“Roman Polanski a toujours été respectueux des femmes…” Emmanuelle Seigner, l’interview vérité
Actrice et chanteuse, Emmanuelle Seigner est connue pour son caractère entier et son franc-parler. Elle sera à l’affiche de “J’accuse” le 13 novembre prochain, le passionnant film de son mari Roman Polanski consacré à l’affaire Dreyfus. Rencontre.
Propos recueillis par Philip Utz.
Portraits Pierre-Ange Carlotti.
Numéro : Quels sont les avantages et les inconvénients de tourner avec son mari ?
Emmanuelle Seigner : Lorsque votre mari s’appelle Roman Polanski, c’est tout bénef. Et si votre mari est nul, mieux vaut en changer.
Qu’avez-vous pensé du paradoxe de la dernière Mostra de Venise, où le film J’accuse de Polanski – dans lequel vous tenez le rôle de Pauline Monnier – a fini par remporter le Lion d’argent malgré une vive polémique ?
Tout ce que je sais, c’est que j’arrive à Venise et que la présidente du festival [Lucrecia Martel] annonce qu’elle prévoit de boycotter la soirée de gala consacrée au film. Suite aux déclarations de cette dernière, Roman et les producteurs [Luca Barbareschi et Alain Goldman] ont fait une réunion de crise et ont envisagé de retirer l’œuvre de la compétition. L’idée ne me plaisait pas du tout, car retirer le film aurait équivalu à reconnaître la défaite. Sans parler du fait que je venais tout juste de m’installer dans ma superbe suite de palace et que je n’avais aucune envie de plier bagage. [Rires.] Heureusement, ils ont décidé de maintenir le film en compétition et finalement les choses se sont bien goupillées, il a remporté tous les suffrages. Le jury m’a d’ailleurs assuré que s’il n’y avait pas eu cette fichue présidente, J’accuse aurait décroché le Lion d’or.
Avez-vous vu le Joker, de Todd Phillips, qui a finalement raflé la mise ?
Oui, le film est très bien fait, et Joaquin Phoenix y est fabuleux – d’ailleurs, il aurait largement mérité de se voir décerner le prix d’Interprétation à Venise – mais on ne va pas se mentir, il est tout de même ultra violent… J’adore la forme, mais je ne suis pas sûre du fond.
Le film a d’ailleurs été critiqué aux États-Unis pour cause de prétendue incitation à la violence. Selon vous, une œuvre de fiction peut-elle provoquer chez le spectateur un phénomène d’indentification et d’imitation ?
Je ne saurais vous dire. Personnellement, je ne raffole pas des films qui célèbrent la barbarie et la brutalité. Mais de là à dire qu’ils sont susceptibles d’influencer les comportements, je ne sais pas…
En parlant de brutes épaisses, Harvey Weinstein vous a-t-il jamais invitée à prendre un dernier verre dans sa suite de l’Eden-Roc lors du Festival de Cannes ?
Il m’a conviée à plusieurs reprises, mais je ne suis pas montée dans sa chambre. Disons que je n’étais pas du tout sensible à sa plastique de rêve.
N’avez-vous jamais souffert de misogynie, de sexisme ou d’abus au cours de votre carrière de comédienne ?
Les mecs un peu lourds, les mots déplacés, les mains baladeuses, j’y ai eu droit comme tout le monde. Mais c’est surtout la place des femmes dans la société qui a toujours été équivoque. On le constate d’ailleurs très bien dans le film J’accuse. Elles ont eu le droit de vote très tard, par exemple, et vous voyez bien qu’aux États‑Unis, encore aujourd’hui, on multiplie les offensives contre leur droit à l’avortement. On vieillit plus vite que nos compagnons masculins, et, contrairement à eux, on ne peut pas avoir d’enfants passé la cinquantaine. Bref, ça n’a jamais été facile pour nous, les femmes. Mais, pour répondre à votre question, dans le cadre de ma profession, je ne me suis jamais retrouvée victime d’abus outranciers dans la mesure où j’ai toujours su me défendre. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. En même temps, si l’on vivait dans un monde complètement stérile et aseptisé, où les hommes aux idées mal placées n’existaient plus, on ne se ferait plus draguer. Ce qui est assez paradoxal.
Que répondez-vous aux féministes qui vous reprochent votre soutien indéfectible à votre mari en ces temps de #MeToo et de #TimesUp ?
Depuis que je le connais, Roman a toujours été respectueux des femmes, respectueux de moi, très bon mari et très bon père de famille. Je vois la façon irréprochable dont il se comporte avec les comédiennes sur ses plateaux, qui se situe à mille lieues des Weinstein et compagnie, et je ne vois même pas comment on peut les mettre dans le même panier. L’affaire Polanski est une histoire qui remonte à 1977, cela n’a rien à voir, je ne vois pas comment on peut l’associer à ce débat. Roman a toujours mis les femmes en valeur dans ses films, il a tourné avec les plus grandes stars, qui l’adorent toutes sans exception, bref, il n’y a strictement aucun rapport entre mon mari et ces mouvements contre les violences sexistes et sexuelles.
Le risque d’extradition encouru par votre mari ne rend-il pas compliqué les vacances d’été sous les tropiques avec les mioches ?
Il y a plein d’endroits sympas en France ! Et puis, quand j’ai un voyage à faire – l’an dernier, je suis partie à Santa Fe avec ma fille, par exemple – je ne me gêne pas pour le laisser à la maison.
Pourquoi n’avez-vous pas songé à demander une grâce présidentielle à ce gros bouffon de Donald Trump ?
Encore faudrait-il que je le croise !
Dans J’accuse de Polanski, votre première réplique est d’une vacuité stupéfiante. Pouvez-vous nous la refaire ?
“Ah, je ne vous ai pas dit ? Philippe et moi, nous avons découvert un restaurant alsacien, rue Marbeuf, absolument merveilleux !” C’est vrai qu’elle semble débile, mais à l’époque, on attendait surtout des femmes qu’elles soient décoratives ou bonnes maîtresses de maison… En fait, même si au début du film le personnage donne l’impression d’être une cocotte, on comprend peu à peu que c’est une femme pleine de finesse, de courage et de modernité.
Pourquoi avez-vous décidé de tourner le film en langue française ?
L’affaire Dreyfus est une histoire si française qu’il aurait été ridicule de le tourner en anglais.
Ce choix n’était-il pas en partie lié au fait que votre mari ne pouvait pas quitter le sol français ?
Et que cela aurait coûté un bras de rapatrier le Tout-Hollywood à Paris pour qu’il figure dedans ? Sans doute. Mais je pense surtout que depuis dix, quinze ans, le public est devenu plus exigeant. Nombre de films dans lesquels j’ai joué – La Môme, pour lequel Marion Cotillard a remporté l’Oscar, ou encore Le Scaphandre et le Papillon, qui a reçu quatre nominations – ont été couronnés de succès critique et commercial même s’ils ont été tournés en langue française.
Pourquoi vous voit-on si peu à l’écran dans J’accuse alors que vous êtes juste parfaite dans chacune de vos scènes ? Et puis Jean Dujardin, entre nous, ça va cinq minutes. Ce n’est pas pour rien qu’il a remporté un Oscar pour un rôle muet.
Vous êtes très gentil, merci pour ces compliments. Mais il s’agissait dès le départ d’un rôle qui, même s’il est joli, est un rôle secondaire féminin dans un film qui tourne avant tout autour d’une affaire d’hommes. C’était à prendre ou à laisser. Mais ça me plaisait bien d’être la seule femme dans un film d’hommes et surtout de participer à un projet sur un sujet si important. Quant à Jean Dujardin, j’ai envie de vous répondre que la prochaine fois, vous n’aurez qu’à faire le casting.
Je me rappelle avoir été ému aux larmes par une interview que votre mari avait accordée à Numéro Homme l’an dernier au sujet de son enfance passée dans le ghetto de Cracovie. Deux phrases en particulier m’ont marqué : “Les Allemands étaient dans l’immeuble, ils traînaient une femme par les cheveux dans l’escalier. Assis dans la lueur du poêle, j’ai dessiné avec mon doigt mouillé de salive une croix gammée sur le mur.” Comment est-il possible, selon vous, de pardonner à l’humanité de tels crimes ?
Roman a tellement souffert dans sa vie, entre son enfance avec les Allemands et le meurtre de Sharon [Tate] – son bourreau, Charles Manson, portait d’ailleurs une croix gammée tatouée sur le front – que c’est sans doute pour cette raison qu’il a pour seule profession de foi d’être athée.