10 juin 2016

Interview : on a rencontré Éric Cantona

Chez Colette, le galeriste Kamel Mennour organise pendant l’Euro 2016 une exposition autour de la figure d’Éric Cantona. Rencontre avec cet ancien footballeur devenu une figure mythique.

Propos recueillis par La rédaction.

Chez Colette, le galeriste Kamel Mennour, authentique passionné de football, organise pendant l’Euro 2016 une exposition autour de la figure d’Éric Cantona, ancien footballeur et figure mythique célébrée, encore aujourd’hui, tant pour son talent que pour sa personnalité libre et indomptable. Dans un fan-club éphémère à la gloire du king se côtoient des œuvres conçues par les artistes phares de la galerie tels que Liam Gillick, Jake et Dinos Chapman ou Claude Lévêque, et des objets collector à son effigie. Les profits des ventes seront intégralement reversés à Imagine, institut consacré à la lutte contre les maladies génétiques. Numéro a pu s’entretenir avec Éric Cantona lors du vernissage de l’exposition.

 

Numéro : Comment ce projet d’exposition est-il né ?

Éric Cantona : Kamel Mennour est venu me voir et me l’a proposé. Et, bien évidemment, ça m’a intéressé. Je connais les artistes qu’il défend, j’ai une totale confiance en lui. C’est un honneur pour moi, une immense fierté. L’œuvre, c’est l’ensemble de l’exposition. L’idée était de rassembler tous ces artistes autour d’un même sujet : le fanatisme. Ici, c’est à propos de moi, mais ça aurait pu être à propos de quelqu’un d’autre. J’aime le fait que ces œuvres ne soient pas davantage mises en valeur que des objets-souvenirs, qu’une œuvre soit présentée comme un maillot ou une casquette. Pour moi, la dimension d’œuvre est là. Ensuite, ces artistes ont créé des œuvres autour du fanatisme, autour du football. Et chacun s’exprime très différemment. Mais ce qui est sûr, c’est que cette exposition continuera de m’accompagner, de même que mon vécu avec les fans de United continue de m’accompagner. Cela m’amène à me poser des questions, et c’est ça l’art : ça invite à la réflexion, à un voyage intérieur. Ces œuvres me nourrissent, et elles continueront de me nourrir.

 

Vous faites partie des footballeurs qui sont devenus des icônes, reconnues et célébrées bien au-delà des fans de ballon rond. Ken Loach vous a consacré un film en 2009, Looking for Eric, dans lequel vous jouez votre propre rôle. Est-ce cette distance vis-à-vis de vous-même, cette capacité à vous voir dans les yeux des autres, qui vous a amené à devenir acteur ?

J’adore m’exprimer, mais j’adore aussi entrer dans l’imaginaire des autres, dans l’esprit d’un réalisateur qui me permet d’explorer des potentialités, à travers l’histoire qu’il a écrite. C’est un partage, une façon de se nourrir. C’est essentiel, tout comme le fait de voir des œuvres, d’aller dans les galeries et les musées. On se nourrit mutuellement. Seul, on meurt. On a besoin d’échanger. Et c’est dans les rencontres, dans l’échange, qu’on crée des œuvres.

 

Justement, le football, qui est un vecteur de partage, de communion, est encore assez mal perçu en France, contrairement à d’autres pays. Comment expliquer cela ?

Les choses changent peu à peu en France, car des artistes, de plus en plus nombreux, réalisent des œuvres autour du football. L’exemple le plus connu étant bien sûr le film de Philippe Parreno et de Douglas Gordon sur Zidane [Zidane, un portrait du 21e siècle]. Je n’ai pas eu l’occasion de le voir sous forme d’installation vidéo sur plusieurs écrans, tel que l’avaient conçu les artistes. Je l’ai vu sur un seul écran, façon cinéma, ce qui est différent. D’ailleurs, le football a aussi inspiré de nombreux cinéastes, Jean-Jacques Annaud, Ken Loach… Comment s’appelle l’artiste qui avait fait cette statue du coup de boule de Zidane ?

 

Cest une œuvre d’Adel Abdessemed, qui exposait alors au Centre Pompidou…

Il y a aussi des livres qui ont été écrits sur football. Bref, le football ne se résume pas aux commentaires de comptoir après les matchs, on peut aussi élever le débat. 

 

Quels sont les artistes que vous aimez et qui vous inspirent ?

J’aime beaucoup Philippe Parreno, Liam Gillick, Mohamed Bourouissa, Hicham Berrada, Latifa Echakhch, Camille Henrot… De cette dernière, j’aime particulièrement cette œuvre où elle a redessiné au marqueur sur un vieux film porno [Deep Inside]. J’adore aussi Claude Lévêque, Maurizio Cattelan, Richard Serra… entre autres.

 

Dans cette exposition figure aussi deux œuvres de Jake et Dinos Chapman, célèbres artistes anglais provocateurs, faisant partie de la génération des Young British Artists…  

Oui, j’aime beaucoup leur façon de marier l’horreur et l’humour. 

 

Dans votre carrière, vous avez été snobé par le football français, et accueilli puis adulé en Angleterre. Avez-vous le sentiment que la Grande-Bretagne comprend mieux les fortes personnalités ?

Je suis arrivé en Angleterre au plus bel âge pour un footballeur. J’ai eu la chance de vivre ces années avec l’un des plus grands entraîneurs de l’histoire [sir Alex Ferguson, qui a entraîné le club de 1986 à 2013, avec deux générations de joueurs exceptionnels, et dans un club comme celui de Manchester United, avec ces fans extraordinaires. J’ai été chanceux, et j’ai donné tout ce que j’avais à donner. Et on a commencé à gagner. Manchester United, c’est un club où on aime les personnalités atypiques, il suffit de se référer à son histoire, qui a connu des joueurs légendaires comme George Best… La façon dont j’ai été soutenu par ce club au moment de l’histoire avec ce hooligan [Éric Cantona a donné un coup de pied à un spectateur xénophobe qui l’insultait], c’est unique. Mais vraiment unique. Les fans m’accompagnaient au tribunal. L’Angleterre a inventé le punk, c’est un immense pays en termes de culture, d’art. À l’époque j’avais la réputation d’être instable, mais lorsque les journalistes demandaient à Alex Ferguson si je risquais de les abandonner en fin de saison, il répondait : “Éric, quand il voudra partir, il partira.” Ils avaient bien compris que c’était le seul moyen de me garder. Car les chaînes, on arrive toujours à les briser à un moment donné. En France, dans le football, ils ne me comprenaient pas. Et ils ne m’ont toujours pas compris.

 

Éric the King Fan Club, chez Colette,

213, rue Saint-Honoré, Paris Ier,

jusqu’au 2 juillet.