10 mai 2024

Paris 2024 : dans les coulisses des Jeux Olympiques (épisode 3/10)

Outre leur aspect sportif, les Jeux Olympiques 2024 mettent également en avant un volet social et inclusif, et un autre écologique, qui nécessitent la coopération étroite de multiples acteurs de secteurs divers. À l’approche des JO, Numéro revient ici sur la préparation de cet événement en dix épisodes, au fil d’une chronique racontée à la première personne, articulant les interventions de personnalités majeures. Au programme de ce troisième volet : Paris choisie comme ville hôte…

Propos recueillis par Olivier Joyard.

Mi-2015, la candidature de Paris 2024 est actée, mais le chemin reste long pour envisager une victoire deux ans plus tard, lors de l’attribution prévue en 2017. Boston, Rome, Los Angeles et Hambourg constituent une forte concurrence. Les athlètes entrent en scène et les leçons du passé doivent être comprises…

 

Après la candidature, l’union sacrée 

 

Tony Estanguet : Entre l’annonce de la candidature et l’attribution deux ans plus tard, on vit une aventure extraordinaire. Notre seule cible, c’était la centaine de votants membres du CIO.

 

Pierre Rabadan : Même si je ne l’ai pas vécu directement, car j’étais joueur de rugby à l’époque, j’ai beaucoup entendu parler de l’échec de Paris 2012. C’était encore assez prégnant malgré l’annonce de la candidature. Anne Hidalgo avait été première adjointe de Bertrand Delanoë, celui à qui on avait reproché la défaite : elle ne voulait pas que ça se reproduise. L’un des axes majeurs était de lancer une véritable campagne, comme en politique.

 

Teddy Riner, double champion olympique de judo (2012, 2016), médaillé de bronze (2008, 2021) et champion olympique par équipes (2021) : Quand l’idée de Paris 2024 a germé, ils sont venus me chercher. Une commission des athlètes a été mise en place dont ils m’ont proposé d’être le coprésident avec Marie-Amélie Le Fur [triple championne paralympique d’athlétisme]. J’ai dit oui direct, avec grand plaisir. Ils ont mis les athlètes en avant car ils ont appris de leurs erreurs. Qui mieux que les athlètes pouvait parler des Jeux Olympiques et de la candidature de Paris ? Qui mieux que les athlètes pouvait aller chercher la candidature comme on glane un trophée ? Ce ne sont pas les hommes politiques qui peuvent parler de sport, ce sont les sportifs eux-mêmes.

 

Tony Estanguet : Remettre les athlètes au centre, c’était l’une des deux directions qu’on a rectifiées par rapport à Paris 2012, l’autre étant notre effort de diplomatie. On devait faire comprendre à tous et à toutes que nous étions en compétition et qu’on ne se lançait pas pour participer une sixième fois d’affilée [entre 1986 et 2017, cinq candidatures françaises aux JO d’été ont été recalées]. J’ai retrouvé l’adrénaline de la compétition : pour réussir, il faut être ambitieux, rigoureux, tous les détails sont importants. Après avoir passé vingt ans à créer une bulle autour de moi, j’ai adoré les rencontres que cela impliquait : médias, membres du mouvement sportif, acteurs économiques, politiques…

 

Teddy Riner : En tant que coprésident de la commission des athlètes, j’étais souvent à des réunions pour réfléchir à la façon de monter le dossier, à comment trouver des idées pour motiver les partenaires, tous ceux qui sont autour de la table, afin que le projet puisse prendre forme et surtout avoir lieu. Ce n’était pas facile, on est parti d’une page blanche. Et moi, pour être franc, jamais, au grand jamais, je ne pensais être présent aux Jeux de 2024. Je le faisais vraiment pour la relève, les générations futures. [Rires.] Je le faisais avec tout mon cœur et toutes mes tripes.

 

Pour éviter une nouvelle bérézina, le dossier de candidature de Paris 2024 fait l’objet d’une préparation digne d’une compétition sportive, au prix d’une remise en question collective.

 

Étienne Thobois : À la question toute bête “Pourquoi voulez-vous accueillir les Jeux ?”, nous avions fourni des réponses formatées, pensant que si nous avions le plus beau dossier, les gens nous choisiraient… Cette fois, nous avons expliqué pourquoi nous voulions organiser les Jeux en tant que territoire. Quand on est président de la Fédération internationale de badminton, savoir à qui on confie son bébé, c’est important.

 

Tony Estanguet : C’était un travail de fourmi. Il fallait se mettre à la place des autres, écouter… des choses somme toute logiques, mais qui n’avaient pas toujours été faites.

 

Étienne Thobois : Je ne parle pas de revanche, mais cela a été un long apprentissage. Le projet qui, au départ, était surtout centré sur les infrastructures – comme tous les projets d’ailleurs depuis une trentaine d’années –, est devenu un projet de société, avec un héritage intangible autant que tangible.

 

Tony Estanguet : Concrètement, on rencontre les fédérations internationales, les membres du CIO. On doit embarquer 200 pays. Si je peux donner une image, l’idée était de gagner chaque étape pour, le jour de l’attribution, empocher la partie en trois sets. J’ai dû apprendre à m’exprimer en public, prendre des cours, car ce n’était pas mon univers et je devais interpréter mes discours pour convaincre. L’enjeu était de passer d’un bon dossier à un dossier qui gagne.

 

Teddy Riner : En 2016, au début des jeux Olympiques de Rio de Janeiro, on a présenté le projet Paris 2024 devant plus de 2 000 médias internationaux. J’ai parlé à la tribune, j’avais un trac monstre devant le président Hollande. [Rires.] Il y avait beaucoup de serrages de main, d’initiatives médiatiques, de prises de parole. Il fallait vraiment s’adresser à tout le monde. Je me souviens quand même d’avoir bien rigolé avec tous les sportifs, notamment avec Marie-José Pérec.

 

Tony Estanguet : J’étais dans l’état d’esprit d’un athlète qui s’entraîne au quotidien et qui écoute ce qu’on lui dit. Cela m’a aidé à comprendre les attentes des politiques et des patrons, à ne pas tomber dans les pièges des journalistes. Début 2017, Bernard Lapasset m’annonce : “La suite, ce sera toi, les membres du CIO ont envie de savoir pour qui ils vont voter.” Grâce à lui, je prends officiellement la tête de la candidature. Lapasset était quelqu’un de paternaliste. Concernant les tensions, il avait une intuition et il voulait que les choses se passent bien. On était exposé, avec des acteurs politiques qui menaient leurs propres combats. L’échec de 2005 était attribué au fait qu’ils ne s’entendaient pas. Aujourd’hui, est-ce qu’ils s’entendent mieux ? En tout cas, sur le dossier des Jeux, ils ont réussi à mettre leurs divergences de côté.

 

Thierry Rey : On a su montrer qu’on formait une équipe, cela a été l’une des clés de la réussite. Quand [Valérie] Pécresse, [Emmanuel] Macron et [Anne] Hidalgo se tirent la bourre à la présidentielle de 2017, quelques mois avant l’attribution, ce sont des animaux politiques. Mais pour la candidature, tout le monde était aligné, se respectait et s’écoutait. Le dossier était solide, c’était notre moment. Il y avait trop de symboles : le centenaire des jeux Olympiques de Paris 1924, les défaites précédentes, le sérieux avec lequel on montrait qu’on avait compris certaines choses.