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Numéro
22 Bob Colacello Andy Warhol Mick Jagger Exposition Galerie Thaddaeus Ropac Paris

Andy Warhol, Mick Jagger... la jet-set sous l'objectif de Bob Colacello à la galerie Ropac

PHOTOGRAPHIE

Proche d'Andy Warhol, Bob Colacello côtoya l’avant-garde et la jet-set, dont il immortalisa les fêtes et la vie quotidienne. A la galerie Thaddaeus Ropac à Paris, ce photographe expose jusqu'au 4 mars ses clichés pris entre 1976 et 1982, dépeignant une époque de grande liberté.

  • Bob Colacello, “Andy's Room Service Breakfast, Naples” (1967).

    Bob Colacello, “Andy's Room Service Breakfast, Naples” (1967). Bob Colacello, “Andy's Room Service Breakfast, Naples” (1967).
  • Bob Colacello, “Andy with West German Chancellor Willy Brandt, Bonn” (1976).

    Bob Colacello, “Andy with West German Chancellor Willy Brandt, Bonn” (1976). Bob Colacello, “Andy with West German Chancellor Willy Brandt, Bonn” (1976).
  • Bob Colacello, “ Jade Jagger, Montauk Airport” (c. 1977).

    Bob Colacello, “ Jade Jagger, Montauk Airport” (c. 1977). Bob Colacello, “ Jade Jagger, Montauk Airport” (c. 1977).
  • Bob Colacello, “Bianca Jagger, Halston's House, New York” (1976).

    Bob Colacello, “Bianca Jagger, Halston's House, New York” (1976). Bob Colacello, “Bianca Jagger, Halston's House, New York” (1976).

© Bob Colacello. Courtesy of the artist.

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Il est né à Brooklyn en 1947 et a grandi à Long Island, New York. Aujourd’hui, il travaille pour la fondation d’art créée par Peter Marino, la Peter Marino Art Foundation, dans les Hamptons. Son statut actuel de légende vivante ne dépend pas totalement du livre qu’il a publié en 2004, consacré à Ronald et Nancy Reagan (après sa publication “la moitié du monde de l’art a cessé de me parler”, se rappelle-t-il, ce qui ne l’empêche pas d’envisager d’écrire prochainement le deuxième tome), mais repose avant tout sur les moments qu’il a passés auprès d’Andy Warhol dans les années 70. Des moments qu’il documenta frénétiquement avec son appareil photo, un petit Minox qu’il trimbalait toujours avec lui : 80 de ses photographies réalisées entre 1976 et 1982 sont aujourd’hui exposées à la galerie Thaddaeus Ropac de Paris (Marais), accompagnées d’un livre qui les rassemble et s’intitule It Just Happened.

 

Bob Colacello, un photographe qui a côtoyé de près la jet-set

 

Dans l’introduction à cet ouvrage, Bob Colacello raconte les hasards qui firent de sa vie une odyssée délicieusement tiraillée entre l’avant-garde et la jet-set. “Il arriva tout simplement qu’aux fêtes que nous fréquentions à longueur de temps à New York, Los Angeles, Paris et Londres, les personnes les moins connues s’ingéniaient à se mettre dans le champ et à éclipser les plus connues, mais je prenais la photo quand même parce que je me rendais bien compte que, dans les fêtes, il est inévitable d’avoir un résultat comme ça, fait de couches superposées, que j’ai alors commencé à envisager comme mon propre style. Il arriva tout simplement que les seventies furent la décennie qui témoigna de la plus grande ouverture aux autres depuis les Années folles, et que chacun voulait en être – les jeunes et les vieux, les gays et les hétéros, les Noirs et les Blancs, les millionnaires et les escrocs –, l’illustration ultime de cette tendance ayant été atteinte dans la décadente boîte de nuit Studio 54.

 

La ruse littéraire qui consiste à reprendre “It just happened” (“il arriva tout simplement”) me fait penser au “And just like that” qui revient à chaque épisode de la suite de Sex and the City vingt ans après, et qui présente Carrie Bradshaw aux prises avec une époque dont elle trouve les aspirations désolantes et rocambolesques (la scène où elle tombe des nues parce que son prétendant lui demande la permission de l’embrasser, par exemple), et qui lui fait regretter celle de sa jeunesse. Colacello semble pareillement nostalgique de cette époque “où l’on piquait juste votre portefeuille sans hacker votre compte en banque”, comme il le déclarait récemment au journal Le Monde.

Bob Colacello, “Sylvia Martins, Diane von Furstenberg, Richard Gere and Barbara Allen at Diane von Furstenberg's, New York” (1980). © Bob Colacello. Courtesy of the artist. Bob Colacello, “Sylvia Martins, Diane von Furstenberg, Richard Gere and Barbara Allen at Diane von Furstenberg's, New York” (1980). © Bob Colacello. Courtesy of the artist.
Bob Colacello, “Sylvia Martins, Diane von Furstenberg, Richard Gere and Barbara Allen at Diane von Furstenberg's, New York” (1980). © Bob Colacello. Courtesy of the artist.

Des photographies témoignant d'une époque de grande liberté

 

Ainsi sont les photographies de Colacello, qui dépeignent en effet une époque caractérisée par une fantaisie et une liberté dont les générations suivantes ont pensé qu’il était bon de s’affranchir pour s’infliger tout un tas de règles au nom du politically correct. On y découvre un panthéon d’individus hauts en couleur dont le noir et blanc exacerbe la dimension de document historique : Andy Warhol, bien sûr, dans beaucoup de situations domestiques, mangeant, par exemple, à même une assiette posée sur ses genoux – une photographie à laquelle Colacello ajoute une légende manuscrite : “Andy en train de manger, un magnétophone sur les genoux. Il l’appelait ‘ma femme Sony’.” Mais aussi Christina Onassis, Paloma Picasso, Jacqueline Bisset, Rudolf Noureïev, Estée Lauder, Norman Mailer, Truman Capote... L’auteur de Petit dejeuner chez Tiffany est par exemple photographié avec Warhol lors d’une séance de signature : “Après avoir été banni de la haute société, Truman commença à écrire pour Interview, et fit des séances de dédicace du magazine avec Andy, ici, dans une librairie de Southampton”, indique la légende rédigée par Bob Colacello.

 

Comme la plupart de ses photographies, celle-ci est un peu floue, sommairement cadrée, les personnages ne posent pas et sont saisis dans un instant, comme si la vie défilait à toute vitesse et que l’objectif en saisissait une seconde aléatoire. Mais parce que c’était lui derrière l’objectif, et que son carnet d’adresses était sans limites, les personnages photographiés dégagent un sentiment d’intimité. Y compris l’artiste allemand Joseph Beuys, que l’on voit à la galerie Lucio Amelio, à Naples, en 1980, en compagnie de Warhol, assorti de la légende : “Il n’était pas évident que Beuys apprécie qu’Andy encourage sa fille adolescente à devenir mannequin lorsqu’ils se retrouvèrent à Düsseldorf l’année suivante.” Le style “par défaut” de ces photographies semble avoir trouvé un écho quelques décennies plus tard dans la photographie de mode et, pour tout dire, la fascination qu’elle inspirent n’est pas étrangère à leur statut tout aussi bancal que, parfois, leur cadrage. Ce ne sont assurément pas des œuvres d’art, ce sont un peu des documents, un peu un journal intime, un peu du reportage et un peu des reliques historiques...

Bob Colacello, “Kevin Farley, The Leonori, New York” (c. 1978). © Bob Colacello. Courtesy of the artist.
Bob Colacello, “Kevin Farley, The Leonori, New York” (c. 1978). © Bob Colacello. Courtesy of the artist.
Bob Colacello, “Kevin Farley, The Leonori, New York” (c. 1978). © Bob Colacello. Courtesy of the artist.

Le plus efficace portrait de Bob Colacello, me semble-t-il, est celui rédigé par Pat Hackett dans l’introduction au célébrissime Journal d’Andy Warhol dont, en tant que son “amie et collaboratrice de toujours”, elle établit l’édition à partir des appels téléphoniques quotidiens qu’elle avait avec lui. “Bob Colaciello, diplômé de l’école des services diplomatique et consulaire de l’université Georgetown, qui était entré à la Factory après avoir écrit une critique de Trash pour le Village Voice, travaillait alors principalement pour le magazine (qui s’intitulait désormais, son titre ayant subi une légère modification, Andy Warhol’s Interview) : il écrivait des articles, notamment sa chronique ‘Out’, sorte de journal de sa propre vie mondaine qui l’occupait jour et nuit, prétexte à citer le plus de noms possible chaque mois. En 1974, Bob Colacello (il avait alors supprimé le i) devint officiellement le rédacteur en chef du magazine : il lui donna son image conservatrice et androgyne. (Ce n’était pas un magazine pour la famille – une enquête réalisée à la fin des années 70 avait conclu que ‘le lecteur moyen d’Interview avait environ 0,0001 enfant.’) Sa politique éditoriale et publicitaire était élitiste à un point tel qu’elle se vouait – ainsi que Bob lui-même l’avait expliqué un jour en riant – à la restauration des dictatures et des monarchies les plus séduisantes du monde et les plus oubliées.

Bob Colacello, “John Paul Getty III, Mick Jagger, Mackenzie Phillips, Nicky Waymouth Lane, Mr. Chow, London” (1978). © Bob Colacello. Courtesy of the artist. Bob Colacello, “John Paul Getty III, Mick Jagger, Mackenzie Phillips, Nicky Waymouth Lane, Mr. Chow, London” (1978). © Bob Colacello. Courtesy of the artist.
Bob Colacello, “John Paul Getty III, Mick Jagger, Mackenzie Phillips, Nicky Waymouth Lane, Mr. Chow, London” (1978). © Bob Colacello. Courtesy of the artist.

Une exposition à la galerie Ropac qui raconte son amitié avec Andy Warhol

 

Les photographies de Colacello présentées dans l’exposition documentent essentiellement la période durant laquelle il fut aux côtés d’Andy Warhol, jusqu’à ce jour de 1983, le 6 janvier, dont Warhol fait le récit dans son Journal : “Quand je suis arrivé au bureau, Vincent m’a donné une lettre. Elle était de Bob. Il démissionne. [...] Je suis content pour Bob. [...] À propos du départ de Bob, ce n’est pas pour l’argent, il en gagnait beaucoup [...] S’il a trouvé un nouveau travail, je suis content pour lui. Seulement, il n’aurait pas dû démissionner sans préavis. C’est moche. Ce n’est pas professionnel.” Quarante ans plus tard, Colacello corrige : “On a tous bossé pour rien pour Andy.” Bon, la rupture était peut- être quand même due à une histoire d’argent, bien que Colacello explique aussi en 2014, dans le magazine Interview justement : “J’avais 35 ans, et il était temps d’aller de l’avant. J’étais fatigué d’Andy – qui était alors dans sa période ‘mannequin anorexique’ pour l’agence Zoli –, j’en avais assez des frasques et des intrigues de ses camarades de jeu. [...] Donc, oui, c’était une mauvaise rupture, mais je me suis lentement réconcilié avec lui, parce que le fait d’avoir travaillé ensemble de façon si proche et si productive avait créé énormément d’affection et de souvenirs communs.” La même année, Colacello partit travailler pour Vanity Fair.

 

Ses photographies ont assurément une inestimable valeur documentaire : c’est toute une époque qui s’y montre, et ce qui la différencie de l’époque actuelle s’expose à nous de façon cruelle. Elles sont aussi une passionnante biographie d’un homme qui, avec ses “It just happened”, prétend que le hasard joua un rôle primordial dans sa destinée. “Voilà, nous y sommes. Je n’ai jamais programmé ni intrigué pour en arriver là, écrit-il. Cependant j’ai toujours suivi ce dicton maternel : ‘Quand la chance frappe, ouvre la porte !’ Il y a eu pas mal de portes.

 

Bob Colacello, “It Just Happened, Photographs (1976-1982)” jusqu'au 4 mars 2023 à la galerie Thaddaeus Ropac, Paris.