sale bourgeois”.
O. G. : De fait, son éducation bourgeoise le crédibilisait auprès des collectionneurs, car, à l’époque, certains galeristes étaient réputés peu fréquentables.
F. M. : Le vicomte de Noailles était un visiteur assidu de sa galerie. Il lui achetait des œuvres d’artistes encore inconnus, notamment une de Giacometti, qu’il a installée dans sa villa à Hyères.
O. G. : Christian Dior était passionné par la vie culturelle de son époque. Il n’a probablement jamais raté une première ni une grande exposition à Paris dans ces années-là.
Christian Dior était aussi un grand amateur de musées.
O. G. : Oui, c’était un fanatique de musées, et il connaissait bien celui des Arts décoratifs. Il avait même prêté des pièces pour une exposition de 1955 sur les ébénistes parisiens du x viii e siècle, ce qui témoigne de sa curiosité et aussi de son statut de collectionneur. Dans cette même exposition, il était aussi invité à présenter une collection de haute couture.
F. M. : Nous sommes ravis de montrer au public les images de cet événement, qui dénote son statut à part dans une époque où la mode au musée était inexistante.
De quels fonds proviennent les robes que vous rassemblez dans l’exposition ?
F. M. : Les sources sont multiples : le MET, le V&A, le palais Galliera, le musée Dior à Granville, le musée des Arts décoratifs auquel Christian Dior avait fait une donation, et la maison Dior, qui est aujourd’hui à la tête de la plus grande collection au monde.
O. G. : La maison Dior a réalisé un travail patrimonial considérable depuis l’année 1987, qui coïncide avec l’exposition au musée des Arts décoratifs et l’acquisition de la maison par Bernard Arnault. Aujourd’hui, les maisons de mode sont devenues des centres patrimoniaux très puissants avec une vraie logique de conservation, une vraie logique muséale. Cette exposition montre aussi que les maisons de couture sont désormais des acteurs culturels.
NUMÉRO: What’s the overall aim of this exhibition?
Olivier Gabet: In the same way that great painters get a show every 30 years or so, it seemed to me that a couturier as influential as Christian Dior should be celebrated just as regularly through a retrospective in a Parisian institution. The last one was in 1987, and also marked an anniversary for the fashion house. This time, it seemed natural to Florence and me to organize an exhaustive retrospective, because fashion is moving faster than ever, and young generations don’t necessarily know about the history of Dior. Aficionados might discover things they didn’t know too, because the exhibition covers a ver y long timeframe: the ten years of Christian Dior’s directorship, as well as the 60 years that followed.
Florence Müller: The last retrospective, which was also held at the Musée des Arts décoratifs, only covered the first ten years. This isn’t the first exhibition to showcase the artistic directors who followed in Dior’s footsteps, but it’s the first time that space has been given to each and every one of them. The originality of this show is that it’s organized both thematically and chronologically. We wanted to show how this fashion house has been embodied over the decades, and how it reacted to the Zeitgeist in different ways, particularly through the choice of artistic directors who were very emblematic of each period in time.
How did you put into perspective the brand’s contribution to the history of fashion?
O.G.: We wanted it to be a popular exhibition in the positive sense of the term, so that as many visitors as possible would understand why a brand like Dior is so important. While the Bar jacket might seem very classic to a novice, the fact of showing it in its original context brings out all the iconic strength and inspiration of a model that crystallized a period of searching in the world of fashion.
F.M.: We show its resonance in the world of the 1940s and 50s. Its lasting impact is attested to by the number of designers who have been inspired by Dior over the years, which proves that the brand belongs to the history of haute couture. We asked a number of designers to show models inspired by the Bar jacket, and we had some very enthusiastic responses. From the Balenciagas, Lanvins and Balmains who echoed him in his era, to contemporary models by Dries Van Noten, Thom Browne or Comme des Garçons, there are no less than 25 fashion houses or couturiers who are represented.
It was this ide a of sculpting clothes that was new at the time?
F.M.: Absolutely, it was one of Dior’s key ideas: starting from the female body and embellishing its natural architecture through the cut and choice of fabrics.
O.G.: The silhouette of the New Look has a certain resonance with creations in other disciplines. The modernity of line in Dior’s clothing recalls Jean Prouvé’s furniture, for example. It was part of a whole aesthetic moment.
How, in just ten years , did Christian Dior manage to construct a brand that would survive him?
F.M.: He managed such a feat because he believed in the idea of a total art. Right from the start, he designed his couture house from a global perspective, from the décor of the salons to the packaging, from the clothes to the make-up and other accessories. He’s the only couturier who launched a perfume right at the start when he founded his brand. It was a colossal enterprise, and he turned to his friend Serge HeftlerLouiche, ex-director of Coty, to help him out.
O.G.: Dior was the perfect incarnation of a couturier who went beyond the usual boundaries of his profession. He loved French and Italian opera, which isn’t without significance in his manner of imagining a total art. In that respect he’s a child of the 19th century. He was fascinated by Art Nouveau, which was one of the last attempts in Europe to create a total art merging urbanism, architecture, textiles and furniture.
F.M.: Very early on he also launched a line of lingerie, which is very important if you’re seeking to reshape the female silhouette. He also designed shoes and jewellery, which he had made by the best firms in Europe. It was the first time that anyone constructed a worldwide network of licensing based out of Paris.
His intuition also led him very early on to think about his image, particularly with respect to dressing Hollywood stars.
F.M.: Absolutely. He soon put together a press team who managed his image. When his H line caused a scandal, because it was thought it might flatten the curves of Hollywood stars, Dior called a press conference and made use of Jane Russell’s presence in Paris to demonstrate exactly the contrary
He’s often perceived as being rather bourgeois, which somehow doesn’t sit with the art galleries he ran before founding his fashion brand.
O.G.: Dior was passionate about the cultural life of his times. There’s probably not a première or a major exhibition that he didn’t see in Paris William Klein back then.
F.M.: The Vicomte de Noailles came regularly to his gallery. He bought works from him by artists who were still unknown at the time, particularly a Giacometti which he placed in his villa in Hyères.
O.G.: In fact his bourgeois airs made him credible in the eyes of collectors, because at the time a lot of gallerists had a reputation for being a little dodgy.
F.M.: At the time, running an art gallery was considered rather infra dig for a bourgeois family, a mercantile activity like any other. Dior’s father lent him money on the proviso that he didn’t call the gallery “Dior.” Later in his career Dior supported avantgarde artists who were reviled by the bourgeoisie. When Dalí became famous after making the hugely scandalous Un chien andalou with Luis Buñuel, he signed a contract for several exhibitions in Dior’s gallery. In his memoirs, Dior recalls arguments with his father which would often end up with him calling him a “damn bourgeois.”
Christian Dior was also a big fan of museums.
O.G.: Yes, he was fanatical about them, and he knew the Musée des Arts décoratifs very well. He even lent us some pieces for a 1955 show about 18th-century Parisian cabinetmakers, which says something about his curiosity and his status as a collector. During the same exhibition, he was also invited to show a couture collection.
F.M.: We’re thrilled to be able to show the public images of that event, which demonstrate how much of a maverick he was at a time when fashion was nowhere to be seen in museums.
Which were the collections that lent you dresses for the show?
F.M.: There were many sources – the Met, the V&A, the Palais Galliéra, the Dior Museum in Granville, the Musée des Arts décoratifs to which Christian Dior made a donation, and the fashion house itself, which today owns the biggest collection in the world.
How do they manage their enormous holdings?
O.G.: The company has made a huge effort with its heritage since 1987, the year of the last big show, and which is also when it was bought up by Bernard Arnault. Today fashion houses have become very powerful centres for their own heritage, with proper conservation and exhibition programmes. This show demonstrates that fashion houses have now become major cultural players in their own right.
Christian Dior, couturier du rêve, Musée des Arts décoratifs, Paris, until 7 January 2018.