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Mort de Jean-Luc Godard : les scandales qui ont forgé un mythe

Cinéma

Ce mardi 13 septembre, Jean-Luc Godard nous a quittés. À l’âge de 91 ans, il a décidé d'avoir recours au suicide assisté en Suisse où il résidait. Petit récit des moments forts qui ont façonné sa carrière.

Anna Karina sur le tournage du film Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard © Getty Images Anna Karina sur le tournage du film Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard © Getty Images
Anna Karina sur le tournage du film Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard © Getty Images

Jean-Luc Godard n’a pas toujours été adulé : avant de s’inscrire au panthéon des plus illustres cinéastes français, par delà même l’hexagone, Jean-Luc Godard a choqué, fort de ses idées dont il ne s’est jamais détourné. Des années 1960 à aujourd’hui, retour en trois temps fort qui ont façonné son mythe.

 

1. Les années 60 : les films de Godard face à la censure

 

Au début des années 1960, la France est tourmentée. Entre tensions militaires et sociales avec la guerre d’Algérie (1954-1962) et le début d’une nouvelle République (depuis 1958), les films de Jean-Luc Godard, ainsi que ceux des réalisateurs de la Nouvelle Vague, très marqués politiquement, sont ainsi accueillis dans un climat peu propice à les diffuser “sans filtres”. En seulement un an, deux de ses films défraient  la chronique — et affolent l’opinion publique. En 1960, alors que son premier long-métrage À bout de souffle vient d’être interdit aux moins de 16 ans, Godard est en tournage pour Le Petit Soldat : ancrée dans le présent, l’histoire se déroule en 1958 pendant la guerre d’Algérie et choisit en personnage principal un déserteur, dénonçant a situation réelle sur le territoire ou encore la pratique de la torture. Trois problématiques qui poussent le ministre de l’Information Louis Terrenoire à interdire le film jusqu’en 1963, soit un an après la fin de la guerre — alors député, Jean-Marie Le Pen exigera même “l’expulsion du cinéaste suisse”.  Dès l’année d’après, un second film du réalisateur fait à nouveau l’objet de censures : initialement intitulé La femme mariée, le film met en scène une épouse qui entretient une relation adultère, mais dont la grossesse surprise met en péril la situation amoureuse, déchirée entre son mari et son amant. Présenté à la sélection officielle de la Mostra de Venise en 1964, le long-métrage est pourtant interdit en France par la Commission de classification des œuvres cinématographiques. D’abord pour son titre, qu’elle juge outrageux, mais aussi pour ses scènes érotiques, considérées comme trop explicites. Malgré le scandale médiatique que cette interdiction provoque, le film ne sera diffusé qu’après un nouveau montage de Godard, et le changement de “La” pour “Une femme mariée”. Un geste qui n’aura fait qu’accentuer le positionnement politique plus radical du réalisateur, jusqu’aux manifestations de mai 68 quatre ans plus tard, puis ses prises de position dans les années 1970. Il participe, entre autres, à la création du collectif cinématographique Dziga Vertov, destiné à produire des films militants d’orientation maoïste.

Bande annonce du film de Jean-Luc Godard, "Le livre d'image".

2. Cannes et Godard : fuis moi je te suis, suis moi je te fuis

 

Actif depuis presque soixante ans, Jean-Luc Godard cumule de prestigieuses récompenses, tant pour sa carrière que ses films, de la Mostra de Venise, à la Berlinale, ou aux César… Mais, jusqu’en 2014, le Festival de Cannes est resté le grand absent du palmarès du cinéaste, ne le gratifiant de sa première Palme d’or qu’en 2018. Pourtant, dès la fin des années 50, Godard cherche absolument à se rendre sur la croisette, où des réalisateurs comme Truffaut présentent déjà leurs œuvres. Probablement du fait des censures dont certains de ses films feront l’objet, et sûrement à cause de ses prises de positions politiques en mai 1968. À cette époque, alors que des barricades s’érigent dans le Quartier latin, le tapis rouge est déroulé sur les marches du palais des Congrès cannois — mais les tensions débordent de la capitale et accompagnent Godard sur la côte méditerranéenne, où il se rend, soutenu par d'autres réalisateurs tels que Truffaut, Lelouch ou encore Polanski, pour demander l’arrêt du festival dont il estime qu’aucun des films sélectionnés ne dénonce la réalité ouvrière ou étudiante, qui bouillonne à ce moment dans la capitale. Face à l’absence de décision des organisateurs de la cérémonie, Godard et son équipe de cinéastes interrompent la projection du film de Carlos Saura, Peppermint frappé, en s’agrippant au rideau de la salle. Le lendemain, le Festival de Cannes est clôt — et le réalisateur n’y remettra plus les pieds pendant douze années. Et bien qu'il soit intégré dans sept sélections officielles à partir de 1980 et jusqu’en 2010, sa présence aux cérémonies ne fera pas l’unanimité et ne sera jamais récompensée. Entre les projections huées par les spectateurs (Sauve qui peut (la vie) en 1980, Passion en 1982, Éloge de l’amour en 2001) et les conférences de presse très animées, Jean-Luc Godard n’y est en effet jamais reçu en grandes pompes, à la différence des cérémonies internationales, où il reçoit dès 1982 un Lion d’or puis en 1987 un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière… Une reconnaissance française recherchée par le cinéaste à ses débuts et refusée par le festival, qui finira cependant par s’inverser au cours de la dernière décennie puisqu’en 2014, Godard refuse de se rendre au festival pour y recevoir le Prix du Jury pour son film Adieu au Langage. En 2018, il obtient tout de même la fameuse Palme d’or pour Le Livre d’image et l’ensemble de son œuvre : âgé de 87 ans, il ne sera pas présent non plus, si ce n'est via FaceTime. 

Jean-Luc Godard derrière sa caméra © Photo by team-press X/ullstein bild via Getty Images Jean-Luc Godard derrière sa caméra © Photo by team-press X/ullstein bild via Getty Images
Jean-Luc Godard derrière sa caméra © Photo by team-press X/ullstein bild via Getty Images