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06 Qui est Charlotte Day Wilson, la voix favorite du rappeur Drake ?

Qui est Charlotte Day Wilson, la voix favorite du rappeur Drake ?

MUSIQUE

Découverte dans la bande originale de l'hallucinante série Euphoria, la Canadienne Charlotte Day Wilson a depuis sorti un album sous forme de méditation et d’invocation aux forces suprêmes des esprits. Sa voix, qui résonne comme un mantra plutôt que comme un sifflement devenu viral sur TikTok, a séduit le rappeur Drake, qui l'a samplée sur son dernier album, Certified Lover Boy.

© Othello Grey © Othello Grey
© Othello Grey

Lors de notre rencontre avec Charlotte Day Wilson, en juillet dernier, nous avons évoqué sa relation avec le rappeur superstar Drake. La question est parue un brin intrusive, peut-être même déplacée, et nous avons compris, vu son air coincé, mi-espiègle mi-embarrassé, que la réponse s'évaluait à plusieurs millions de dollars. “J’attends simplement que son album sorte”, a-t-elle rétorqué. Quelques semaines et teasings sur les réseaux sociaux plus tard, nous avons donc découvert, et sans grand étonnement, que la voix suave et profonde (certes très trafiquée) avait été samplée par le roi des lovers, sur le titre Fair Trade, dans son très dégoulinant Certified Lover Boy. Cette même voix qui, depuis quelques mois déjà, est de plus en plus reconnue et appréciée, que ce soit chez les amateurs de pop, de soul et même de gospel…

 

Charlotte Day Wilson s’est incrustée dans la tête de plus de cinq millions de personnes, à peu près en même temps, et le plus souvent sans qu’elles le sachent. Nous sommes à l’été 2019, à un moment où chacun a préféré se coller à son écran plutôt que de plonger dans l’eau salée ou de s’inviter aux soirées trop alcoolisées. Un choix motivé par la diffusion de la première saison d’Euphoria, une série hallucinante sous forme d’expérience de télévision totale, dont personne n’est sorti indemne. Planant et, comme son nom l’indique, euphorisant, le programme produit par Drake (encore lui!) se démarque aussi, à l’époque, par sa bande originale tout aussi démentielle. Parmi les titres, donc, Work, de la Canadienne Charlotte Day Wilson, jusqu’ici peu connue du public. Côtoyant des productions signées de Rosalia ou Billie Eilish, c’est pourtant sa ritournelle qui a éclipsé toutes les autres et s’est gravée dans les esprits comme un tatouage pénètre la peau. Fait d’une percussion lancinante, ce morceau puissant, qui a d’ailleurs également séduit le très sérieux chorégraphe français Boris Charmatz – lui-même déclarant son adoration pour le titre sur une grande chaîne de radio de l’Hexagone –, habille, dans le carton d’HBO, une scène mémorable : les amours naissantes de Jules, une adolescente transgenre, et de Nathaniel, qui s’adonnent à un jeu dangereux de séduction, masquant leur visage, via la messagerie de leur téléphone portable. “Ma musique a souvent été utilisée à la télévision et dans les films et, à vrai dire, je ne les regarde pas toujours. Là, je ne m'attendais pas à ce que ce soit si bien. Et quand j’ai découvert la série, et que je suis arrivé à l'épisode où ils ont utilisé ma chanson, j'étais comme… Subjuguée.” nous confie la chanteuse.

Il faut dire que les histoires d’amour, les contes pour cœurs brisés et les ballades censées les guérir sont l’essence même de la musique de Charlotte Day Wilson. Elle même précise d’ailleurs, sur son compte Instagram, à propos de son premier album ALPHA, qu’il est l’aboutissement de trois années de travail mais surtout le résumé d’une vie de passions et de “chagrins queer”, ces mêmes blessures qu’elle estime partagées par toute une communauté. Peut-être en passe de devenir une figure LGBT de la musique, la compositrice née à Toronto d'un père architecte et d'une mère écrivain participe bel et bien, depuis 2016 et la sortie de son premier EP CDW, à la mutation de la pop. Un genre qui, depuis A Seat at the Table de Solange (2016), a connu une révolution silencieuse. Autrefois fait de structures accrocheuses et de boucles R’n’B extrêmement bien calibrées, la pop s’est débarrassée, avant l’émergence d’artistes comme la sœur de Beyoncé, de ses conventions. “Elle n'essaie pas d'attirer l'attention sur le commercial. C'est une créatrice : elle a pris beaucoup de risques sur When I Get Home [le dernier album de Solange, sorti en 2019]. Les chansons n'avaient pas de structures typiques. La production était bizarre, il y avait des titres très courts…” remarque Charlotte Day Wilson.

 

Avec ses partitions gospel, soul, et folk, ses refrains entêtants, et son album sous forme de méditation et d’invocation aux forces suprêmes des esprits, la Canadienne a pris le train déjà en marche de cette métamorphose. Elle y apporte, en mêlant l’acoustique aux productions soul plus conventionnelles, et en invitant Daniel Caesar, son compatriote star du R’n’B, une vision novatrice : transgressive, bornée, et boudant totalement les productions mainstream. Elle leur préfère des morceaux où les paroles du chanteur supplantent les mélodies (trop) entraînantes. Car Chalotte Day Wilson est avant tout une voix, perçante et solaire, qui résonne comme un mantra plutôt que comme un sifflement devenu viral sur TikTok. Elle fait partie, comme le nom de son propre label l’indique, des “stone women”, ces femmes qui s’efforcent de dynamiter des codes bien établis. Dans son cas, ceux de la pop féminine. 

 

ALPHA (2021) de Charlotte Day Wilson, disponible.