Shia LaBoeuf et Vanessa Kirby pleurent la perte d’un enfant
Grâce à la performance de l’actrice britannique Vanessa Kirby – d’ailleurs récompensée de la coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine à la Mostra de Venise – dans le rôle d’une femme endeuillée après la mort de son bébé à la naissance, “Pieces of a Woman” tétanise le spectateur. Le film est disponible dès demain sur Netflix.
Par Chloé Sarraméa.
Sur le canapé du salon, Sean (Shia LaBoeuf) tente d’avoir un rapport sexuel avec Martha (Vanessa Kirby). L’acte est brutal : elle est encore habillée tandis que lui, pantalon sur les chevilles, essaie de la pénétrer… Ils se débattent, finissent par atterrir sur le lit conjugal, où la jeune femme, lasse, s’offre à son compagnon. Désexcité, ce dernier abandonne, se rhabille brutalement et bouscule Martha, tétanisée, avant de quitter la pièce. Fixée au milieu du film, cette scène d’un intensité folle créée tout de suite le malaise : elle nous renvoie aux très récentes révélations de la chanteuse FKA Twigs, qui a porté plainte contre l’acteur Shia LaBoeuf pour violences sexuelles…
Dans Pieces of a Woman, la séquence est néanmoins capitale : elle scelle la fin d’une histoire d’amour et marque un point de non-retour dans une relation. Désormais, les deux Américains vivent comme deux étrangers dans leur propre maison… Mais leur vie n’a pas basculé là : elle s’est effondrée au tout début du long-métrage. Martha, enceinte de son premier enfant, s’apprête à accoucher à domicile. Dans un plan-séquence de près de 30 minutes, la caméra suit le couple chez lui, à Boston. Lorsque viennent les contractions, toujours plus intenses et l’heure fatidique de la mise au monde, une sage-femme inconnue débarque et le bébé à peine sorti du vente de sa mère, s’étouffe, devient tout bleu et décède avant que les secours n’arrivent sur place. C’est ainsi que se place, d’emblée, la teneur tragique du premier film en anglais du réalisateur hongrois Kornel Mundruczo (primé à Cannes en 2014 pour son film White God) et écrit par sa femme, Kata Wéber : le spectateur comprend tout de suite qu’il va assister à l’histoire d’un déchirement, plonger avec les personnages dans des abîmes de chagrin et suivre (ou pas) leur reconstruction.
Présenté en septembre dernier à la 77e Mostra de Venise, Pieces of a Woman (que l’on peut traduire en français par « une femme en morceaux”) marque les esprits surtout grâce à la performance de Vanessa Kirby. Excellente dans le rôle d’une femme meurtrie, plutôt tétanisée que pleurnicharde et souffrant d’un trouble obsessionnel compulsif matérialisé par une obsession pour les pommes (des trognons trainent sur la table de la cuisine tandis qu’elle va même jusqu’à faire germer des pépins dans le réfrigérateur), celle qui joue la princesse Margaret dans la série The Crown (diffusée sur Netflix) repousse ici les limites de l’interprétation. Surtout, elle donne à son personnage la substance nécessaire afin que le film ne tombe pas dans l’écueil d’une fable trop larmoyante.
Filmée sur 8 mois, tout au long de l’hiver qui suit la mort subite de son bébé, Martha erre dans les rues enneigées, scrute avec intensité les gesticulations d’enfants assis à côté d’elle dans le bus et souffre des montées de lait survenues au milieu du rayon frais d’un supermarché. Plongée dans un mutisme imperturbable, la jeune femme endeuillée se ferme peu à peu, démissionne de son job et, surtout, se coupe des membres de sa famille qui tentent également de se reconstruire. Parmi eux, Sean, le compagnon de Martha interprété par Shia LaBoeuf. Ouvrier du bâtiment désœuvré depuis la mort de sa toute petite fille, ce dernier essaie, de son côté, de communiquer : il voit sa belle-mère (Ellen Burstyn) en cachette – alors que celle-ci le déteste, le trouvant trop “prolo” pour sa fille issue d’un milieu aisé –, cherche à renouer le contact avec sa femme – même en utilisant la violence, notamment lors du très brutal rapport sexuel forcé – et trouve finalement refuge dans les bras d’une autre…
À cette interprétation juste et pudique de Shia LaBoeuf, s’ajoute celle d’Ellen Burstyn (Requiem for a Dream) – personnage secondaire mais pourtant majeur – dans le rôle de la mère de Martha, bien décidée à guérir toute la famille du deuil mais trop maladroite et autoritaire. À travers la mise en scène de ces trois personnages – mais aussi la présence pesante et fantomatique du nourrisson décédé –, Kornel Mundruczo montre ici à quel point un chagrin immense peut créer l’éloignement… et qu’une léthargie profonde menace de détruire ceux qui en souffrent.
Pieces of a Woman (2020) de Kornel Mundruczo, avec Vanessa Kirby, Shia LaBoeuf, Ellen Burstyn, Bennie Safdie. Disponible demain sur Netflix.