Un excellent moyen-métrage pose un nouveau regard sur l’amitié masculine
Diffusé en avant-première sur Arte à l’occasion du millième numéro du magazine “Court-circuit” (émission dédiée aux films courts sur le site de la chaîne), “Les mauvais garçons” d’Élie Girard brise les tabous sur la virilité et l’amitié masculine par sa délicatesse et sa mélancolie. Disponible à partir du 29 janvier sur Arte, le film devrait être montré en salle courant 2021.
Par Chloé Sarraméa.
Dans une ville perdue de l’est de la France, deux jeunes postés devant la façade d’un kebab attendent, clope au bec, l’arrivée de leur pote Victor. Depuis quelques mois, celui avec qui ils ont traîné pendant toutes leurs années de fac ne se pointe plus aux rendez-vous d’habitude fixés chaque semaine, à n’importe quelle occasion, d’un match de NBA au simple apéritif hebdomadaire. S’il ne se rend plus au comptoir du fast food, ne commande plus sa traditionnelle assiette de frites et ne suit plus Cyprien et Guillaume dans les soirées étudiantes où trente personnes s’agglutinent dans 25 m2, il a une bonne raison : dans quelques mois, Victor va devenir père.
Ouvert comme un film de Jean-Pierre Jeunet – une pluie diluvienne s’abat sur l’asphalte, la caméra se fixe sur un snack qui paraît hors du temps (rappelant les plans du café des 2 moulins dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain) et, sur un son de guitare acoustique, une voix off décrit un quotidien banal et répétitif de trois jeunes hommes –, Les mauvais garçons se présente d’abord comme un film tendre et mélancolique à l’esthétique surannée. Très vite, ce cadre presque léché côtoie une atmosphère plus grave : celle des obsessions contemporaines. Trois amis, Cyprien, Guillaume et Victor, semblent filer le parfait amour puis ce dernier disparaît, se transformant en personnage fantôme et laissant aux deux autres toute la place – et une messagerie vocale saturée. Errances, attentes, questionnements, tourments, déchirures… face au bonheur de l’un, les autres revoient leur vie défiler, énumèrent leurs erreurs, se donnent des leçons et guettent, hagards, leurs smartphones respectifs.
Ses personnages masculins, le jeune réalisateur Élie Girard (auteur de plus d’une vingtaine de courts-métrages qui développe actuellement un projet de long) les a pensés complexes. Il les a même écrits aux antipodes des idées reçues sur la virilité et l’amitié masculine “bébète”, faite de soirées gaming et de rejet de la gent féminine. D’un côté Cyprien (Aurélien Gabrielli), regard morose et barbe ultra épaisse, se questionne sur ses relations avec le sexe opposé et regrette de ne pas avoir eu d’enfant avec Madeleine, son ex ; de l’autre Guillaume (Raphaël Quenard), fêtard et presque orgueilleux, sermonne son ami, lui reprochant sa nostalgie et son manque d’audace en matière de drague… alors que lui-même présente d’énormes lacunes à ce sujet.
Avec des acteurs excellents – apparu dans Mandibules, La troisième guerre (tous deux présentés à la Mostra de Venise) et Vaurien, Raphaël Quenard s’annonce d’ailleurs comme une figure montante du cinéma français – une mise en scène sans chichi (peu de décors et pas d’effets visuels superflus) et des dialogues très bien écrits, Les mauvais garçons (re)définit à merveille la masculinité, qui incombe à la tendresse amicale et aux maladresses sentimentales assumées.
“Les mauvais garçons” (2020) d’Élie Girard, avec Raphaël Quenard et Aurélien Gabrielli. À partir du 21 janvier 2021 sur Arte.