25 nov 2019

Romeo Castellucci en trois pièces trash et blasphématoires

Metteur en scène, plasticien, performeur et scénographe de renom, Romeo Castellucci bouscule le théâtre européen depuis les années 90. Programmé au Festival d'Automne depuis 2000, il est revenu cette année avec son nouveau spectacle, "La Vita Nuova", une mise en scène qui recrée un parking poussièreux au coeur de la Grande Halle de la Villette. L'occasion de revenir sur la carrière de cet artisan de la performance en trois évènements marquants. 

Décoré en 2013 d'un Lion d'or pour l'ensemble de sa carrière à la Biennale de Venise, l'Italien Romeo Castellucci est un artiste habité par la tragédie. De ses mises en scène de pièces de répertoire comme l’Orestie d’Eschyle (1995) et La Divine Comédie de Dante (2008) à ses adaptations d’opéras de Wagner (Parsifal en 2011 et Tannhauser en 2017), en passant par ses relectures de textes d’anthologie comme le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (1999), celui qui a étudié les arts plastiques aux Beaux-arts de Bologne à la fin des années 70 est aussi l’auteur de pièces clivantes et provocatrices, comme Sur le visage du concept du fils de Dieu (2011), qui s'inscrit dans la continuité du “théâtre de la cruauté” théorisé par l’essayiste Antonin Artaud.

 

“Tragedia Endogonidia, P.#06” (2003) de Romeo Castellucci © Luca del Pia

​1. Tragedia Endogonidia, P.#06 Paris : le projet tentaculaire 

 

En 2002, alors que Romeo Castellucci connaît un succès mondial suite à son adaptation de l’Orestie d’Eschyle (une trilogie dramatique représentée en 458 av. JC et récemment mise en scène par le Suisse Milo Rau au théâtre de Nanterre), il imagine Tragedia Endogonidia, une pièce qui, tel un organisme vivant, se transforme à mesure qu’elle est jouée dans différentes villes du globe. Avec sa compagnie la Socìetas Raffaello Sanzio, fondée avec sa sœur Claudia en 1981, le metteur en scène italien parcourt le monde : de Cesena où il monte la pièce, il se rend à Berlin, Bruxelles, Bergen, Paris, Rome; Strasbourg, Londres, Marseille, pour terminer sa course à Avignon, centre névralgique du théâtre en Europe.

 

Étendu sur quatre années et décliné en onze épisodes, le projet Tragedia Endogonidia, tel un chemin de croix, marque un arrêt au Festival d'Automne à Paris en 2003. Armes, souffrance, corps quasi nus, violence… Romeo Castellucci enflamme la capitale. Sans réellement étayer son propos, le metteur en scène propose au-delà d'une simple pièce de théâtre, une véritable expérience visuelle pour les spectateurs, où non moins de trois voitures tombent littéralement sur scène. Tous les sens sont en éveil, les ventres se nouent, l'ouïe est saturée, et sur scène, les mouvements, les rythmes, les couleurs et les sons du monde contemporain s'entremêlent : Tragedia Endogonidia, P.#06 Paris malmène ceux qui croyaient tout savoir du théâtre.

 

 

“Sur le visage du concept du fils de Dieu” (2011) de Romeo Castellucci © Klaus Lefebvre

2. Sur le visage du concept du fils de Dieu : la controverse

 

En 2011, l'enfant terrible de la performance revient poser ses valises à Paris. D'abord présentée au Festival d'Avignon, sa pièce Sur le visage du concept du fils de Dieu (Sul concetto di volto nel figlio di Dio) est ensuite programmée au Théâtre de la Ville. À travers cette mise en scène, Romeo Castellucci s'attaque au sacré : on y voit un vieillard déambuler sur scène en couche-culotte, et se mettre à jeter des excréments sur la reproduction d'une peinture d'Antonello di Messina représentant le Christ. Les critiques vont bon train : Sur le visage du concept du fils de Dieu est jugée comme blasphématoire par l'évêque de Vannes et les mouvements intégristes catholiques s'emparent de l'affaire, cherchant à interdire que la pièce soit jouée. 

 

En effet, alors que les représentations de Sur le visage du concept du fils de Dieu ont à peine débuté, une horde de manifestants tentent de perturber les représentations. Résultat : 220 arrestations en 7 jours. Sept ans plus tard, la pièce est reprise au théâtre Quinconces-L'Espal du Mans, mais cette fois-ci Romeo Castellucci est soumis à la censure. La scène du spectacle où des enfants jettent des jouets en forme de grenades sur le visage du Christ est alors retirée de la pièce par arrêté préfectoral.

 

 

“La Vita Nuova“ (2019) de Romeo Castellucci © Veerle Vercauteren

3. La Vita Nuova, retour à Paris dans un parking souterrain

 

Cette année, la toute nouvelle performance de Romeo Castellucci, La Vita Nuova, bouscule. Créée dans un ancien garage Citroën à Bruxelles, la pièce est programmée fin novembre au sous-sol de la Grande Halle de La Villette à Paris. Elle met en scène cinq comédiens noirs, affublés de longues capes d'une blancheur virginale – qui rappellent celles des ecclésiastes ou les ailes des anges – dans un parking désaffecté, enfumé et poussièreux.

 

Interogeant le sens de la vie et celui de l'art, La Vita Nuova est le récit d'une quête de sens, celui d'hommes déambulant dans une époque pas tout à fait révolue avec la volonté de construire une ère nouvelle. Au milieu de carcasses de vieilles Mercedes, les acteurs de la performance de Romeo Castellucci invoquent un nouveau Dieu : l'art. Presque assourdis par les bruits de nature, de fantômes et de métal qui s'entrechoquent – réalisés par Scott Gibbons, le compositeur de musique électroacoustique à l'origine de toutes les bandes sons du metteur en scène depuis les années 90 –, les spectateurs peinent néanmoins à cerner le territoire dans lequel Romeo Castellucci les embarque.