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12 Cashmire est-il la relève du rap parisien ?

Cashmire est-il la relève du rap parisien ?

MUSIQUE

S’il a grandi en plein cœur du 18e arrondissement parisien, Cashmire s’est souvent rêvé en rappeur américain, en référence à ceux qui l’ont toujours fasciné. À bientôt vingt-six ans, l’artiste dévoile son tout premier album, 018, comme un hommage au quartier qui l’a vu grandir. Rencontre avec un rappeur accompli, qui s'est confié autant sur sa jeunesse riche et mouvementée que sur son dernier projet et sur les messages forts qu’il contient.

Le rappeur Cashmire Le rappeur Cashmire
Le rappeur Cashmire

Le vendredi 29 octobre, Cashmire arrive en fanfare à la galerie Ground Effect, à l’occasion de la release party de son premier album, 018. Alors qu’il sort d’une limousine blanche, la foule s’empresse de l’applaudir, d’allumer des fusées et même de lui lancer du riz. À la manière d’un mariage, le rappeur arrive en costume, un bouquet de fleurs à la main, et remercie tous les invités de leur présence. S’ensuit un petit showcase, où Cashmire rappe pour la première fois les titres de son nouveau projet en public, aussi ému que sûr de lui. “Je suis un jeune homme noir, né à Paris, comme il y en a beaucoup. Un petit minot du 18e arrondissement, tout simplement”, affirme directement l'artiste quelques jours plus tard, d'un ton calme et posé. Alors qu'il s’apprête à poster une nouvelle photo sur Instagram, il nous demande notre avis : ce sera un cliché avec un husky. L’interview commence.

 

Si Cashmire reste humble, on ne peut pas vraiment dire que sa vie d'avant était banale. Avant qu'il ne se fasse connaître sur SoundCloud et qu'il ne signe chez Sony, le rappeur a passé une partie de son enfance au Cameroun, son pays d’origine, avant de rentrer en France à l’âge de quatre ans, où il débute sa scolarité dans le 18e arrondissement de Paris. Tout bascule à l’âge de dix ans, lorsqu’il passe une année à Baltimore aux Etats-Unis chez son oncle, un ancien footballeur professionnel camerounais. Là-bas, il découvre l'exubérance américaine, et surtout, le rap : "Alors que j’aidais mon oncle chez Jerry's, son snack, j’ai appris à parler anglais et j’ai découvert le rap américain, surtout 50 Cent. J'ai aussi été marqué par leur style et leur histoire si intéressante et riche.”

À son retour, Cashmire suit une scolarité mouvementée, entre une ZEP et un pensionnat près d’Angers qu’il fréquentera en quatrième. “Je travaillais bien mais j’avais des problèmes de comportement. Puis au lycée, j’étais comme Puff Daddy, j’allais à l’école dans les quartiers riches [au Lycée Racine, près du Parc Monceau à Paris] et je rentrais le soir au quartier”. Si sa mère écoutait plutôt Julio Iglesias, Serge Gainsbourg et Alain Souchon, Cashmire a tout de même décidé de se tourner vers le rap : “Au coin de la rue Riquet, tout le monde rappait autour de moi. Il y avait déjà un fort bouillon culturel à la maison, et dehors c’était la même chose. Mais quand j’ai commencé à écouter Doc Gyneco, Booba, Oxmo Puccino ou Rohff, ça a vraiment changé ma vie.”

 

C’est à l’âge de dix-huit ans que le jeune homme entre dans un studio d’enregistrement pour la première fois et découvre l’Auto-Tune. Si il était jusqu'ici habitué à faire des freestyles ou bien à écrire des textes dans son coin, il commence alors à enregistrer ses premiers titres, et les poste sur SoundCloud. Très vite, le succès est au rendez-vous et Cashmire commence à prendre cette activité au sérieux. “Je me suis trouvé une véritable équipe, avec un ingé son notamment. J’ai sorti mon premier projet en 2018, PoeticGhettoSound, qui était comme ma carte d’identité musicale”. Une première mixtape qui fera parler de lui et provoquera l'intérêt des plus grands labels. Pour la première fois, Cashmire parle du rap à sa mère, qui lui donne sa bénédiction, et commence à réfléchir à un premier album. Au fil des années, les idées changent, le projet se construit et aboutit à 018, son premier opus sorti le 29 octobre 2021.

Cover de l'album 018 de Cashmire Cover de l'album 018 de Cashmire
Cover de l'album 018 de Cashmire

À travers ce projet, Cashmire rend hommage à son quartier, le 18e arrondissement. “Dans le titre Yaki, je parle de la rue, et je ne la glorifie pas du tout. Au contraire, j’en livre une vraie critique. Sur La Colline, j’évoque également la ‘colline du crack’. Comme les reportages télévisés, j’ai voulu en parler de la manière la plus honnête possible, mais en musique”. Sur le titre Madame Franc CFA, Cashmire parle de ses origines africaines, et dénonce la monnaie coloniale encore utilisée dans le continent (en référence au Franc CFA, monnaie héritée de la colonisation encore de vigueur dans quatorze pays d'Afrique). Si jusqu’ici on connaissait le rappeur pour ses mélodies entêtantes, son flow efficace et son esthétique léchée, Cashmire se livre plus profondément dans cet album, n’hésitant pas à évoquer des causes qui lui sont chères.

 

L'artiste donne également une grande importance à la beauté et au sens de ses visuels, à l’instar de la cover de son album, qui fait référence à celle du compositeur japonais Ryūichi Sakamoto pour son album Sweet Revenge, et qui a été shootée par un photographe de mode. “Je me considère comme un esthète. Je veux montrer grâce à mes visuels et mes clips qu’un petit du quartier peut faire des belles choses et sortir de tout ça. Je reste dans cette démarche de casser les barrières et de ne surtout pas faire ce qui est attendu de moi”. Après une heure d'interview, Cashmire s’apprête à rejoindre son équipe au studio d’enregistrement et révèle qu’il aimerait parler d’amour et de relations, quelles qu’elles soient, dans son prochain projet. On le quitte avec une question : Cashmire serait-il la relève du rap parisien ? 

 

018 (2021) de Cashmire, disponible.