Comment l’artiste féministe Judy Chicago transforme le sac Lady Dior?
Icône intemporelle, le sac Lady Dior se réinvente chaque année à travers d’audacieuses collaborations artistiques. Pour cette nouvelle édition, la prestigieuse maison française a fait appel, entre autres, à la célèbre artiste féministe Judy Chicago.
Interview par Thibaut Wychowanok.
Photo par Gabriel Boyer.
NUMÉRO : Depuis la fin des années 60, votre pratique artistique se nourrit d’une réflexion sur le féminisme et la place des femmes dans l’histoire, l’histoire de l’art et la société. Comment avez-vous pris conscience si jeune de ces enjeux ?
JUDY CHICAGO : Mon père était un militant syndical et politique très engagé, qui fut d’ailleurs arrêté. Cela a façonné mon identité d’artiste. J’ai commencé à dessiner à 3 ans, et à suivre des cours en école d’art à 5. J’ai toujours voulu être artiste, et contribuer à un monde meilleur.
Quelles artistes aviez-vous comme modèles à l’époque ?
Après les cours, je fréquentais les musées, mais j’étais bien trop jeune pour remarquer que tous les artistes exposés étaient des hommes ! J’avais été élevée par des parents qui croyaient à l’égalité entre les hommes et les femmes : je n’imaginais pas alors à quel point c’était rare au sein de ma génération ! Lorsque j’ai subi des discriminations sexistes à l’université, j’ai donc pu les identifier pour ce qu’elles étaient : des discriminations de genre. Même s’il n’existait pas encore de mots pour les qualifier dans les années 50 et 60, et que vous ne pouviez même pas en parler. On disait aux femmes qu’elles ne seraient jamais de grandes artistes, qu’elles n’en avaient pas le droit, et elles abandonnaient. À l’époque, je n’avais donc pas de modèle. Alors je me suis tournée vers l’histoire, à la recherche de femmes qui avaient subi ce que j’avais subi. Cela a changé ma vie.
Votre œuvre iconique, The Dinner Party (1974), rassemble 39 tables dressées pour le repas, chacune représentant une grande figure féminine, de la déesse Serpent à Virginia Woolf. Pour réinterpréter le sac Lady Dior, vous vous êtes inspirée de vos peintures abstraites de la même décennie, ayant pour sujets la maternité et la sexualité féminine…
À l’époque, je cherchais à combiner mon approche minimale avec mes questionnements sur les femmes dans l’histoire, leur sexualité et leur pouvoir. Les larges peintures qui en sont issues portent chacune le nom d’une grande figure historique féminine. Lorsque Dior m’a proposé d’interpréter le Lady Dior, j’y ai vu une magnifique opportunité de poursuivre ce qui m’anime en tant qu’artiste, c’est-à-dire éduquer les gens. Quand une cliente se baladera avec le sac à la main sur Madison Avenue, j’espère que des gens lui poseront des questions, et qu’en leur répondant : “C’est un sac réalisé à partir d’une peinture de la reine Victoria”, elle piquera leur curiosité. Peut-être qu’alors davantage de gens sauront ce que la reine Victoria a fait pour les femmes. La mode peut-elle être un vecteur d’éducation, d’inspiration ? Bien sûr ! C’est ce que fait Maria Grazia Chiuri à la tête de Dior.
Votre collaboration avec Dior a commencé par le décor du défilé haute couture printemps-été 2020. Pourquoi avoir accepté l’invitation de Maria Grazia Chiuri ?
Je me suis juste demandé si l’art avait sa place dans la mode, au-delà du simple aspect décoratif, et pouvait lui apporter une réelle contribution. J’ai alors décidé de relever le défi. Et avec cette structure en forme de déesse et les 21 bannières disposées à l’intérieur, je crois que nous avons réellement produit de l’art. Mes bannières seront d’ailleurs exposées le mois prochain à la galerie de Jeffrey Deitch à New York. Puis au National Museum of Women in the Arts de Washington
Sur ces bannières étaient inscrites différentes questions comme : “Would there be equal parenting?” (Y aura-t-il un partage égal du rôle parental ?) ou “What if women ruled the world?” (Et si les femmes dirigeaient le monde ?). Quel regard portez-vous sur notre époque et ses enjeux ?
Un ami me disait récemment que chaque matin il lisait les titres du New York Times et que, si le monde ne s’était pas encore écroulé, il prenait simplement son café. Dans le contexte actuel, il est facile de sombrer dans la dépression, mais je préfère suivre la mission que nous assigne la tradition juive : garder espoir. Il est important de se rappeler que le monde tel qu’il est est une création humaine et que les êtres humains peuvent toujours le changer.
Découvrez le sac Lady Dior Art par Judy Chicago sur Dior.com