Rencontre avec Daniel Brühl et Théodore Pellerin, héros flamboyants de la série Becoming Karl Lagerfeld
C’est l’une des histoires d’amour les plus fascinantes et complexes de la mode. L’immense couturier Karl Lagerfeld et le dandy décadent Jacques de Bascher (qui fut l’amant d’Yves Saint Laurent) se sont follement aimés, en secret, durant de nombreuses années. Dans la série Becoming Karl Lagerfeld, diffusée sur Disney+ dès le 7 juin 2024, cette idylle est formidablement ressuscitée par deux acteurs phénoménaux : le Germano-espagnol Daniel Brühl (Rush, Inglourious Basterds, Good Bye, Lenin!) et le Canadien Théodore Pellerin (Genèse, Solo, Chien de garde). Pour Numéro, ils reviennent en détails sur cette folle passion.
par Violaine Schütz.
L’interview des acteurs Daniel Brühl et Théodore Pellerin, stars de la série Becoming Karl Lagerfeld
Numéro : Qu’est-ce qui vous a attiré dans la série Becoming Karl Lagerfeld ?
Théodore Pellerin : Mon entrée dans la série s’est faite à travers le rôle de Jacques de Bascher, évidemment, mais ce qui m’a plu en premier lieu, c’est l’écriture. Pour ma première audition, je n’avais que deux petites scènes à jouer. Mais très vite, j’ai senti à quel point les dialogues étaient précis et les rapports entre les gens, clairs. Les personnages m’intéressaient aussi beaucoup. Ce sont tous des monstres d’excès, d’ego et d’amour. Il y a avait plusieurs grandes opportunités pour s’ancrer dans toutes sortes d’émotions différentes. C’est une série assez riche. Et puis, tous les acteurs sont super, notamment Daniel.
Daniel Brühl : Pour moi, c’était un cadeau, en tant qu’Allemand, d’incarner Karl Lagerfeld avec toutes les facettes que cet homme avait ainsi que ses contradictions et ses contrastes. C’était un grand intellectuel, un homme si cultivé et d’un autre côté, une icône de la pop culture, très similaire à Andy Warhol. C’est quelqu’un qui a créé un personnage et dans la série, on découvre qui était la personne avant de devenir le fameux personnage. On ouvre certaines portes et chemins plus intimes et privés. Quand on pense au couturier, on a en tête un personnage « serré », distant et froid. Mais c’est un homme qui avait un grand sens de l’humour. En Allemagne, ce n’est pas très normal d’avoir un tel sens de l’humour. Dans la ville où j’ai grandi, à Cologne, mais surtout le Nord, cette ironie, cet état d’esprit que j’ai toujours trouvé très drôle et fascinant, n’était pas commun. Son sens de l’humour ressemblait à une armure : il le protégeait et l’aidait à se défendre contre son environnement. Et puis, le cœur de la série est une grande histoire d’amour entre lui et Jacques de Bascher. Un côté que je ne connaissais pas trop. Là, je me suis dit que c’était une belle nouvelle expérience pour moi, quelque chose que je n’avais jamais fait avant dans ma vie professionnelle. Et quand j’ai rencontré Théodore Pellerin, Arnaud Valois et Alex Lutz, je me suis dit : « Quelle belle équipe !«
« Karl Lagerfeld était un grand romantique allemand et il voulait créer la même chose que les grands romantiques avec son grand amour, Jacques de Bascher. » Daniel Brühl
La relation unissant Karl Lagerfeld et Jacques de Bascher est très étrange et passionnante, à la fois platonique et enflammée. Comment la décririez-vous ?
Théodore Pellerin :C’est une union de deux extrêmes qui sont complètement opposés. D’un côté, Jacques est dans la vie, l’excès, la nuit et le sexe. De l’autre, Karl est complètement investi dans la création, le contrôle et la carrière. Et ensemble, ils arrivent à créer une espèce d’unité suprême qui permet à Karl de sentir le pouls de la vie et à Jacques, d’accéder aux hautes sphères de la création. Ils se répondent et se complètent, en quelque sorte, tout en se situant constamment dans une tentative de rebalancement un peu maladroite. Et puis ils se retrouvent sur leur obsession de vivre dans un monde fictif, leur amour d’un univers d’esthète dans lequel ils habiteraient et s’enfermeraient. Les personnages qui les fascinaient, c’était Louis II de Bavière, Des Esseintes, le héros d’À rebours d’Huysmans. Karl et Jacques sont aussi deux personnages qui sont très seuls, finalement, chacun à son niveau.
Daniel Brühl : C’était une relation très toxique, très compliquée, très sadomasochiste et platonique. En relisant des poèmes de Heinrich Heine ou Joseph von Eichendorff, des poètes la période romantique allemande, j’ai pensé : « Mais oui, Karl était un grand romantique allemand et il voulait créer la même chose que les grands romantiques avec son grand amour, Jacques de Bascher. » Ce qui est touchant, c’est qu’il essaie de vivre ça dans les années 70, période de la révolution sexuelle et politique de la jeunesse. Ces hommes vivaient dans leur bulle, celle du monde de la mode, et leur amour avait quelque chose de très anachronique. Karl Lagerfeld voulait recréer un monde parfait très rococo et inspiré par le 18e siècle, avec son grand amour. C’est quelque chose de bouleversant. C’est incroyable, non ? C’est précisément ce qui me fascine, parce que tout le monde nourrit des fantasmes dans sa tête, comme celui de vivre dans une autre réalité ou dans une fiction qui serait plus intéressante que la réalité. Mais Karl a vraiment essayé de construire ces royaumes qu’il avait à l’esprit dans la réalité. Il pensait à tous les détails. Il n’achetait pas seulement un château (Penhoët, à Grand-Champ) pour qu’ils s’y rendent tous les deux. Il prêtait attention à tous les petits détails du décor pour créer ce conte de fée avec un infini dévouement et une obsession pour la perfection.
« Je suis vraiment entré dans le rôle grâce aux bottines à talons. » Daniel Brühl
À quel moment avez-vous senti que vous deveniez Karl Lagerfeld et Jacques de Bascher ?
Daniel Brühl : C’était quelque chose de très basique : je suis vraiment entré dans le rôle grâce aux bottines à talons. Je me parlais en français, dans mon appartement, en marchant avec les talons dans mon appartement à Paris, pour des premiers essais. C’est là que j’ai trouvé une certaine fierté et quelque chose du torero. Un côté fier, un peu macho, mais aussi très fin, élégant, plein de grâce. Tous les costumes qui étaient un peu trop serrés parce, presque comme des corsets m’ont aussi aidé. Karl portait toujours des vêtements un peu trop petits, symbolisant cette pression qu’il s’infligeait, cette volonté d’être plus parfait qu’il ne l’était.
Théodore Pellerin :Le premier moment où j’ai senti qu’il se passait un truc dans le corps qui venait, c’était après quand je venais d’arriver à Paris et avant que l’on commence le tournage. J’étais allé à une fête du milieu de la mode, impliquant des dynamiques un peu particulières. Et quand je suis rentré dans mon appartement, j’ai mis de la musique que Jacques écoutait et je me suis mis à danser pour « me laver » de la soirée dans laquelle j’avais été. Pendant deux heures, j’ai dansé comme Jacques le faisait. C’était la première fois où j’ai senti une espèce de brèche de liberté comme Jacques pouvait en ressentir.
Becoming Karl Lagerfeld (2024), créée par Isaure Pisani-Ferry, Jennifer Have et Raphaëlle Bacqué, avec Daniel Brühl, Théodore Pellerin, Arnaud Valois et Alex Lutz, disponible sur Disney+ le 7 juin 2024.