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Les dessous du Bisou, le club qui réunit le cinéma et la mode à Paris

CULTURE

Tom Guez et Dorion Fiszel ont convaincu la directrice de La Caserne, Maeva Bessis, d’installer tous ensemble une nouvelle marque – le club Bisou –, du jeudi au samedi, en remplacement du Carbone, dans le Xe arrondissement de Paris. On y croise des créatures de la nuit, des musiciens, des jeunes acteurs de la mode et des noctambules improvisés. Tom Guez, cofondateur du projet, raconte à Numéro la genèse de ces soirées au succès retentissant.

La soirée “Je t’aime party” à La Caserne dans le Xe arrondissement de Paris.

Un club 400 m2 dans les sous-sols de la Caserne, à Paris

 

Voilà maintenant plusieurs années qu’une rumeur se propage dans la capitale : il n’y aurait plus d’endroit où faire la fête à Paris. En tout cas aucun club digne de ce nom. Pour couronner le tout, la presse en remet une couche en affirmant que la génération Z fuit les boîtes de nuit comme la peste. En 2022, une étude menée par la plateforme britannique Keep Hush – spécialisée dans l’organisation et la promotion d’événements – rapportait que seuls 25 % des jeunes de 10 à 25 ans se disaient intéressés par les sorties en club… et le chiffre tombait à 13 % pour les potentiels fêtards âgés de 26 à 41 ans. 

 

La faute à la pandémie de Covid 19, aux tarifs démentiels des consommations et à l’addiction aux réseaux sociaux, le mal du siècle. Mais certains persistent à croire qu’il est encore possible de faire la fête dans la Ville Lumière. C’est le cas du musicien Dorion Fiszel – à l'initiative des soirées “Je t'aime party” – et de son associé Tom Guez, qui se sont emparés des 400 m2 du sous-sol de La Caserne, un incubateur de mode responsable du Xe arrondissement. Ils ont convaincu la directrice générale, Maeva Bessis, d’installer tous ensemble une nouvelle marque – les soirées Bisou –, du jeudi au samedi, en remplacement du Carbone, club techno underground qui a finalement tiré sa révérence. 

 

On y croise des créatures de la nuit, des artistes, des jeunes acteurs de la mode et des noctambules improvisés. Du funk au disco, le Bisou et ses lumières mauves semblent convenir aux néophytes comme aux amateurs de sensations fortes. Numéro a rencontré Tom Guez, cofondateur, pour en savoir davantage sur la genèse de ce projet.

 

 

Interview de Tom Guez, co-fondateur du Bisou

 

 

Numéro: Suis-je en face d’un homme épanoui ou d’un trentenaire épuisé et au bout du rouleau ?

Tom Guez: [Rires.] D’un homme très épanoui. Ma vie a radicalement changé. J'ai fait plein de choses différentes par le passé, vous savez. J’ai travaillé pendant sept ans dans une société d’informatique, j’ai été commercial… tout en étant un gros fêtard à côté.

 

 

Nous voulions une fête gratuite, un lieu propice aux rencontres. Le plus important pour un club, c'est sa dynamique.

 

 

Que voulez-vous dire par “gros fêtard” ? La définition varie selon les individus…

Je faisais la fête tous les week-ends tout en cherchant à embarquer des gens dans mon délire. Je crois tenir ça de ma mère. S’amuser, danser, rire… tout cela est devenu fondamental avec le temps. Donc je savais que, si j’ouvrais un club un jour, il fallait que les gens y dansent vraiment. J’ai récemment célébré mes trente ans en organisant l’anniversaire de mes rêves : réunir tous les amis que j'ai rencontré dans ma vie. Je me suis vraiment fait plaisir. Puis j’ai finalement osé franchir le cap : cette passion est devenue un métier. Mais je ne vous cache pas que j’avais peur de… ne plus rien ressentir. Un peu comme lorsque, adolescent, vous retrouviez vos amis de colonie de vacances quelques semaines après la fin de l’été. C’était bel et bien eux mais quelque chose avait disparu.

Dorian Fiszel (à gauche) et Tom Guez (à droite) à La Caserne lors d’une soirée Bisou.

Comment les soirées Bisou sont-elles nées ? Etait-ce un fabuleux hasard ou une stratégie bien ficelée ?

J’ai rencontré Dorion Fiszel à deux reprises par le plus grand des hasards. J’étais un immense fan de ses prestations en tant que DJ et nous avons toujours eu des rapports très cordiaux sans pour autant devenir amis. J’ai commencé à envisager de me lancer dans le milieu de la nuit et c'est la première personne à laquelle j’ai pensé pour s’associer à moi. Je lui ai dit : “Nous partageons les mêmes valeurs, nous avons le même rapport à la fête, nous cherchons des soirées inclusives où les gens dansent et se sentent bien. Faisons-ça ensemble !” À cette époque, j’étais dans une période plutôt techno. Ma rencontre avec Dorion m’a remis un pied dans les soirées disco, plus sensuelles, plus euphoriques. Nous avons eu la chance de rencontrer Maeva Bessis, la directrice générale de La Caserne. Une femme très intelligente et une incroyable businesswoman. Il y avait un créneau à prendre le jeudi après l’arrêt du Carbone. Et nous nous sommes présentés en tant que coproducteurs des soirées Bisou.

 

Quel concept défendiez-vous ?

Nous voulions une fête gratuite, un lieu propice aux rencontres. Le plus important pour un club, c'est sa dynamique. Quelle est ta soirée ? Est-ce que tu passes ton temps à te faire bousculer par les gens ? Est-ce que tu fais la queue pendant une heure au bar ? Est-ce que le fumoir est un enfer ? Et j’aimais beaucoup la dynamique du Carbone, ce lieu avait un potentiel assez dingue. Lorsqu’on m’a proposé de reprendre le jeudi, j’ai accepté sans même savoir ce que j’allais y faire. Aujourd’hui, nous avons la chance de côtoyer énormément d'artistes issus de tous les milieux : mode, musique, cinéma… S’ils viennent, c’est qu’ils s’y sentent bien. Tout le monde s’amuse, tout le monde se respecte, personne ne dérange les autres.

 

Une fois le projet lancé, vous êtes-vous heurté à des impondérables ?

Parfois, des gens débarquent pour s’offrir des tables à des prix exorbitants. Comme si le principe de “la table” était systématique pour un club… Le meilleur compliment que l’on puisse nous faire à Maeva, Dorion et moi, c’est : “Je ne sortais plus à Paris. Maintenant je suis dehors toute la semaine. J’ai même fait la fermeture du club hier.

 

 

Les gens en ont assez d’entendre que Paris n’est plus une ville de fête. Paris c’est Régine, les Bains Douches, le Palace… Si la fête a progressivement disparu, c’est aussi parce que les gens en avaient assez d’être mal reçus.

 

 

Bon, entrons dans le vif du sujet. N’est-ce pas profondément dégueulasse de faire entrer des gens dans le club immédiatement après leur arrivée alors que d’autres font la queue depuis une heure ?

Croyez-le ou non, mais nous avons longtemps été contre ce principe.

 

Je ne vous crois pas.

[Rires.] Si, nous étions même contre les listes ! Désormais, elles sont uniquement réservées aux DJ qui souhaitent assurer une entrée à leurs amis. Mine de rien, cela reste essentiel. Mais un club, ce n’est pas une salle de concert. C’est un endroit où vous êtes supposé revenir parce que vous vous sentez chez vous, parce que vous êtes bien reçu et parce que vous y retrouvez une communauté. Avec le temps, le club devient une habitude. Si nous avons un physionomiste au Bisou ce n’est pas tant pour garantir une sélection à l’entrée mais plutôt pour reconnaitre les habitués et leur faire passer un moment privilégié. Il y a des gens que nous voyons trois fois par semaine, ce ne serait pas normal de les faire patienter comme n’importe qui d’autre. Cela étant, je ne vois pas pourquoi nous les ferions entrer lorsqu’ils débarquent à pas d’heure avec une dizaine d’amis. Je me souviens d’un samedi soir où une habituée s’est pointée avec six ou sept potes à elle, à 2h30 du matin, justement au moment où il y a une queue pas possible dehors. Je veux bien être gentil mais il ne faut pas non plus que ces clients abusent de notre hospitalité.

À ce propos, quels sont vos critères de sélection à l’entrée du club ? 

En général, nous évitons d’accueillir des clients un peu trop jeunes. Je considère qu’à 23 ou 24 ans, vous devez encore faire vos armes dans des clubs différents. Idem pour les jeunes majeurs : à 18 ans, vous n’êtes pas supposé côtoyer des trentenaires, selon moi, cela n’a aucun sens. Faire la fête, ça s’apprend ! Et nous ne souhaitons pas passer la nuit à gérer les excès des uns et des autres. Mais je comprends parfaitement qu’on puisse ne pas être d’accord avec moi. Mon travail c'est de garantir que la fête soit suffisamment bonne pour que chacun ait envie de rester. Lorsque j’interdis l’accès à une jeune fille de 20 ans qui envisage de s’adonner à certains excès c’est pour lui éviter une overdose qui causerait, en plus, la fermeture de l’établissement.

 

 

Pendant longtemps, la popularité d’un club était liée au bouche-à-oreille. Avec l’avénement des réseaux sociaux, le moindre incident peut devenir viral. 

 

 

Comment avez-vous lancé votre première soirée ?

L'investissement initial était proche de zéro. C'est la première soirée qui a financé nos achats : à savoir le logo et le néon qui est à l'entrée. Pour le nom, on cherchait quelque chose de simple, de léger et d’international. Mon associé a lancé : “Bisou !” Et c’est ce que nous avons gardé. Ce n’est pas la plus folle des anecdotes mais cela répond à votre question. [Rires.]

 

Certains de vos concurrents ont-ils tentés de vous intimider au lancement du projet ? Je crois savoir que certains de vos homologues du milieu de la nuit subissent parfois des pressions.

Figurez-vous que c’est plutôt le contraire. Nous avons reçu beaucoup de patrons de boîtes de nuit et tous leurs messages étaient assez positifs : “Franchement, ça remet un peu les pendules à l’heure.” Visiblement, eux-aussi en ont assez d’entendre que Paris n’est plus une ville de fête. Paris c’est Régine, les Bains Douches, le Palace… Si la fête a progressivement disparu, c’est aussi parce que les gens en avaient assez d’être mal reçus. L’argent servaient à payer des DJ hors de prix et les billets d’entrée l’étaient tout autant. Créons plutôt un lieu de fête incroyable sans inviter de DJ stars tout en recevant convenablement nos clients. Les immenses boites de nuit qui proposent des tables à des prix exorbitants, ce n’est pas notre business model.

Maeva Bessis au Bisou Club.

Quelques semaines après l’ouverture, certains clients se sont plaints du service de sécurité très désagréable. Comment avez-vous redressé le tir ?

Ils étaient parfois trop intrusifs et s’autorisaient des mots déplacés totalement injustifiés. Mon meilleur ami s’est fait sortir de l’établissement alors qu’il n’a jamais posé un seul problème de sa vie. Pas une bagarre, pas un mot au dessus de l’autre. Tout le monde le connaît,  il m’aidait même à préparer le club avant l’ouverture ! Ce genre d’incident est intolérable. Nous avions besoin de nous entourer de collaborateurs qui partageaient nos valeurs. 

 

Vous évitez donc l’excès de zèle ?

Oui et non. Nos clients sont des Bisounours qui n’ont pas les mêmes habitudes de fête que ceux du Carbone, par exemple. Pendant longtemps, la popularité d’un club était liée au bouche-à-oreille. Avec l’avénement des réseaux sociaux, le moindre incident peut devenir viral. Nous ne sommes pas irréprochables, il y a forcément quelques ratés : une dispute entre un client et un membre du personnel, un barman qui fait faux bond au dernier moment et met ses collègues en difficulté… Il faut parfois que les clients acceptent et comprennent. Tout pourrait être plus fluide, il faut aussi nous laisser encore un peu de temps. Dans une autre mesure, les gens doivent comprendre que plus ils viennent tôt, plus ils éviteront la queue et les galères. D’autant que l’entrée est gratuite. Nous avons une jauge spécifique à respecter, nous ne pourrons pas forcément vous garantir l’accès au club.

 

Bisou club, du jeudi au samedi à partir de 00h 00. 14 rue Philippe de Girard 75010 Paris.