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05 daniel caesar never enough interview

Rencontre avec Daniel Caesar, superstar d'un R'n'B érotique

MUSIQUE

Disponible le 7 avril, le nouvel album de Daniel Caesar, Never Enough, étend encore l'univers du chanteur canadien entre gospel incendiaire, R'n'B langoureux et soul érotique.

Daniel Caesar - “Let Me Go”

Oh les gars ! Fermez la porte ! Vous voyez pas qu’on est en pleine interview ? Dans les locaux parisiens d’Universal, Ashton Simmonds hausse le ton sur sa propre équipe. Il vient d’abandonner subitement sa voix de choriste cristalline et confirme qu’il ne sera jamais membre du club des stars taciturnes et blasées. De passage en France pour la promotion de son troisième album studio, Never Enough, le chanteur flegmatique de 28 ans, Daniel Caesar à la scène, ne dissimule pas le plaisir qu’il prend dans ces thérapies improvisées : “Je peux parler pendant des heures en interview si personne ne m’interrompt. Mais j’ai déjà répondu à tellement de questions à propos de ce nouveau disque qu'il serait préférable que l’on discute d’autre chose…”. 

 

Il y a, dans les compositions de Daniel Caesar, la ferveur d’un gospel incendiaire, le groove du R’n’B des années 90 et l’érotisme d’une scène d’amour un peu cliché dans des draps de satin. Disponible le 7 avril, son nouvel opus de 15 titres poursuit le conte qu’il narre depuis 2014 – initié avec l’EP Praise Break – entre nappes de piano aériennes et riffs de guitare langoureux. Autrefois collaborateur de la chanteuse H.E.R, de la sulfureuse Kali Uchis ou de l’inaltérable Pharrell Williams, Daniel Caesar évoque désormais sa confiance en lui, son amour pour le peintre Vincent Van Gogh et signe même Valentina, un morceau composé avec son propre frère. Rencontre.

 

Numéro: Quand cesserez-vous donc de composer des albums qui ressemblent à des BO pour faire l’amour…

Daniel Caesar: Je ne sais pas. [Rires] En tout cas, ce n’était pas du tout mon intention. Un jour j’essaierai de composer un album spécialement pour ça peut-être, vous me direz ce que vous en avez pensé ! Ce nouveau disque parle surtout de confiance en soi et de résilience, la capacité à surmonter les chocs. C’est une sorte de voyage dans ma propre tête. Pour l’anecdote, au moment d’enregistrer le morceau Don’t Let Me Go, je voyais une fille un peu nerd qui ne lâchait pas son bouquin d’histoire sur la Seconde Guerre Mondiale : Rise and Fall of the Third Reich de William Shirer. Elle me l’a vivement recommandé, je l’ai acheté, et me suis trimballé avec avant d’aller en studio. Sauf que la couverture de l’ouvrage se résume à une énorme croix gammée sur fond noir… Une fois arrivé au studio, tout le monde m’a regardé comme si j’avais complètement vrillé. [Rires]

 

 

“Je ne vous cache pas que je suis un très mauvais employé : je me suis fait virer d’à peu près tous les jobs que j’ai eu”

Daniel Caesar - “Valentina”

Êtes-vous plus à l’aise à l’église ou dans le carré VIP d’une boîte de nuit ?

À l’église peut-être… Non ! Dans un club ! Au moins je peux faire ce que je veux sans que personne ne puisse me voir. À moins que tout le monde ne me suive du regard…

 

Le succès vous a tant transformé que ça ?

Disons qu’il m’a révélé davantage qu’il ne m’a transformé. Les gens ne changent pas vraiment, ils évoluent. Il y a une légère nuance. Parfois je me demande si je fais de la musique pour moi-même ou pour les autres. Certainement pour moi-même. J’arrête d’y penser lorsque la musique est enfin simple. Lorsqu’il y a moins de notes. Lorsqu’il y a moins de mots. Juste l’essentiel.

 

Vous êtes-vous coltiné des petits boulots insupportables avant d’être un chanteur de R’n’B ?

Je n’ai jamais eu de petit boulot vraiment improbable. J’ai passé la serpillère… Je me suis retrouvé à faire la plonge… Je ne vous cache pas que je suis un très mauvais employé : je me suis fait virer d’à peu près tous les jobs que j’ai eu. En revanche, je ne me considère pas comme un chanteur de R’n’B ou de gospel. C’est une façon de me ranger dans une boîte alors que je pense faire bien plus que cela. J’ai fait du rock auparavant vous savez.

 

 

“Je suis probablement un mauvais garçon qui essaie d’être quelqu’un de bien…”

 

 

À quoi ressemblait le quartier de votre enfance ?

J’habitais dans un rue très privée. Il y avait à peine une dizaine de familles qui vivaient dans mon quartier et les adolescents de mon âge,  étaient tous scolarisés dans le même campus que moi. Plus qu’une communauté, c’était une bulle. Pour être totalement franc avec vous: j’ai détesté cette période de ma vie. C’était juste un lieu de transition où j’attendais de grandir. Je n’ai jamais eu l’impression d’appartenir à cette “communauté”. J’avais des amis qui n’en étaient pas vraiment, ils trainaient avec moi sans avoir l’air de m’apprécier sincèrement.

 

Parfois j’ai l’impression que vous êtes un homme triste…

Je suis quelqu’un d’entier. Lorsque je suis triste, je le suis beaucoup trop. Et lorsque je suis heureux, c’est tout aussi démesuré. Je n’ai jamais eu besoin d’être triste pour composer mais il est vrai que… ça aide. Je ne pleure pas très souvent. J’ai tendance à garder mes émotions enfouies en moi, comme si craquer n’avait aucun interêt. La dernière fois que j’ai pleuré, c’était à Los Angeles, il y a un peu plus d’un an. J’avais passé la journée à traîner dehors avec des amis et, soudainement, sans aucune raison, j’ai eu l’impression que mes doutes et mes angoisses des derniers mois resurgissaient d’un seul coup. J’ai foncé au studio et j’ai composé l’une de mes chansons favorites. Elle n’est pas dans ce nouvel album mais elle sortira bientôt je vous le promets. Quitte à m’abandonner à mes émotions, je préfère les utiliser pour en faire quelque chose. Comme une énergie générée par ma propre colère. Comme une sorte de batterie de secours.

 

Vous êtes né le 5 avril 1995, vous êtes donc bélier ascendant je ne sais quoi. D’après les astrologues vous êtes un homme impulsif, impatient et conflictuel…

[Rires] Oui… Je suis quelqu’un de très impatient mais je fais souvent semblant de ne pas l’être. D’ailleurs je crois que je ne m’en sors pas trop mal. Par contre je suis, en effet, très impulsif. Et je m’efforce d’être le moins conflictuel possible car, pendant longtemps, j’étais toujours en opposition avec quelqu’un ou quelque chose. J’ai toujours eu un rapport étrange à l’autorité : si je respecte vraiment ce que vous faites, vous devenez une véritable figure d’autorité à mon égard. C’est ce qui s’est passé la première fois que j’ai rencontré Kanye West. Mais ce rapport obsessionnel à l’autorité me pousse aussi à me rebeller parfois sans aucune raison si j’estime que cette autorité n’est pas légitime. C’est un héritage familial, mon père est Jamaïcain…

 

Êtes-vous un type bien qui joue les bad boys ou un bad boy qui joue les types biens ?

Une question difficile… Probablement un mauvais garçon qui essaie d’être quelqu’un de bien. Car “être gentil” ne signifie pas forcément “être quelqu’un de bien”. En ce qui me concerne, je pense vraiment être un mec sympa ! Mais lorsque je prends conscience que ma gentillesse et ma patience sont un peu trop exagérées, j’équilibre la balance et je corrige mes tares. Voilà, maintenant il faut sans doute que j’aille voir un psy.

 

Never Enough, de Daniel Caesar, disponible le 7 avril sur toutes les plateformes de téléchargement.