La maison Chaumet fait dialoguer la joaillerie et la nature aux Beaux-Arts de Paris
Les Beaux-Arts de Paris et la maison Chaumet présentent jusqu’au 4 septembre une exposition d’envergure : Végétal – L’École de la beauté, sous le commissariat du botaniste Marc Jeanson. Réunissant plus de 400 œuvres, l’exposition retrace le dialogue entre les arts et les sciences qui a inspiré, depuis plus de 240 ans, les plus belles pièces de la maison de haute joaillerie.
Par Elliot Mawas.
L’exposition Végétal – L’École de la beauté invite le spectateur à une libre déambulation à travers plus de 5 000 ans d’histoire des arts et des sciences. Les quelque 400 œuvres qui la composent revendiquent l’éclectisme : textes, peintures, textiles, planche scientifiques, mobilier, architecture sont ainsi mis en dialogue avec les plus belles pièces de la maison de Chaumet qui, depuis sa création en 1780 par Marie-Étienne Nitot, se présente comme un “joaillier naturaliste”. La botanique a ainsi irrigué l’histoire de la maison, guidant les 17 chefs d’atelier qui ont successivement travaillé pour elle, mais aussi Joseph Chaumet qui dirige la maison de 1885 à 1928, et trouve sa créativité dans le réenchantement de la nature. Le botaniste et commissaire de l’exposition Marc Jeanson a donc imaginé Végétal comme un herbier composé à partir des espèces présentes dans les créations Chaumet. Les diadèmes de Marie-Étienne Nitot côtoient un champ de Raoul Dufy et une veste brodée d’épis Yves Saint Laurent, tandis que Le Printemps et L’Été de Giuseppe Arcimboldo (prêtés par le Louvre) se regardent différemment, mis en relation avec le diadème Bedford réalisé par Jean-Baptiste Fossin vers 1830, qui dialogue également avec l’immense Tapisserie aux mille-fleurs du XVIe siècle, venue du palais des Vescovi de Pistoia (Toscane). Focus sur trois pièces exceptionnelles de la maison révélatrices de la richesse de cette exposition.
Le premier espace de l’exposition est consacré à la figure de l’arbre. Chêne, cèdre, noisetier, laurier, mais aussi lierre, houx, gui et fougère… le visiteur s’émerveille en découvrant les bourgeons, les écorces ou les racines caractérisant chaque espèce et les créations qui s’en inspirent. Telle cette superbe broche conçue à la Belle Époque et reprenant le motif sinueux du lierre en agate herborisée. Une pierre qui a la particularité de présenter des figures qui évoquent des arbres ou des fougères (d’où son nom, du grec dendron, arbre). La chute de l’Empire laisse place, au sein de la maison Chaumet, à l’ère du romantisme, marquée par l’exaltation de la nature, représentée au plus près de sa vérité. Lorsque, près d’un siècle après la fondation de la maison, Joseph Chaumet en prend la direction en 1885, il poursuit cette création naturaliste en s’inspirant de nombreuses esquisses de recherche, avec lesquelles ses créations, comme la broche de lierre, partagent une extrême attention portée aux détails. La broche est ainsi mise en regard avec des études de lierre de Le Corbusier datant de 1908, le célèbre architecte de l’ère des modernistes et de leur esthétique épurée. Adepte de la photographie, Joseph Chaumet avait fait installer un studio au sein même de ses ateliers. Il y immortalisait ses créations mais aussi ses inspirations, qui constituent aujourd’hui une riche documentation permettant de plonger dans l’héritage de la maison Chaumet.
Cette pièce, qui a récemment rejoint les collections patrimoniales de Chaumet, est présentée au public pour l’une des premières fois depuis sa création. Il s’agit d’un diadème en épis de blé, dit “Crèvecœur” en hommage au diplomate Jean Crèvecœur qui le commanda pour sa futur épouse en 1910. L Les pierres précieuses seraient un cadeau de Napoléon Ier au comte de Mosloy, ambassadeur ayant œuvré au mariage de l’empereur avec Marie-Louise d’Autriche, cent ans plus tôt. Les épis de blé composant le diadème et reproduits avec une grande précision peuvent se détacher les uns des autres pour former un devant de corsage, très en vogue à la Belle Époque. Pour l’exposition, le diadème original – qui fut dispersé en de nombreuses pièces après sa création – a été reconstitué d’après les croquis de la maison Chaumet. On sent dans le diadème l’influence de l’impératrice Joséphine, fidèle de la maison depuis 1805 et passionnée de sciences naturelles, qui remet au goût du jour le diadème néoclassique, signe de souveraineté et de pouvoir. Sous son impulsion, la joaillerie revisite les motifs antiques, comme les épis de blé, symboles de fertilité et d’abondance.
Le visiteur est ensuite conduit vers la “salle de l’estran” – terme désignant la zone en bord de mer qui est tantôt couverte tantôt découverte par la marée. Une salle où règnent en majesté les algues, les coquillages et les perles, autre grandes sources d’inspiration des créations joaillières. En effet, la Belle Époque trouve dans les formes des algues, aux structures et couleurs diverses, une autre grande source d’inspiration. Les cyanotypes – technique photographique unique utilisant la sensibilité des sels ferriques à la lumière pour produire des tirages monochromes bleus – de la botaniste anglaise Anna Atkins sont ici mis en regard du sublime collier Bayadère, commandé en 1922 par M. Baumann. Son nom est empruntée aux danseuses sacrées hindoues richement parées. En effet, à l’aube de l’ère industrielle, tandis que les moyens de transports s’améliorent, la clientèle de Chaumet se diversifie. Les princes indiens – notamment, les maharadjas de Baroda et d’Indore – passent de somptueuses commandes et leur culture, réciproquement, inspire la maison. À mesure que l’œil se rapproche du collier, il distingue ses milliers de fines chaînes de perles d’une précision exquise auxquelles sont suspendus deux glands de perles. Sa forme qui accompagne le mouvement de la silhouette, caractéristique de l’époque charleston, est emblématique de l’entre-deux-guerres.
L’exposition Végétal – L’École de la beauté, par la maison Chaumet, jusqu’au 4 septembre, au palais des Beaux-Arts de Paris.
2. Le collier Bayadère (1920)