27 août 2019

Zahia Dehar, la call-girl devenue héroïne de cinéma

Naïma, jeune adolescente ingénue, retrouve en vacances sa cousine Sofia, très libérée, qui l’entraîne à la découverte de sa féminité. Celle-ci est interprétée par l’ex-call-girl Zahia Dehar, éblouissante dans ce rôle.

Une jeune femme au corps sculptural se baigne lascivement dans une crique, en Méditerranée. La caméra la saisit en surplomb, depuis les hauteurs caillouteuses, comme s’il fallait offrir le cadre le plus étendu possible à sa liberté de mouvement. Ce sont les premiers instants majestueux du quatrième long-métrage de Rebecca Zlotowski. Après Belle Épine, Grand Central et Planetarium, l’ancienne élève de la FEMIS s’offre une embardée sauvage, presque une récréation, avec un film à la séduction immédiate tourné dans la chaleur de l’été. Dans le contexte français et même dans la filmographie de la réalisatrice, ce shoot de soleil et ce désir de légèreté font du bien. Une fille facile raconte les vacances d’une adolescente. Naïma vit à Cannes. Elle a envie d’aimer et d’être aimée, rêve de découvertes sensuelles et de sorties. Aux premiers jours de  juillet, elle reçoit la visite de Sofia, sa cousine volage, sexuellement libérée (la baigneuse, c’est elle), qui l’aide à franchir un cap en l’invitant à la plage et dans les lieux de nuit ou les boutiques de luxe auxquelles Naïma n’avait jamais accès. Sofia va prendre toute la place dans son quotidien et bientôt dans le film. Nous parlons, littéralement, d’une apparition. Elle a pour nom Zahia Dehar, dont le prénom résonne familièrement. L’ancienne call-girl avait défrayé la chronique à la fin des années 2000 pour des relations tarifées avec des joueurs de foot. Elle tient ici son premier rôle au cinéma mais c’est comme si elle avait vécu toute sa vie dans l’illusion permanente d’être filmée. Nous sommes en présence d’une digne héritière des superstars warholiennes sixties, au-delà de la morale et des représentations dites correctes, qui impose son image et son rythme.

 

Zlotowski se montre fascinée par la créature qui brille devant sa caméra, ce corps façonné pour l’excitation et la pulsion voyeuriste, dont elle organise le portrait en mouvement fantasmatique, multipliant les références à Brigitte Bardot – voix traînante, corps dénudé… Le film pose la question de la liberté d’une femme quand elle prend le risque de correspondre aux fantasmes des hommes. Il dresse le portrait d’une courtisane contemporaine qui sait s’octroyer plaisir et argent. La démarche s’inscrit dans un processus libérateur et féministe, même si Une fille facile se montre parfois exagérément retors. À vouloir jouer d’une ambiguïté sur le statut de l’héroïne, sans trancher sur la réalité de son pouvoir et de sa capacité d’agir, le film minore la portée politique de son geste. Mais là où Zlotowski gagne la partie, c’est en ne s’excusant justement pas d’emmener la fiction vers ces terres moins nettes.

 

 

Le film confirme le statut étonnant de Zlotowski, sa capacité à trouver les sujets qui mettent en avant une vision de l’imaginaire français et de ses transformations sociales, esthétiques, politiques. Durant cette rentrée, son actualité se double de la diffusion sur Canal Plus des six épisodes de la série qu’elle vient de réaliser, Les Sauvages, d’après les romans de Sabri Louatah : une saga familiale et politique qui imagine l’élection d’un président maghrébin avant de scruter les discriminations postcoloniales et les dynamiques nouvelles à l’œuvre en France. Un grand écart apparent avec Une fille facile, mais finalement cohérent dans sa volonté de mettre en avant celles et ceux que trop peu d’artistes regardent.

 

Une fille facile, sortie le 28 août.

Les Sauvages, diffusion sur Canal Plus en septembre.