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Numéro
12 K11 fashion cinema exhibition ryuonosuke

Les plus belles pièces couture d'Occident et d'Asie dialoguent au K11 Museum

MODE

Le K11 Museum, création du grand collectionneur chinois Adrian Cheng, célèbre jusqu'au 29 janvier la couture à travers une très belle sélection de créations historiques et contemporaines, aussi bien occidentales qu'asiatiques. L'exposition, réalisée en partenariat avec le prestigieux Victoria & Albert Museum de Londres, revient sur les liens, les échanges et les dialogues entre couturiers européens et orientaux. Pour Numéro, les commissaires de l'évènement William Chang Suk Ping (célèbre créateur des vêtements du film In the Mood for Love) et Claire Allen-Johnstone du V&A reviennent sur l'histoire de quelques pièces iconiques qui y sont présentées.

Le japonais Ryunosuke Okazaki Le japonais Ryunosuke Okazaki
Le japonais Ryunosuke Okazaki

L'exposition The Love of Couture : Artisanship in Fashion Beyond Tome présente jusqu'au 29 janvier à Hong Kong quelques joyaux des collections du prestigieux Victoria & Albert Museum de Londres, ainsi que des créations de six couturiers parmi les plus prometteurs d'Asie inspirées par les robes de l'institution britannique. Visite guidée aux côtés du célèbre costumier et set designer William Chang Suk Ping et de la commissaire du V&A Claire Allen-Johnstone.

 

Numéro : Vous avez sélectionné pour cet entretien deux robes contemporaines signées par des couturiers asiatiques. Quelles sont-elles ?

William Chang Suk Ping : Chacune des robes créées par les six couturiers est à la fois impressionnante, spéciale et unique, et propose une approche contemporaine de la mode haute couture. Ces deux designers ont bien sûr mis l'accent sur la structure, mais avec une approche contemporaine qui va même jusqu’à incorporer des concepts futuristes ou 3D dans les pièces. En ce qui concerne les silhouettes de Ryunosuke Okazaki, elles s'adaptent parfaitement au corps tout en le dévoilant. En examinant les pièces du V&A et les robes des six créateurs, nous pouvons voir que l'histoire, notre société, et donc notre culture, façonnent la manière dont ces pièces et ces coupes ont été pensées et ont évolué au fil du temps. Une chose est sûre cependant, les couturiers à l’origine de ces créations partagent une passion et un amour commun pour la créativité.

 

Qui sont ces six couturiers contemporains ?

Les six couturiers asiatiques retenus pour cette collaboration ont reçu des distinctions de la part d’institutions comptant parmi les plus prestigieuses au monde, tels que le prix LVMH, le Forbes 30 Under 30 ou le Dazed100. Ils sont originaires du Japon, de la Corée du Sud, de Chine et de Hong Kong. Chaque créateur porte en lui une vision unique de la mode et tous viennent d'horizons culturels différents. Nous les avons invités à créer de nouveaux modèles s'inspirant des douze robes du V&A qui seront également exposées au K11 Musea à Hong Kong, afin de donner au visiteur l'occasion de repenser le lien entre passé, présent et futur dans la mode. Certains sont connus pour avoir adopté de nouvelles méthodes de fabrication, telles que l'impression 3D, la découpe au laser ou encore l'incorporation de vêtements techniques dans leurs créations.

 

Que vous évoquent ces deux robes ?

La créativité à l’état pur. Hier comme aujourd’hui, les créateurs et artisans partaient de zéro pour créer quelque chose, avec pour seules bases leur imagination, leur concept et leur expérience. Lorsque les visiteurs déambuleront à travers les salles d’une exposition leur relatant l'histoire complète de la mise en œuvre des pièces sélectionnées venant du V&A et des robes créées par les six créateurs, ils seront invités à se demander "comment cela a-t-il été été créé ?" et "pourquoi est-ce que cela a été fabriqué de cette manière ?" Ce qu’il faut comprendre avant tout est que la Passion est synonyme d'Amour ; un élément essentiel pour concevoir et créer. À l’issue de cette exposition, nous comprenons que l'histoire, la culture, l'art, la musique et les rencontres ont un impact sur l'évolution de la mode.

 

Pourquoi avez-vous choisi de présenter ces robes au sein de cette exposition en particulier ? 

L'inspiration m’est venue lorsque je suis tombé sur le poème Love After Love de Derek Walcott. Pour que l'exposition puisse présenter l'art de la couture, aujourd'hui comme il y a 200 ans, il a fallu des siècles de passion dévouée à la conception et la création – beaucoup d’amour somme toute ! Dans cette exposition, vous pouvez observer les meubles que j'ai conçus. Certains prennent la forme de plantes et représentent la croissance, d’autre des horloges et font écho au temps. Tous racontent comment la passion conduit à la créativité de manière intemporelle, comme un cycle. La pièce maîtresse de l’exposition est une sculpture représentant une tête gigantesque. L’œuvre fusionne la tête d’un homme et celle d’une femme, et dévoile l’activité du cerveau d’une personne amoureuse à travers une image IRM. C’est également la métaphore d’une personne amoureuse du processus de conception et de création.

 

 

L’hongkongaise Celine Kwan L’hongkongaise Celine Kwan
L’hongkongaise Celine Kwan

Vous avez également sélectionné pour cet entretien deux robes issues des collections du V&A. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les deux robes ci-dessus ont été sélectionnées car leur structure a vraiment attiré mon attention. L'utilisation d'un tissu souple afin de créer une structure audacieuse pour la jupe de costume, ou la superposition de couches de volants et de drapés pour la robe de jour, témoignent d’une certaine passion, d’un amour, et d’une compréhension de la matière en elle-même de la part des artisans-couturiers de l’époque pour confectionner de telles pièces. Ces deux modèles enveloppent le corps, tout en laissant transparaître la silhouette féminine et les courbes du corps. Tout comme la qipao [robe chinoise traditionnelle] dans une certaine mesure, le vêtement enveloppe complètement le corps, mais reste très sensuel car la silhouette est toujours « dévoilée ».

Jupe de costume et chemisier. Créés par Elspeth Champcommunal pour la collection « Worth London, Utility Clothing Scheme » de l'Incorporated Society of London Fashion Designers, Londres, Angleterre, automne 1942.

Jupe de costume et chemisier. Créés par Elspeth Champcommunal pour la collection « Worth London, Utility Clothing Scheme » de l'Incorporated Society of London Fashion Designers, Londres, Angleterre, automne 1942.

Robe de jour. Angleterre, vers 1885.

Robe de jour. Angleterre, vers 1885.

Légende : Robe de mariée, Angleterre, entre 1835 et 1840, don de Mme Catherine Rose © Crédits photo V&A. Légende : Robe de mariée, Angleterre, entre 1835 et 1840, don de Mme Catherine Rose © Crédits photo V&A.
Légende : Robe de mariée, Angleterre, entre 1835 et 1840, don de Mme Catherine Rose © Crédits photo V&A.

Vous présentez au K11 Musea une robe issue de vos collections au V&A. Quand a été créée cette robe de mariage ?

Claire Allen-Johnstone : Mme Catherine Rose, qui a fait don de cette robe au V&A dans les années 1940, a expliqué que le vêtement avait été porté, une fois seulement, à l’occasion d’un mariage à la campagne. On pourrait dater cette robe autour de 1840 et rattacher son origine au comté de Gloucestershire en Angleterre. Certains éléments comme les manches bouffantes aux poignets serrés sont caractéristiques de la mode féminine britannique en vogue à cette époque. À partir de cette date, les femmes britanniques issues de milieux aisés vont progressivement porter du blanc pour leur mariage. La reine Victoria participera à la popularisation cette nouvelle tendance lors de son mariage en 1840. Pour de nombreuses de femmes, l’option du blanc n’était pas la plus convenable en raison de la difficulté à entretenir cette couleur. À l’époque victorienne, les femmes avaient pour habitude de revêtir leur robe de mariée pour d’autres occasions. La robe ici présente est une exception. Cette dernière aurait été rangée dans une boîte en bois après le mariage et conservée dans la famille jusqu’à ce qu’elle soit donnée au V&A cent ans plus tard.

 

Que vous évoque cette robe ?

D’une part, la robe a été magnifiquement réalisée et évoque un mariage qui, espérons-le, fut un heureux événement. D’autre part, elle soulève des histoires difficiles. Le coton utilisé pour la confection de cette robe, comme pour beaucoup d’autres à cette époque, en est un parfait exemple. En Angleterre comme ailleurs, la demande en coton reposait alors sur la main-d’œuvre des esclaves aux États-Unis.

 

Pourquoi avez-vous choisi de présenter cette robe dans cette exposition en particulier ? 

Cette pièce exposée au K11 nous permet de remonter le temps de la mode féminine britannique et française jusqu’aux années 1830 et 1840. Il s’agit de la pièce la plus ancienne de la collection d’objets du V&A présentée dans l’exposition The Love of Couture: Artisanship in Fashion Beyond Time. Je trouve que le motif cachemire sur coton imprimé, inspiré des textiles importés tels que les châles du Kashmir, prend tout son sens dans le contexte de cette exposition. Il met en lumière le fait que, depuis des siècles, les créateurs puisent leur inspiration dans le monde entier. À cette époque, de tels imports étaient la résultante de logiques coloniales, ce qui inscrit cette robe dans une période difficile de l’histoire.

 

 

Légende : Robe de soirée La Sylphide, créée par Charles James, Paris, France, 1937 © Charles James, crédits photo V&A. Légende : Robe de soirée La Sylphide, créée par Charles James, Paris, France, 1937 © Charles James, crédits photo V&A.
Légende : Robe de soirée La Sylphide, créée par Charles James, Paris, France, 1937 © Charles James, crédits photo V&A.

Vous avez choisi de nous parler d'une seconde robe issue elle aussi des collections du V&A. Quelle est-elle ?

Claire Allen-Johnstone : Créée une centaine d’années après la première, cette deuxième robe a été conçue par le couturier anglo-américain Charles James, qui travaillait en France à cette époque. C’est une pièce de haute couture, déclinée en matières et couleurs diverses et variées. Les clients pouvaient demander des retouches spécifiques. La robe exposée est principalement composée d’organza de soie jaune et ornée de fleurs roses et jaunes. Elle appartenait à l’artiste britannique Marit Guinness Aschan [née en 1919], l’une des ferventes supportrices de James.

 

Qui était ce couturier ?

Charles James a eu une carrière internationale importante, avec pour points d’ancrage New York, Londres et Paris. Il a développé une série de modèles qui lui étaient propres, allant des pièces avant-gardistes aux robes fluides coupées en biais si caractéristiques de la garde-robe féminine britannique et française des années 1930.

 

Que vous évoque cette robe ?

Selon moi, cette pièce a été conçue de manière à exprimer une certaine nostalgie et un certain romantisme. Elle comporte de nombreuses références historiques, telle la ceinture inspirée de la corseterie des années 1860, tandis que les petits bouquets rappellent les bals et les mariages.

 

Quel détail de cette robe vous interpelle le plus ?

Je me demande ce qui a amené la jeune Marit Guinness Aschan à opter pour cette palette de couleur en particulier, comprenant du jaune et des touches de rose. Elle travaillait souvent avec la couleur bleue dans ses peintures. Ce modèle est connu pour avoir été décliné en différentes teintes, dont le mauve et le blanc.

 

Pourquoi avez-vous choisi de présenter cette robe dans le contexte de cette exposition à Hong Kong ?

L’exposition The Love of Couture: Artisanship in Fashion Beyond Time parle essentiellement de connexions entre des espaces-temps, et cette pièce s’inscrit parfaitement dans ce thème. Elle n’est pas tout à fait caractéristique des tenues de soirée en vogue à la fin des années 1930 en Europe occidentale, époque où les robes moulantes faisaient fureur. La jupe ample de cette robe est un des aspects de son historicisme. L’ensemble de la pièce est grandement inspiré de la mode du XIXe siècle spécifique à cette aire géographique, qu’il s’agisse de la jupe cintrée ou de son nom en lui-même. Le titre La Sylphide est tiré d’un ballet français datant du XIXe siècle.

 

The Love of Couture: Artisanship in Fashion Beyond Time Exhibition au K11 Musea, du 8 décembre 2022 jusqu'au 29 janvier 2023. 6F, Kunsthalle, K11 Art & Cultural Centre, 18 Salisbury Road, Tsim Sha Tsui. www.k11experience.com