Pourquoi on n’échappera pas au revival des années 2000
Après un retour remarqué de la mode des années 90, ce sont les tendances des années 2000 tout en extravagance et “mauvais goût” assumé qui se sont installées de façon durable dans le paysage mode et la pop culture. Pourquoi tant d’amour ?
“C’est vraiment cool de voir les vêtements que je portais sur les défilés sur les filles d’aujourd’hui, parce qu’à l’époque, personne ne s’habillait comme moi”. On se souvient encore avec émoi de cette vidéo hilarante de Paris Hilton publiée par le W magazine en 2017, dans laquelle la fausse écervelée des années 2000 expliquait avoir inventé, telle une reine des avant-gardes, le style du moment. Et on ne peut pas contredire la socialite. Depuis 2016, les mannequins, célébrités et influenceuses ne jurent que par les jeans taille basse, les strings apparents strassés et les mini robes à bretelles. On a ainsi vu récemment la pop star Dua Lipa, les top models Kendall Jenner et Bella Hadid vêtues comme Paris Hilton et Nicole Richie dans l’émission de télé-réalité The Simple Life (2003-2005), un remake de Mean Girls (2004) ou une version revisitée de la saga Matrix (1999). Après le retour du grunge et du normcore des années 90, c’est le bling sexy des années 2000 avec tout ce qu’il comporte de mauvais goût qui fait son retour en force.
Cette esthétique forte, Alice Pfeiffer, journaliste de mode et auteure du livre Le goût du moche (éditions Flammarion) la résume ainsi : « C’était le début de la démocratisation du luxe, l’arrivée de la socialite, du ‘être célèbre pour être célèbre’, des signes extérieurs de richesse, marqueurs de privilèges, rendus accessibles et brandis comme le miroir d’une culture néolibérale et d’une société du « ladder climbing » (le fait de grimper les échelons) en plein essor. C’était aussi la rencontre des modes, des générations, des sphères et des classes sociales autour d’une redéfinition des idées de gloire, de visibilité et de capital financier. »
Casquettes Von Dutch, joggings peau de pêche et strings apparents
Que ce soit sur les podiums des défilés ou dans la rue, les références à la mode Y2K (le passage à l’an 2000) sont partout. Le jogging Juicy Couture, les bottes fourrées UGG, les casquettes Von Dutch, les jeans taille basse, les bijoux en Plexiglas, les strass ou encore les crop-tops… Tout ce qui était tendance à cette époque est d’abord devenu ringard pour finir, récemment, par redorer son blason et s’ériger en sommet du cool et du branché. “Les gens en ont eu marre d’avoir bon goût, de s’habiller comme il faut. Il y a un vrai retour du côté vulgaire et du trash des années 2000. Les jeunes n’ont pas connu ces années-là, donc ils ont envie de s’amuser avec. C’était des années assez fun au final”, affirme Olivia da Costa, photographe et fondatrice de Please Magazine et Pleaseness, e-shop de bijoux vintage. Un côté exubérant que les labels s’approprient en proposant des collections inspirées d’icônes sensationnelles des années 2000, à l’instar de Guess qui rendait hommage, en octobre dernier, à la mannequin Anna Nicole Smith en lançant une collection capsule lui rendant hommage. On retrouve à profusion – qui plus est, à des prix revus à la hausse ! – les pièces phares des années 2000 sur de multiples plateformes de vintage (Vinted, Vestiaire Collective) et comptes Instagram dédiés à la vente de seconde main (@rdbvintage et @the_vintage_bar). La nouvelle génération s’exhibe désormais avec n’importe quelle pièce estampillée Y2K : gros logo apparent, teintes pastel et nacrées, denim clair, rose flashy, matière éponge et peau de pêche.
Pour Alice Pfeiffer, l’apparition du Covid et des confinements a été un moment charnière dans ce grand déballage. « Même s’il y avait des prémices avant, c’est en plein confinement qu’on a vraiment pu observer le grand retour des années 2000, une période où la société a réinvesti la sphère domestique et s’est alors amusée avec des looks autour du pyjama, du sportswear, des fameuses chaussures Crocs, comme le faisaient autrefois Britney [Spears], Paris [Hilton], Lindsay [Lohan], Nicole [Ritchie]. Quand on a brouillé les pistes entre intérieur et extérieur, privé et public, on a ressorti les années 2000 – l’opposé de la tenue formelle et du powerwear par excellence – et le bling décliné en version enfantine, comme des symboles du privilège d’exercer son droit à la paresse et du luxe de s’habiller de manière informelle. Le confinement nous a donné matière à réflexion et à style. Il a permis au sportswear de devenir ludique et a investi d’une symbolique de pouvoir ce vêtement qui, d’un coup, n’était plus seulement symbole de l’enfermement, mais également d’une échappatoire intangible. »
… et sac Cagole
Saveria Mendella, anthropologue et linguiste de la mode, évoque d’autres raisons à cet engouement. Elle note : “L’esthétique des années 2000 plaît autant car elle est tout-terrain. Elle est sportswear tout en étant sexy, et plus gender fluid – on se souvient, notamment, des pantalons baggy – tout en permettant à celui ou celle qui la porte de s’affirmer. Elle rejoint ainsi toutes les discussions autour du genre qui ont lieu actuellement.” On voit aussi les pièces vintage de grands designers de l’époque s’envoler : les créations signées Gucci période Tom Ford, John Galliano chez Dior ou encore Versace voient leur cote tripler de valeur. Quant aux maisons de luxe, elles rééditent leurs pièces emblématiques des années 2000, à l’instar de Dior qui présente une nouvelle version du sac Saddle en 2018, soit dix-huit ans après sa première apparition sur le défilé “Logomania” printemps-été 2000. D’autres grands noms ont aussi profité de la tendance pour recapitaliser sur certaines de leurs créations, comme Fendi avec son iconique sac Baguette, et Prada avec son fameux modèle en Nylon, réédités à plusieurs reprises ces dernières années.
Chez Balenciaga, le directeur artistique Demna Gvasalia, qui joue du bon et du mauvais goût comme personne, présentait il y a un an l’un de ses nouveaux modèles de sacs, le Cagole, qui reprend tous les codes de l’ère “Loana » : forme arrondie, clous, miroir en forme de cœur et coloris affriolants. Sur les podiums, les designers ressuscitent également certaines pièces phares des années 2000 dans leurs collections printemps-été 2022. Chez Miu Miu, les mini-jupes affichent une taille basse insolente et s’associent à des micro chemises, alors que Blumarine ponctue ses looks ultra sexy de paillettes et de papillons. Enfin, chez Dior, les silhouettes très sages façon sixties se débauchent au contact de maxi bagues en plastique coloré.
Le retour des bimbos
Côté pop culture, on ressort les stars de l’époque qui sont aujourd’hui devenues plus chics que cheap. La bimbo Pamela Anderson aura bientôt droit à un biopic sur sa sextape. Lindsay Lohan sera à l’affiche d’un film de Noël sur Netflix en 2022. Et Britney Spears, enfin libérée de la tutelle abusive de son père, vient de se voir célébrée dans deux documentaires. Tout le cinéma et la musique de l’époque semblent être subitement devenus bankable. Les stars du r’n’b d’aujourd’hui comme Doja Cat ou Kali Uchis puisent allègrement dans le répertoire d’Aaliyah et des Destiny’s Child. Lorsqu’on demandait il y a peu à la chanteuse française Joanna pourquoi elle était attirée par cette période bénie, elle nous répondait : “C’est un mélange de plein de choses, dont je n’ai pas pleinement conscience. C’est sûrement parce que j’ai grandi dans ces années-là, j’en suis imprégnée. Il y a vraiment des sonorités spécifiques de cette époque, et notamment une extravagance qui revient aujourd’hui, et je trouve ça inspirant.”
Quant aux séries TV des années 2000, elles se voient presque toutes modernisées par des reboots ou des suites à l’image de Gossip Girl, Sex and the City, Sexe Intentions, Charmed, Cruel Intentions ou Scream. Même les productions originales actuelles comme Euphoria ou Elite s’inspire de l’esthétique de l’ère Christina Aguilera/jean neige. Mais pourquoi autant d’attirance pour ces programmes ? Le Covid, qui nous a poussés à voir ou revoir des créations de télévision vintage, aurait-il pesé sur nos penchants ? Pour Saveria Mendella, “le confinement a clairement eu un impact au niveau des séries puisque beaucoup se sont mis à regarder Charmed ou Friends.”
Revival politique ?
Cette tendance n’aurait pu être qu’un feu de paille. Pourtant, l’esthétique fun et décomplexée de cette période ne cesse de revenir depuis environ cinq ans. Envie d’insouciance dans une période difficile ? Nostalgie consolatrice ? Éternel retour du même ? Plusieurs raisons peuvent expliquer cette lubie qui ne faiblit pas. La puissance des réseaux sociaux d’abord, qui pousse à poster des photos qui font réagir. Or les pièces fortes et bling des années 2000, souvent perçues comme du “mauvais goût”, font partie de celles qui font naître de vives réactions, que ce soit des likes ou des dislikes. Dans une quête du buzz à tout prix, le string apparent fait toujours son petit effet. Il y a aussi un attrait du moche, qui fait toujours plus parler de lui que le neutre ou le beau.
Alice Pfeiffer analyse : » Plusieurs sociologues l’ont constaté : quand on parle des années 2000, on ne parle pas de l’effondrement des tours, mais, en creux, on se fascine pour l’après-11 septembre. Le moche semble être un marqueur de l’effritement du rêve américain, de la déchéance du pays, de l’arrêt de la carrière de Britney Spears, des abus de Lindsay Lohan. Aujourd’hui, ce rêve en décomposition ouvre sur une possibilité assumée de déconstruction du monde occidental, de mise en abyme, de prise de distance et de réinvention hors de carcans et idéaux binaires, patriarcaux et capitalistes. »
Il faut aussi rappeler qu’à l’époque, personne n’avait de peur du ridicule puisqu’aucun smartphone n’était là pour immortaliser nos moments de honte. On pouvait donc se permettre plus de lâcher-prise. Saveria Mendella explique : “C’est une esthétique qui peut séduire idéologiquement la nouvelle génération. En ce moment, les gens ont envie de légèreté et veulent rire, et finalement, c’était une époque plutôt insouciante. C’est une façon de tourner en dérision le poids social ambiant.” Plus politique qu’il n’y paraît, ce retour des années 2000 marque le revival d’un moment où on affichait librement, joyeusement et sans tabou (mais avec beaucoup de gloss) sa sexualité et son identité. Et à l’heure où tout le monde tend à se ressembler, normes Instagram-TikTok obligent, cette excentricité fait un bien fou…