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Numéro
19 Hallelujah, Leonard Cohen, Documentary

Pourquoi la chanson culte "Hallelujah" de Leonard Cohen a failli ne jamais voir le jour

MUSIQUE

Ce mercredi 19 octobre, sortira un documentaire intitulé Hallelujah, les mots de Leonard Cohen, réalisé par les Américains Dan Geller et Dayna Goldfine. Riche en interviews d’artistes et de personnalités de l’industrie musicale ainsi qu'en images d’archives rares, le film nous rappelle l’histoire folle d’un morceau culte du poète et chanteur canadien Leonard Cohen : Hallelujah (1984). Un tube bouleversant, qui oscille entre le sacré et le profane, et qui a bien failli ne jamais voir le jour… Avant que l'hymne ne s'érige en symbole de la quête mystique de l'icône du rock et du folk tout comme des cheminements spirituels (ou sensuels) de nombreux de ses fans.

  • Leonard Cohen dans les années 70 © The Jokers Films

    Leonard Cohen dans les années 70  © The Jokers Films Leonard Cohen dans les années 70  © The Jokers Films
  • Leonard Cohen par Graeme Mitchell © The Jokers Films

    Leonard Cohen par Graeme Mitchell © The Jokers Films Leonard Cohen par Graeme Mitchell © The Jokers Films
  • Leonard Cohen dans les années 2000 © The Jokers Films

    Leonard Cohen dans les années 2000  © The Jokers Films Leonard Cohen dans les années 2000  © The Jokers Films

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Certains artistes sont connus pour être capables d'écrire des chansons à l’arrière d’un taxi, en quinze minutes, à la manière de Bob Dylan. Mais le chanteur, dandy, musicien, poète, romancier et peintre canadien Leonard Cohen (1934-2016) n’appartenait pas à cette famille d’auteurs-compositeurs. Le musicien a notamment mis plus de cinq ans à écrire le magnifique Hallelujah (1984). Selon la légende, il aurait griffonné entre 80 et 180 versions différentes des paroles de ce morceau folk-rock-gospel, multipliant les brouillons dans des carnets. 

 

Ce mercredi 19 octobre, un documentaire foisonnant intitulé Hallelujah, les mots de Leonard Cohen réalisé par les Américains Dan Geller et Dayna Goldfine, revient en détails sur la folle histoire du morceau culte. Parfois confus, et un peu long, le film a le mérite de donner à voir des interviews de l’artiste, de son ex-compagne, la photographe française Dominique Issermann et de personnalités de l’industrie musicale. Tous tentent de retracent la genèse difficile de cette chanson. On y apprend que Leonard Cohen a enfanté Hallelujah (1984), hymne favori des mariages (et des enterrements), dans les doutes et la souffrance. Les multiples changements de ses paroles (que Leonard Cohen testait ensuite lors de ses concerts) traduisaient en fait un cheminement intérieur et spirituel tourmenté, allant du profane au sacré. Une tension si forte que le morceau a presque failli ne jamais voir le jour. 

 

Dans la liturgie juive et chrétienne, le mot "Hallelujah" désigne l'allégresse des fidèles. Et on l'utilise pour chanter les louanges de son Dieu. Dans la lignée de ce sens littéral, le chanteur canadien à la voix grave a d’abord pensé sa chanson comme une prière mélancolique, avant qu’elle ne devienne beaucoup érotique. La version la plus connue de la ballade, celle qui a été publiée en 1984 (alors que Leonard Cohen est âgé de 50 ans) sur le septième album studio de l'artiste, Various Positions, mêle les métaphores religieuses et les allusions crues au plaisir charnel. Si le chanteur, inspiré par l’étude de la bible et de la Torah, multiplie les références à des textes religieux (notamment au mythe biblique de Samson et Dalila), il glisse rapidement dans un tout autre registre.

 

L'artiste semble en effet évoquer dans certaines sentences un amour brisé ainsi les joies sexuelles du passé. Toutes les bonnes choses finissent en cendres, semble-t-il nous dire. Selon celui qui l’écoute, le morceau peut ainsi être ressenti comme l'éloge d'un souvenir intime précieux ou comme une célébration du divin. La phrase "There was a time you let me know / What's really going on below" ("Jadis, tu ne me cachais pas / Ce qui se passe ici en bas") témoigne parfaitement des doubles sens du morceau. "Ici en bas" peut autant être le monde terrestre ("ici-bas") que le sexe d'une ancienne flamme. "Ce monde est plein de conflits et de points de vue irréconciliables. Mais il y a des moments où nous pouvons harmoniser le chaos et c'est ce que je veux dire par "alléluia"" expliquait Leonard Cohen à propos de son morceau de bravoure sorti après une traversée du désert. Ses deux précédents disques, dont l’un était gorgé de synthés, n’avaient pas trouvé leur public. Avec Hallelujah, Leonard Cohen semblait vouloir, avec ce titre, atteindre une sorte de perfection quasi divine en touchant au sublime.

La vidéo d'une performance live d'"Hallelujah" (2009) de Leonard Cohen à Londres

Si l'ambigu, poétique, sensuel et poignant Hallelujah est aujourd’hui reconnu comme un chef-d'œuvre et comme l’un des plus beaux morceaux jamais enregistrés, il a été boudé à sa sortie, en 1984. La maison de disques de Leonard Cohen, Columbia, n’a pas perçu son potentiel fédérateur et n’a pas sorti l’album Various Positions aux États-Unis, trouvant qu'il manquait de tubes. Il faudra attendre l'année 1991 pour que le musicien gallois John Cale (ex-membre du Velvet Underground) en fasse une reprise qui restera dans les annales et l'année 1994 pour que le titre soit transcendé par la voix céleste et troublante du regretté Jeff Buckley. Bob Dylan a également réalisé sa version du morceau, avant que de nombreux candidats de télé-crochets ne le massacrent.

 

À la mort de Leonard Cohen, en 2016, Hallelujah se classa en haut des charts en France, ce qui lui vaudra, à titre posthume, le premier numéro un de sa carrière. Aujourd’hui, le titre symbolise la quête mystique d’un artiste passionnant qui a débuté tard dans la musique (à la trentaine, après une carrière d'écrivain) et qui a fini ruiné après avoir vécu dans un monastère bouddhiste en Californie (où il a fini par être ordonné moine). Homme à femmes et grand séducteur devant l’éternel, Leonard Cohen aspirait à la sagesse dans l'espoir de dépasser une dépression chronique. Et la mise en scène poétique de cette lutte entre les désirs terrestres et une transcendance qui aiderait à supporter les aléas de l’existence et à croire en l’intérêt d'une vie ici-bas est sans doute ce qui rend Hallelujah si universelle.

 

"Hallelujah, les mots de Leonard Cohen" (2021) de Dan Geller et Dayna Goldfine, en salle le 19 octobre.

La vidéo d'"Hallelujah" (Live at MTV Japan, Tokyo, Japan - January 1995) de Jeff Buckley