Sexe, violence et mensonges d’État : sur Netflix, la vie de Madame Claude, plus célèbre proxénète de France
Habituée aux portraits de femmes (“Sex Doll”, “Stella”), la réalisatrice Sylvie Verheyde met en scène, dans “Madame Claude”, les années d’activité de Fernande Grudet, la plus célèbre proxénète de la Ve République.
Par Chloé Sarraméa.
Madame Claude est morte en 2015. Pourtant, la plus célèbre proxénète de France continue de fasciner l’Hexagone. Peut-être parce qu’elle a, un temps, été l’incarnation du glamour et du bling-bling – pratiquant le sexe tarifé haut de gamme dans les années 60, à une époque où les mœurs n’étaient pas encore libérées – et clamant, dans les colonnes de magazines ultra populaires, que “son métier consiste à rendre le vice joli’ [Lui, 1981]. Peut-être parce que son histoire de gamine sans-le-sou qui a fini par acquérir un hôtel particulier de plusieurs centaines de mètres carrés dans la capitale entre en résonance avec une quête majeure dans la société contemporaine, l’émancipation des femmes. C’est sûrement pour ces deux raisons, mais aussi avec la volonté de dénoncer la violence et le sang froid dont Madame Claude a longtemps fait preuve, que la réalisatrice Sylvie Verheyde a décidé de consacrer un long-métrage à la mère maquerelle condamnée en 1992, après plus de trente ans d’exercice, pour “proxénétisme aggravé”.
Fernande Grudet, de son vrai nom, naît en 1923 à Angers. Elle est élevée en province par une mère célibataire, avant de partir pour Paris à l’âge de 20 ans et de s’infiltrer, plus tard, dans le grand banditisme. De cette enfance miséreuse, le film ne montre rien. Il préfère se concentrer sur les heures de gloire de Madame Claude, et doucement glisser vers sa chute… Ainsi, le sixième long-métrage de l’auteure de Sex Doll (2016) – un film où la réalisatrice parlait déjà de prostitution, dépeignant le quotidien perturbé d’une jeune escort qui tombe amoureuse – s’ouvre sur l’année 1968, où l’empire de la proxénète est à son apogée.
Fernande Grudet – interprétée par une Karole Rocher puissante – compte deux cent jeunes femmes dans ses rangs, qu’elle élève presque comme ses propres enfants, elle qui a eu une fille à 17 ans… une “erreur” qu’elle tient éloignée de ses activités, grandissant auprès de sa grand-mère. N’éprouvant aucun regret à ne pas participer à l’éducation de sa progéniture, Madame Claude se tue à enseigner les bonnes manières à ses recrues, leur montrant même – au détour d’une scène troublante – comment faire la toilette de leurs parties intimes. À l’arrivée de Sidonie (Garance Marillier), une fille de bonne famille qui décide de se prostituer pour “tuer le père“ (un magistrat), le long-métrage dévoile enfin sa force. Il décrit ainsi l’ambivalence de Madame Claude, n’éludant en rien ses dérives autoritaires et son manque d’empathie – lorsqu’une de ses filles se fait gravement tabasser, elle la rassure timidement avant de réclamer son pactole – et déployant pourtant, séquence après séquence, le fort attachement qu’éprouve la maquerelle pour sa dernière recrue.
Là où d’autres se seraient embourbés dans les descriptions du quotidien d’une maison close – en l’occurence, celle de de la rue de Marignan, dans le 8e arrondissement – et réalisant, du coup, un simple pastiche de L’Apollonide (2011), Sylvie Verheyde a préféré entendre son biopic au monde extérieur, reliant l’histoire au contexte de la société post-Mai 68. À mesure que les années passent, celle qui a a gagné la confiance de ses clients – allant des simples notables, aux célébrités (dont Marlon Brando), en passant par des ministres ou des chefs d’Etat – se met à travailler avec eux, voire pour eux. Sûre de son immunité, la Madame Claude de la réalisatrice de Stella (2008) collabore avec les renseignements généraux jusqu’à ce que ces derniers, à l’orée d’un changement d’époque, se retournent contre elle. Preuve qu’après avoir atteint des sommets, la chute est inévitable.
Madame Claude (2021) de Sylvie Verheyde, avec Karole Rocher et Garance Marillier. Disponible sur Netflix.