Comment Jaeger-LeCoultre s’impose dans le monde impitoyable de l’horlogerie de luxe
De son emblématique modèle Reverso à ses “montres secrètes” portées par la Reine Elisabeth II, la manufacture d’horlogerie de luxe basée dans le village du Sentier, en Suisse, poursuit sa route après bientôt 200 ans d’existence dans un milieu ultra concurrentiel.
Par Alexis Thibault.
La Reverso, un modèle emblématique de la manufacture Jaeger-LeCoultre
Il faut parfois un modèle iconique pour se distinguer. Chez Jaeger-LeCoultre, il s’agit de la Reverso, une montre pivotante de forme rectangulaire imaginée en 1931. Après tout, quelle idée d’inventer des montres rondes ? Quand on y pense, ce n’est pas du tout ergonomique. La forme, le style et le design de ce modèle permettront longtemps à Jaeger-LeCoultre d’être reconnu immédiatement. “La Reverso, c’est trois gaudrons [un motif d’ornementation en forme de moulure creuse], des formes assez rondes sur le côté et, évidemment une montre qui se retourne, décrit Catherine Rénier. Comment la faire évoluer ? En travaillant le cadran, la finesse, les détails de la boîte, l’intégration de cette boîte dans un bracelet puis la matière même du bracelet. Nous avons hérité de ce modèle et, notre travail, c’est de le garder contemporain. Il est parfois plus complexe de réécrire une partition que de partir d’une page blanche.” Dans un monde où la technologie est obsolète au bout d’un an, la temporalité des œuvres de Jaeger-LeCoultre reste un message important. Son parallèle sera fort : “Une Apple Watch à vos dix-huit ans, c’est fantastique. Mais à 25 ans, vous vous en serez déjà débarrassé.”
Le grand concert de Jaeger-LeCoultre à Londres
Une “expérience sonore et immersive” est toujours une promesse inquiétante. Une fois sur deux, la proposition n’est pas à la hauteur. Mais cette fois, un horloger a vu les choses en grand… À Londres, sur la rive sud de la Tamise, la manufacture de luxe Jaeger-LeCoultre a érigé un cinéma éphémère des années 30, juste en face de la Battersea Power Station, l’une des premières grandes centrales électriques au charbon d’Angleterre. Ce jeudi 14 septembre 2023, le pianiste anglais Tokio Myers y présente The Golden Ratio Musical Show, le premier concert d’une série de quatre représentations.
Au programme : une symphonie expérimentale en quatre mouvements parachevée par une projection vidéo sur un mur de pluie artificielle. L’œuvre prendra finalement la forme d’un concerto, pièce musicale écrite spécialement pour mettre en valeur un soliste accompagné d’un orchestre. Ici, Tokio Myers va et vient entre son piano à queue et sa petite installation personnelle faite de synthétiseurs et de percussions électroniques, puis dialogue avec les 26 concertistes installés derrière lui.
Fasciné par les œuvres impressionnistes (et anticonformistes) de Claude Debussy; subjugué par les BO de John Williams (Star Wars, Jurassic Park, Harry Potter…); ce collaborateur d’Amy Winehouse et de Kanye West déroule alors son thème mélodique homérique soutenu par les basses vrombissantes d’une section de cuivre. En filigrane, la divine proportion – ou “nombre d’or” – qui, en arithmétique, équivaut à 1,618. Le pianiste a transformé cette valeur en tempo : 161, 8 battements par mesure… Fin du spectacle. Le public engage une standing ovation. Pour l’anecdote, Tokio Myers associe dans sa tête une couleur à chaque note de musique. Une caractéristique de la synesthésie, un phénomène neurologique.
S’imposer dans le monde impitoyable de l’horlogerie de luxe
L’élégance légendaire de l’horlogerie dissimule un milieu ultra concurrentiel. Qu’on se le dise : on ne porte pas de montre sans marque. Et parce que chaque objet jouit d’une identité propre, il est, dans ce milieu surpeuplé, impératif de se démarquer. Catherine Rénier est arrivée le 1er mai 2018 à la tête de Jaeger-LeCoultre, fondée en 1883. Discrètement. Mais la paire de baskets Chloé qu’elle a enfilé ce matin pose d’emblée un style contemporain, comme si elle faisait fi des conventions qui pèsent sur son milieu: “Aujourd’hui, on n’a plus besoin de porter une montre, assène-t-elle en pleine interview. Notre relation vis-à-vis de l’objet a totalement changé puisque le temps s’affiche aussi sur notre téléphone. Désormais, c’est une relation purement émotionnelle. On cherche donc un savoir-faire, la beauté du produit, et, bien évidemment, le statut. Et c’est comme cela que nous allons nous connecter à nos clients.”
Jaeger-LeCoultre envisage donc de mettre en lumière ses objets d’art à travers des événements originaux ou des collaborations avec les stars intemporelles. Parmi elles, un certain Lenny Kravitz… Mais si Jaeger-LeCoultre a invité le pianiste Tokio Myers à rejoindre son programme “Made of Makers”, c’est parce qu’il rassemble des artistes internationaux et pluridisciplinaires partageant les valeurs de la maison : créativité, expertise et précision. En 2023, le programme a poursuivi sa conquête de nouveaux territoires artistiques avec les artistes Yiyun Kang et Brendi Wedinger.
Chefs-d’œuvres et montres secrètes : le savoir-faire extraordinaire de Jaeger-LeCoultre
“Allons, n’ayez pas peur, essayez-la ! Une montre, c’est fait pour être porté.” À Londres, dans la boutique Jaeger-LeCoultre d’Old Bond Street, les montres ont été dégainées par les responsables de l’échoppe fastueuse avant les coupes de champagne. Étendus sur un présentoir en feutrine noire, les prototypes des chronographes emblématiques de l’horloger ne demandent qu’à être attachés autour des poignets. C’est l’occasion parfaite pour s’attarder sur le Gyrotourbillon, un tourbillon multi-axes et véritable chef d’œuvre de Jaeger-LeCoultre. Ici, l’échappement et le balancier sont montés dans une cage qui tourne sur elle-même. Cette complication – une fonction autre que l’affichage de l’heure et des minutes – s’oppose donc aux effets de la pesanteur et garantit une extrême précision horlogère, tout en demeurant visuellement splendide.
“Certains collectionneurs préfèrent conserver les montres dans des coffres, souligne Catherine Rénier. C’est leur choix. Mais je ne vous cache pas que nous préférons retrouver nos clients une montre au poignet lorsqu’ils reviennent à la boutique. Il y a une vraie émotion, un vrai message.” Plus tard, on enfile des gants pour découvrir cette fois le calibre 101, “montre secrète” emblématique de la maison portée par la reine Elisabeth II lors de son couronnement en 1953. Les horlogers avaient imaginé un mécanisme innovant en dissimulant un bouton, caché au cœur des rangs de diamants, permettant de découvrir le cadran d’une simple pression…
La Reverso, un modèle emblématique de la manufacture
Il faut parfois un modèle iconique pour se distinguer. Chez Jaeger-LeCoultre, il s’agit de la Reverso, une montre pivotante de forme rectangulaire imaginée en 1931. Après tout, quelle idée d’inventer des montres rondes ? Quand on y pense, ce n’est pas du tout ergonomique. La forme, le style et le design de ce modèle permettront longtemps à Jaeger-LeCoultre d’être reconnu immédiatement.
“La Reverso, c’est trois gaudrons [un motif d’ornementation en forme de moulure creuse], des formes assez rondes sur le côté et, évidemment une montre qui se retourne, décrit Catherine Rénier. Comment la faire évoluer ? En travaillant le cadran, la finesse, les détails de la boîte, l’intégration de cette boîte dans un bracelet puis la matière même du bracelet. Nous avons hérité de ce modèle et, notre travail, c’est de le garder contemporain. Il est parfois plus complexe de réécrire une partition que de partir d’une page blanche.”
Dans un monde où la technologie est obsolète au bout d’un an, la temporalité des œuvres de Jaeger-LeCoultre reste un message important. Son parallèle sera fort : “Une Apple Watch à vos dix-huit ans, c’est fantastique. Mais à 25 ans, vous vous en serez déjà débarrassé.”
Jaeger-LeCoultre célèbre le peintre Claude Monet avec des montres en édition limitée
Cette année, à l’occasion de la Biennale Homo Faber de Venise, la maison Jaeger-LeCoultre présente trois nouveaux modèles de la montre Reverso Tribute Enamel en édition limitée, un hommage à la cité des Doges. Le verso de chacune des pièces présente une reproduction miniature de l’une des peintures de Venise de Claude Monet.
Alors qu’il pensait Venise “trop belle pour être peinte,” l’impressionniste séjourne deux mois en Italie en 1908 et revient sur son jugement. Il entame alors trente-sept œuvres directement inspirées de la ville inondée. Trois peintures issues de cette série ont justement été choisies par l’horloger suisse pour illustrer le modèle Reverso Tribute Enamel.
D’abord Saint-Georges-Majeur au crépuscule (1908-1912), qui représente l’île de San Giorgio Maggiore et son monastère, noyés dans la brume. Ensuite, Le Grand Canal (1908), l’un des six tableaux peints d’après le modèle du Grand Canal vu en direction de la basilique Santa Maria della Salute de Venise. Enfin, Le Palais ducal (1908),qui figure le palais des Doges, illustre édifice de styles gothique et Renaissance situé sur la place Saint-Marc.
Les horlogers de Jaeger-LeCoultre racontent ce défi de taille : “Décorés de motifs guillochés à la main sous l’émail coloré translucide, les trois cadrans s’inspirent directement des peintures miniatures qui ornent le verso. Chaque cadran exige entre huit et neuf heures de travail pour son émaillage. Il faut ensuite appliquer minutieusement les index, ce qui implique le perçage de minuscules trous dans l’émail immaculé.”
Homo Faber de Venise, du 1er au 30 septembre à la Fondazione Giorgio Cini.