22 mai 2024

Cannes 2024 : pourquoi Mikey Madison, l’actrice du film Anora, est la sensation du Festival ?

L’un des meilleurs films de la compétition raconte l’histoire d’une Cendrillon moderne, une travailleuse du sexe en quête d’émancipation. A 25 ans, la révélation Mikey Madison crève l’écran.

Mikey Madison, la révélation du film Anora de Sean Baker

 

Il y a des films dont on attendait un peu et qui offrent beaucoup. L’américain Sean Baker a déjà une carrière déjà imposante faite de huit longs-métrages indépendants, dont les intéressants The Florida Project et Red Rocket, montrés à Cannes. Mais rien ne laissait imaginer qu’il avait en lui une si douce et belle déflagration. Anora raconte l’histoire d’un cœur simple, une jeune femme qui se fait appeler Ani. Elle habite Brooklyn avec sa sœur et travaille comme stripteaseuse dans un club. Un soir, un client d’une vingtaine d’années se montre plus attentionné que les autres. Il est russe, très riche grâce à son père oligarque, et contre toute logique, ils finissent par se marier.

 

Sur cette base pas si éloignée de Pretty Woman, Anora navigue dans des eaux bouleversantes, portant une attention fascinante à son personnage à la fois coincé dans ses rêves de Cendrillon et d’une irréductible liberté. Dans un Festival de Cannes traversé par les figures de jeunes femmes, sujets d’une réflexion sur leur « valeur » dans une société consumériste et patriarcale (Diamant Brut, Substance), le film de Sean Baker apporte la contribution la plus subtile et sinueuse.

 

Surprenant de bout en bout, Anora offre un écrin à l’actrice Mikey Madison, 25 ans, que l’on avait vu grandir dans la belle série Better Things (2016-2022) et se faire une place au soleil chez Quentin Tarantino dans Once Upon a Time in Hollywood (2019). Cette fois, la native de Los Angeles occupe le devant de la scène et se bat, littéralement, pour que son personnage brise tous les clichés qui pourraient lui être associés. Dans la frénésie cannoise, nous avons rencontré celle qui fait sensation.

 

L’interview de l’actrice au Festival de Cannes 

 

Numéro : Ce superbe film raconte la transformation de Ani, une travailleuse du sexe précaire, en Anora, prête à une nouvelle vie. Comment l’aventure a-t-elle commencé pour vous ?

Mikey Madison : Sean Baker m’a approchée. Il m’a dit qu’il voulait écrire pour moi. Je n’en revenais pas, personne n’avait jamais fait cela auparavant, surtout pas un réalisateur que j’admire depuis longtemps. Une partie de moi avait peur que ça n’arrive pas.

 

Sean Baker est un réalisateur chevronné. Vous a-t-il expliqué pourquoi il vous avait choisi comme inspiration ?

Oui, il me l’a dit, mais permettez-moi d’être pudique, surtout quand il s‘agit de compliments que l’on me fait. Il a vu quelque chose en moi et je crois que j’ai vu quelque chose en lui. Dès le départ, nous partagions certaines conceptions artistiques, un sens de l’humour, une vision de ce que cette histoire pouvait devenir. Nous avons créé une connexion, une complicité profonde.

 

Comment décririez-vous Ani, l’héroïne que vous incarnez, une travailleuse du sexe de Brooklyn aux faux airs de Cendrillon ?

J’ai voulu qu’elle soit une personne profondément sensible, mais qui garde une surface un peu dure. Sa vulnérabilité vient de la façon dont elle vit, de son travail précaire. Mais c’est aussi une ambitieuse, avec une volonté de fer. Elle peut planter ses ongles très profonds pour obtenir ce qu’elle estime être son dû.

 

Ce personnage incarne aussi une génération attirée par les possessions matérielles.

Ani ne vient pas d’une famille riche et bosse très dur pour gagner un peu d’argent. Utiliser sa jeunesse et sa beauté représente pour elle un moyen de changer sa vie et celle de sa famille. Quand elle rencontre Yvan, fils d’un puissant oligarque, elle le voit comme un stéréotype du prince charmant qui l’emmènera ailleurs, dans tous les sens du terme. Mais elle utilise cet homme autant qu’il veut l’utiliser. D’une certaine façon, elle exerce son pouvoir. Ani est en contrôle de toutes les situations sexuelles dans le film. Elle mène la danse. En tant qu’actrice, je me sentais aussi en contrôle. Je la voyais comme une jeune femme qui aime le sexe et son corps. Elle y va à fond parce qu’elle y voit à la fois son plaisir et la possibilité de gagner de l’argent. En dansant pour les hommes, elle gagne beaucoup plus que si elle bossait dans un supermarché, ou si elle était étudiante. Beaucoup de femmes prennent cette décision parce qu’elle est à leur portée.

 

Vous avez obtenu votre premier grand rôle en 2016 dans la série Better Things, quand vous aviez un peu plus de 15 ans. Comment avez-vous décidé de devenir actrice ?

J’ai commencé dans le milieu du cheval, ma grande passion depuis que je suis bébé. Je faisais de la compétition dans une équipe de dressage. Le cinéma m’intéressait aussi, car mon père me montrait beaucoup de films classiques. Je ne me souviens pas d’un moment où j’ai pris la décision, mais je crois que ce qui m’attirait, c’est la relation artistique propre à cet art, cette intimité qui se créée différemment de l’intimité familiale ou amoureuse. Avant la série Better Things, je passais pas mal de castings, surtout pour des séries. J’ai connu l’aspect un peu mécanique d’Hollywood. Et puis j’ai rencontré la réalisatrice Pamela Adlon, une sacré personnalité. C’était un projet très intime pour elle, qui racontait sa vie. J’ai eu la chance que la série dure sept ans et cinq saisons. C’était un peu mon école de cinéma, moi qui ne suis pas allée à la fac.

Un cinéaste mythique vous a approché pendant que vous tourniez la série.

Quentin Tarantino m’a offert mon premier grand rôle au cinéma dans One Upon A Time in Hollywood (elle jouait l’une des sbires de Charles Manson). Tout à coup, je me suis vue jouer toute ma vie, j’ai senti que je pourrais en avoir envie. L’amour de la fabrication des films s’est emparé de moi en voyant l’intensité de cette passion, le côté frénétique de Quentin Tarantino. J’ai ressenti une libération intérieure. J’étais adolescente, c’était comme un cadeau. J’ai aussi appris sur le jeu d’actrice, de façon très différente que ce que je connaissais avec Better Things.

 

Dans la série de Pamela Adlon, qui a duré de 2016 à 2022, nous vous avons vu grandir à l’écran. 

J’ai ressenti cela, cette série très « indie » captait quelque chose de mes transformations vers l’âge adulte. C’est la raison pour laquelle cela m’embarrasse de revoir Better Things aujourd’hui (rires)

 

Votre performance dans Anora est exceptionnelle. Quelles sont les grandes actrices qui vous ont inspirées ?

J’ai toujours beaucoup aimé Jennifer Lawrence. Quand j’ai commencé, The Hunger Games venait de sortir. J’ai aussi de l’admiration pour River Phoenix, mort trop jeune. Robert De Niro ou Jodie Foster m’impressionnent beaucoup.

 

Il y a une scène au milieu du film où votre personnage, littéralement, se bat pour sa liberté. Elle y va à fond. Comment traversez-vous ce moment de rage ? Est-ce que cela se prépare ?

On ne peut pas vraiment se préparer à ce genre de scène. Il n’y avait pas de cascadeuse, c’était vraiment moi qui me battait aussi fort que possible avec un homme qui essayait de me maitriser. Moi, je n’appelle pas cela jouer. C’était réel. Et assez drôle, aussi. Ani, le personnage, avait toute les raisons de faire cela pour que personne ne la prive de son rêve. Je l’admire car elle n’est jamais une victime.

 

Est-ce un personnage féministe ?

Moi, Mikey, je suis féministe, le réalisateur Sean Baker est féministe, mais on n’y pensait pas vraiment pendant le tournage. Nous voulions rester authentiques, fidèles à l’engagement de cette femme, jusqu’à la scène finale dont les gens parlent beaucoup. Il fait aller vor le film !

 

Vous n’avez pas de comptes sur les réseaux sociaux. Pour une jeune actrice aujourd’hui, c’est un choix fort.

Je ne dirais pas que c’est un choix fort ou une déclaration, mais c’est un signe d’entêtement. Je n’arrive pas à avoir de lien avec cet univers des réseaux et je n’ai jamais été attirée par eux. Pour certains, c’est un jeu, mais je ne pense pas avoir quelque chose de significatif à apporter dans ce domaine. Cela ne me semble pas naturel. J’aspire à une vie plus calme, plus lente.