Les poèmes culinaires de David Toutain
Rencontre avec David Toutain, l’un des huit plus grands chefs contemporains ayant accepté de partager sa passion avec Numéro.
Par Matthieu Jacquet.
Portrait par Pierre Even.
Une façade vert sauge ouvre sur un décor élégant où le bois clair des étagères et du mobilier côtoie des murs ardoise. Dans cette rue tranquille du VII e arrondissement de Paris, simplicité et sophistication trouvent leur équilibre. Depuis plus de cinq ans, le restaurant du chef éponyme David Toutain ravit les palais exigeants par ses propositions fines et audacieuses. Un franc succès pour ce Normand de naissance, grand amateur de voyages, dont le parcours comme la cuisine traduisent une insatiable curiosité doublée d’un penchant pour l’aventure.
Pour faire ses armes de cuisinier, David Toutain a en effet commencé par sillonner la France : d’abord sa propre région, l’Orne, au Manoir du Lys de Franck Quinton. Puis Paris, aux côtés d’Alain Passard dans son fameux trois-étoiles l’Arpège. Enfin la Savoie, auprès du célèbre Marc Veyrat. Autant de rencontres qui ont forgé la perspective humaniste de David Toutain, qui déclare avoir toujours cherché l’homme derrière le chef : “Quelles histoires se cachent derrière leur cuisine ? Voilà ce qui m’importait. Indirectement, cette approche m’a fait grandir et prendre conscience que j’avais besoin de créer quelque chose de très personnel.” C’est ensuite hors de France qu’il dirige ses pas, chez Mugaritz dans le Pays basque espagnol. Puis il traverse l’Atlantique pour s’installer à New York, deux ans, dans le quartier très prisé de TriBeCa, à Manhattan. L’expérience de cette ville en perpétuel mouvement, où il se rend désormais au moins une fois par an, le fascine et l’inspire toujours aujourd’hui : “Chaque fois que j’y retourne, l’atmosphère de New York me ressource et recharge mes batteries.”
Au cœur de sa recherche gastronomique – dont les menus peuvent aller jusqu’à quinze plats –, le végétal a la part belle, avec de nombreux légumes constamment retravaillés par le chef dans des recettes audacieuses.
À son retour à Paris en 2011, le chef inaugure l’établissement Agapé Substance avec Laurent Lapaire, fondateur du premier Agapé situé dans le Nord-Ouest parisien. Une expérience qui le décide, deux ans plus tard, à voler de ses propres ailes en ouvrant le Restaurant David Toutain, rue Surcouf, non loin de l’esplanade des Invalides et du quai d’Orsay. Malgré ses environs touristiques, David Toutain s’y sent chez lui. En cinq ans et demi d’activité, le chef et son équipe ont pu peaufiner l’identité du lieu : une cuisine-découverte puisant ses ingrédients dans les richesses du terroir français. Au cœur de cette recherche gastronomique – dont les menus peuvent aller jusqu’à quinze plats –, le végétal a la part belle, avec de nombreux légumes constamment retravaillés par le chef dans des recettes audacieuses. Autre particularité de sa carte, une cuisine qui se plie littéralement au désir du client en lui offrant la possibilité de se faire confectionner le plat de son choix. Une magie autorisée, en coulisse, par une logistique sans faille et un réapprovisionnement permanent. À ces charmes s’ajoute la simplicité de service exigée par le chef, afin de ne jamais parasiter l’instant privilégié vécu par le client.
Loin de se limiter à la cuisine, David Toutain cultive la personnalité de son établissement à travers chaque détail, et fait appel à des artisans avec lesquels il imagine sa propre vaisselle. Aujourd’hui, le restaurant collabore avec cinq d’entre eux répartis dans toute l’Europe, à l’instar de la céramiste Patricia Vieljeux, qui a notamment réalisé pour lui des tasses. Un projet précieux pour cet homme, attaché à valoriser autant qu’il le peut le travail de la main en mettant l’accent sur l’âme qui se trouve derrière la création.
“Chaque fois que j’y retourne, l’atmosphère de New York me ressource et recharge mes batteries.”
Il n’est donc pas surprenant que l’objet fétiche que David Toutain nous présente avec affection soit un symbole du travail artisanal : la planche de bois qui le suit depuis le début de sa carrière. “Remplie d’histoire et d’énergie”, elle exprime selon lui le rapport poétique entre la main, l’ingrédient et le bois. Un triangle dont l’équilibre est nécessaire au bon déroulement de la recette et du service. Après une première étoile reçue en 2015, Le Guide Michelin vient de lui en accorder une seconde cette année. Une juste récompense pour ce trentenaire aussi talentueux qu’inventif.