16 sept 2025

Severance, la série dystopique sur l’aliénation au travail qui cartonne

Avec Severance, Apple TV+ impose une dystopie glaciale où le monde du travail se fait cauchemar intime.
Une mise en scène hypnotique et des interprètes habités, de Adam Scott à Patricia Clarkson, lui valent un triomphe aux Emmy Awards. Une œuvre d’une précision clinique qui fait partie des meilleurs shows télévisés contemporains.

  • par Alexis Thibault.

  • La bande-annonce de Severance (2022).

    Les acteurs de Severance sacrés aux Emmy Awards 2025

    Dès sa première saison, en 2022, Severance annonçait déjà sa volonté de bouleverser les canons du récit sériel contemporain. La série frappait fort aux Emmy Awards 2022, en remportant trois distinctions majeures : meilleure série dramatique, meilleur acteur pour son héros Adam Scott, et meilleure réalisation attribuée à Ben Stiller.

    Trois ans plus tard, en 2025, la reconnaissance institutionnelle se prolonge : ce sont désormais les seconds rôles qui sont consacrés, avec deux trophées d’interprétation saluant les performances de Britt Lower (Man Seeking Woman) et Tramell Tillman (Mission: Impossible – The Final Reckoning). La victoire suprême échappe cette fois à la série – qui échoue face à l’excellente The Studio (2025) de Seth Rogen – mais le geste est clair. Severance n’appartient plus à l’événement isolé, elle s’installe dans la durée.

    Cette trajectoire confirme qu’au-delà de l’adhésion critique, l’industrie valide une œuvre qui déjoue les codes de la dystopie pour devenir une fresque psychologique sur l’aliénation contemporaine. Là où d’autres se contentent d’esquisser la fracture entre intime et collectif, Severance la dramatise avec une rigueur clinique, au point de contraindre le spectateur… à éprouver lui-même cette césure.

    Severance et la proposition d’une esthétique carcérale

    Le pitch du show ? “Mark Scout travaille pour Lumon Industries, où il dirige une équipe dont les employés subissent une opération chirurgicale de séparation entre leurs souvenirs liés à leur vie professionnelle et ceux liés à leur vie privée. Cette expérience risquée de l’équilibre entre travail et vie personnelle est remise en cause lorsque Mark se retrouve au cœur d’un mystère qui le forcera à affronter la vraie nature de son travail… et la sienne.”

    L’idée paraît limpide mais s’avère d’une cruauté méthodique. Les êtres sont scindés en deux, avec une vie professionnelle séparée de leur vie privée. Dans ce dispositif, mis en place par la toute-puissante Lumen Industries, les employés subissent une opération chirurgicale qui efface toute passerelle entre les deux vies : au bureau, la personne ne connaît que son labeur. Une fois dehors, elle ignore tout de ce qu’elle fait entre les murs.

    Aucune porosité, aucun interstice de mémoire. Ce postulat glaçant, qui sert de fil narratif à Severance, fonctionne comme une parabole radicale du capitalisme contemporain. Chaque couloir aseptisé devient un gouffre métaphysique, chaque néon un rappel d’enfermement. Ben Stiller, loin du simple exercice de style, orchestre une mise en scène d’une sobriété hypnotique. Les décors dessinent un dédale dont nul ne sort indemne. Le réalisme est inversé. L’absurde y paraît vrai et le délire scrupuleusement, véridique.

    L’héritage de la série Lost en filigrane

    On retrouve dans Severance l’ombre du film Brazil (1985) de Terry Gilliam, les spirales de la série Lost et la rigueur kafkaïenne. Mais le show pousse plus loin l’expérience. Il ne se contente pas de la métaphore. Il s’invite dans la chair du quotidien, au rythme des badges, des ascenseurs et des horaires. Les personnages incarnés par Adam Scott, Britt Lower, John Turturro et l’incroyable Christopher Walken sont des fractures vivantes. Ils apparaissent comme des êtres broyés par un système qui les nie.

    Severance est moins un thriller qu’un miroir social. La série interroge frontalement ce qu’il reste de soi quand l’entreprise colonise la moitié de l’esprit. Aliénation salariale, effacement de la frontière entre vie privée et travail, illusion de productivité : tout s’entrelace. Ces thèmes résonnent avec une époque obsédée par la “déconnexion” mais incapable de l’appliquer.

    Severance (depuis 2022), créée par Dan Erickson, disponible sur Apple TV +.