Titane remporte la Palme d’or d’un Festival de Cannes jeune et féminin
La Palme d’or 2021 est donc allée à Julia Ducournau, 37 ans, première femme à obtenir la récompense en solo dans l’histoire du Festival de Cannes.
Par Olivier Joyard.
L’amusante bourde de Spike Lee annonçant la victoire de Titane au tout début d’une cérémonie branlante mais chaleureuse n’aura fait que confirmer les rumeurs qui bruissaient depuis déjà quelques heures. La Palme d’or 2021 est donc allée à Julia Ducournau, 37 ans, première femme à obtenir la récompense en solo dans l’histoire du Festival de Cannes – en 1993, Jane Campion avait dû partager le prix décerné à La leçon de Piano avec Chen Kaige – pour ce film-tornade à la fois gore et pop, sur une tueuse en série qui se découvre un père de substitution. Opératique et intime, hanté par le souvenir de grands opus de terreur et d’amour (Alien, Crash), le deuxième long-métrage de la française après Grave travaille les frontières entre masculin et féminin, déborde du désir de filmer des corps dans des états extrêmes de jouissance et de souffrance. Film “imparfait” au sens le plus féroce du terme, comme l’a dit elle-même son autrice sur la scène du Grand Théâtre Lumière, Titane incarne un vrai vent de fraicheur queer qui mérite les éloges pour son travail sensuel et dépravé sur des questions ultra-contemporaines : le genre, le devenir-machine de l’humanité…
Sur scène, Ducournau a remercié le jury de “laisser entrer les monstres” et prôné un avenir plus inclusif. La reconnaissance par le réalisateur de Do The Right Thing de ce geste artistique brillant remet la question du renouvellement des thèmes mais aussi des visages au centre du cinéma mondial. Cannes 2021 a poursuivi le moment inauguré par les Oscars qui avaient offert leur prix majeur à Chloé Zhao il y a quelques mois. Un mouvement féminin est en marche. En plus de la récompense suprême attribué à la cinéaste française, la Palme d’or du court-métrage est allée à la chinoise Tang Yi, la Caméra d’or – qui récompense le meilleur premier film – à la croate Antoneta Alamat Kusijanovic et le Prix Un Certain Regard à une russe de 31 ans, Kira Kovalenko, dont le splendide film Les Poings Desserrés a fait partie des sommets de cette édition. Tourné en Ossétie-du Nord, cet ovni magnifique raconte l’odyssée d’une jeune vingtenaire dans un monde d’hommes qui l’enserrent, alors que la caméra lui offre un havre de paix. Mémorable.
D’une manière générale, Spike Lee et ses camarades de route ont récompensé de jeunes cinéastes. Le plus âgé du palmarès a fêté cette année ses soixante ans et dépasse de presque une décennie tous les autres lauréats ! Il s’agit de Leos Carax, vainqueur d’un prix pour la première fois à Cannes, celui de la mise en scène pour son fulgurant Annette. Le Grand Prix est allé à deux films, le très efficace Un héros de l’iranien Ashgar Farhadi, variation sur la figure hitchcockienne du faux coupable, et Compartiment 6 de Juho Kuosmanen. Parmi nos favoris, Apichatpong Weerasethakul se voit attribuer le Prix du Jury pour le merveilleux Memoria, partagé avec Le Genou d’Ahed de l’israélien Nadav Lapid, fable artistique et politique très remarquée. Le thaïlandais avait remporté ce même Prix du Jury en 2004 et la Palme d’or en 2010 pour Oncle Boonmee. Le très apprécié cinéaste japonais Ryoshuge Hamaguchi quitte quant à lui la Croisette avec un Prix du scénario pour Drive My Car, fine adaptation de romans d’Haruki Murakami. Les seuls choix véritablement prévisibles ont concerné les prix d’interprétation décernés à Caleb Landry Jones pour son rôle de psychopathe dans Nitram de l’Australien Justin Kurzel et à la Danoise Renate Reinsve, star de Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, portrait sensible et mélancolique des épreuves amoureuses d’une trentenaire.
Ce festival des retrouvailles aura donc tenu ses promesses : peu de faux pas et un sentiment de profusion, avec un nombre de films impossible à voir – d’où les prix joints décidés par le jury de Spike Lee. Certains journalistes étrangers, même s’ils étaient moins nombreux que d’habitude, ont effectué ni plus ni moins que leur retour dans les salles obscures depuis plus de dix-huit mois. Une sensation incomparable que la poussée du virus n’aura même pas réussi à gâcher. Cannes 2021 est passé entre les gouttes et a démontré avec une ferveur émouvante la vitalité du cinéma en tant que forme audacieuse et contemporaine. Etait-ce une bulle ? Le dernier baroud d’honneur d’un art en crise ? Ou au contraire, le véritable début d’une nouvelle ère ? Vivement Cannes 2022.