20 juil 2020

Robert Pattinson : “Avec Twilight je n’imaginais rien, c’était juste un casse-croûte”

Porté par une exigence constante dans le choix des réalisateurs avec lesquels il collabore, Robert Pattinson a choisi de se situer dans la lignée des grands acteurs, ceux qui, menés par leur passion du cinéma, sont capables à la seule force de leur volonté de se forger une grande carrière. À 33 ans, le visage de la nouvelle eau de toilette Dior Homme n’a sûrement pas fini de nous surprendre.

Blouson en serge de coton technique et tee-shirt en jersey de coton, Collection Homme, Dior. Mise en beauté, Dior. Photo: Mikael Jansson.

À la fin des années 2000, le défi pour Robert Pattinson consistait à trouver un domicile, un endroit où dormir. C’était avant le succès fulgurant de la saga Twilight, le jeune homme n’avait alors qu’une vingtaine d’années, il avait mandaté son agent à Los Angeles pour qu’il lui trouve un rôle. N’importe quel rôle. À la condition que celui-ci soit payé. Robert a grandi à Londres – sa mère travaillait dans une agence de mannequins, son père importait des voitures de collection – n’avait plus d’emploi depuis trois ans. À 19 ans, il avait incarné Cedric Diggory dans le quatrième volet de la saga Harry Potter, Harry Potter et la coupe de feu (2005) de Mike Newell. Après cela, plus rien. L’agent de l’acteur avait fait son travail, ou plutôt un des producteurs de Twilight – l’adaptation d’une série de livres à succès d’une romancière mormone, Stephenie Meyer, dont personne n’imaginait qu’elle puisse susciter cet engouement –, avait été frappé, en voyant passer une photo, par le visage angulaire, comme découpé à la scie, de ce jeune acteur, soudain parfait pour le rôle, improbable, d’un vampire d’une étoffe particulière, capable de réfréner ses pulsions sexuelles. “Pour dire la vérité, se souvient Pattinson, je n’imaginais rien avec ce rôle. Je cherchais un casse-croûte, rien d’autre.

 

 

“David Cronenberg ne m’a guère adressé la parole. J’avais pourtant envie de parler avec lui. Il ne faisait aucune répétition.”

 

 

 

L’engouement hors norme suscité par les cinq films de la saga – Twilight, chapitre I : Fascination (2008) ; chapitre II : Tentation (2009) ; chapitre III : Hésitation (2010) ; chapitre IV : Révélation, première partie (2011) ; chapitre IV : Révélation, deuxième partie (2012) –, avec plus de trois milliards de dollars de recettes en salle dans le monde entier, le goût et la fascination du public pour une romance chaste – un vampire tombant amoureux d’une humaine, mais qui se voit dans l’incapacité de la toucher sans prendre le risque de la tuer – avait tout d’un coup reconfiguré l’univers de l’acteur. Parfois, en regardant des photos de lui dans les films de la saga, les cheveux ébouriffés avec soin, les sourcils dessinés, le teint blafard, les yeux modifiés par des lentilles pour lui donner ce regard étrange, les lèvres recouvertes d’une fine couche de rouge, Robert Pattinson arrivait à se convaincre que le jeune homme à l’écran n’était pas lui. “Je ne m’y retrouvais plus. Ce mec ne me ressemblait pas.

Robert Pattinson ne regarde guère par la fenêtre. Pas seulement parce que le monde extérieur lui fait peur mais parce qu’à ses yeux seul son monde intérieur importe. En général, il reste dans sa chambre, regarde des films ou des séries télévisées. Il est ainsi parvenu à voir quatre saisons de Game of Thrones en soixante-douze heures, une performance qui le sidère. Sinon il lit, Michel Houellebecq, comme il a l’habitude de l’expliquer dès que son interlocuteur est français. Autrement, de manière prosaïque, l’acteur se réfère aux lectures indiquées par les metteurs scène sous la direction desquels il travaille.

 

Sur le plateau de Twilight, il était possible de l’apercevoir en train de lire Molière entre deux prises. Le soir, il regardait en boucle des films de Godard – À bout de souffle restait son film de chevet, et Jean-Paul Belmondo, la vedette du film, son idole. Durant le tournage du dernier Twilight, il parvient à tourner dans Bel Ami, d’après Maupassant, et, surtout, dans Cosmopolis de David Cronenberg d’après le roman éponyme de Don DeLillo. L’acteur britannique incarne un milliardaire se rendant chez son coiffeur le jour d’une visite présidentielle à New York. Alors que dans le monde futuriste, d’abord imaginé par DeLillo, puis recréé et actualisé par Cronenberg, le capitalisme touchait à sa fin – le tournage du film se déroulait après la crise économique de 2008, en pleine période du mouvement Occupy Wall Street – le jeune milliardaire devenait persuadé qu’il serait assassiné dans la journée, son empire financier s’écroulerait, et il devenait essentiel pour lui de ne plus jamais sortir de son véhicule pour observer le monde depuis sa fenêtre. Pour cet acteur cinéphile, tourner avec le réalisateur canadien constituait un rêve. Il se demandait même pourquoi le metteur en scène de La Mouche et de Faux-semblants s’était intéressé à lui. “Il ne m’a guère adressé la parole, se souvient Pattinson. J’avais pourtant envie de parler avec lui. Il ne faisait, par exemple, aucune répétition. Avant le tournage, je lui ai pourtant passé un coup de fil pour lui expliquer que serait peut-être bien qu’on se parle, une fois au moins. Mais non, il m’a juste assuré que les choses se feraient d’elles-mêmes. Je me souviens néanmoins que cette époque était vraiment un drôle de moment. Le mouvement Occupy Wall Street avait aussi germé à Los Angeles. J’avais plusieurs collègues acteurs qui prévoyaient d’y participer, mais je leur avais fait remarquer qu’il serait maladroit de s’y rendre en voiture de sport, cela risquait de brouiller le message.

 

 

C’était à la fois effrayant et dangereux, la moitié de l’équipe roulait dans une voiture maculée de sang.

 

 

Cosmopolis a été présenté en compétition au Festival de Cannes en 2012. L’hystérie prédominait. “Il faut dire que le film mettait en avant une proposition radicale puisque toute l’action se déroulait à partir d’une voiture. Tout le monde pensait qu’en tournant un film pareil, je cherchais à devenir crédible. Je n’avais pas besoin de ça. C’est curieux, j’ai passé une partie du Festival de Cannes à aller d’une limousine à une autre. Sur le plateau de Cosmopolis, pour rester en phase avec mon personnage, je passais tout mon temps dans ma voiture. J’avais chaud, je transpirais, je m’ennuyais et, à la fin, je m’endormais. Il fallait qu’on me réveille pour me rappeler que je devais retourner au travail. En fait, le film me ressemblait : un type coincé dans sa limousine, détaché du monde extérieur, ce n’était pas du tout éloigné de moi.”

Tee-shirt en jersey de coton, Collection Homme, Dior. Mise en beauté, Dior. Photo: Mikael Jansson.

C’est dans sa chambre que Robert Pattinson a conçu la suite de sa carrière, en spectateur attentif et obsessionnel. Parmi les comédiens de sa génération, sa filmographie est l’une des plus originales et convaincantes : Cosmopolis et Maps to the Stars (2014) de David Cronenberg, The Lost City of Z (2017) de James Gray, The Rover (2014) et Le Roi (2019) de David Michôd, Good Time (2017) des frères Safdie, High Life (2018) de Claire Denis, Queen of the desert (2015) de Werner Herzog et, le plus récent, The Lighthouse (2019) de Robert Eggers, où il incarne un gardien de phare menacé par une présence surnaturelle, où il n’ouvre presque jamais la bouche. Ses choix sont toujours audacieux, traduisent un dédain pour ce que l’on appelle un plan de carrière, une fidélité avec les réalisateurs avec lesquels il collabore, avec un courage certain pour accepter des rôles secondaires à partir du moment où un projet l’intéresse. “Vous savez, les rôles secondaires m’attirent tout particulièrement. Dans Maps to the Stars ou dans The Lost City of Z, on me foutait la paix, c’était d’ailleurs l’avantage d’un tournage dans la jungle, James Gray avait autre chose à faire. Personne n’attendait rien de moi. Je pouvais poser des questions au réalisateur, le film ne reposait pas sur mes épaules. C’était comme si j’existais à peine.” Depuis 2013, l’acteur est le visage de L’Eau de Toilette Dior Homme, un rôle d’égérie qui le ravit, et ressemble, à ses yeux, au parfait contrepoint à ses choix de carrière clivants. “J’ai eu une relation très longue avec Dior, c’est une expérience formidable de tourner ces films publicitaires avec eux. J’ai toujours apprécié le contraste entre faire des films audacieux et ce travail. La mode est très différente du cinéma, et pourtant, les deux posent un challenge tout aussi passionnant.

 

 

Je ne ressemblais plus à rien, si ce n’est à une merde.

 

 

Robert Pattinson a une façon particulière de parler de ses films. Si la culture cinéphile de l’acteur, tout comme la manière dont il met celle-ci à profit pour sa carrière, apparaît comme une évidence. Il y a les films qui lui ont causé du tort, dont il essaie de se débarrasser, et ceux dont il vante les vertus curatives. Du tournage de The Rover, un western futuriste situé dans le bush australien, où l’acteur joue un simple d’esprit à moitié sourd décidé à retrouver la trace des trois hommes lui ayant volé sa voiture et le chien se trouvant dans son coffre, il garde un souvenir vivace, un film à valeur thérapeutique. Pattinson travaillait au milieu de nulle part, la ville la plus proche se situait à 300 kilomètres, il habitait dans un village de cinquante habitants où les températures approchaient les 50 degrés. Les kangourous avaient si peu l’habitude de croiser des voitures qu’ils venaient s’écraser contre leur pare-brise. “C’était à la fois effrayant et dangereux, la moitié de l’équipe roulait dans une voiture maculée de sang.” Puis est arrivé un moment d’épiphanie. Robert Pattinson se retrouve au milieu du désert. Il se met à pisser. Il le fait avec d’autant plus d’aisance et de soulagement que personne ne guette la scène. Pour la première fois, il peut prendre ses aises en toute liberté, dans l’anonymat le plus complet. Ici, dans le bush australien, à 900 kilomètres d’Adélaïde, à l’air libre, il redécouvrait la liberté.

Après avoir recouvré sa capacité de mouvement, il lui a fallu aussi en finir avec son physique. En 2015, durant ses longues nuits d’insomnie à regarder tout ce qui lui passait sous les yeux, il tombait sur le visage d’une fille dont il n’avait jamais entendu parler, Arielle Holmes, dans un film qu’il connaissait encore moins, Heaven Knows What (sorti en France en 2016 sous le titre de Mad Love in New York) de Benny et Josh Safdie. Il n’y avait pas moyen de voir la moindre image du film, seule apparaissait la photo de son actrice principale. Les cheveux raides, le regard vide, le visage amaigri, conséquence de son addiction à l’héroïne – avait frappé Pattinson. Ce processus de destruction l’intéressait au premier chef. Il voulait qu’on lui applique un tel régime et avait écrit aux deux frères réalisateurs installés à New York pour leur expliquer que s’il n’avait pas encore vu leur film, il se tenait prêt à jouer dans leur prochain long-métrage. “Je veux disparaître dans mon prochain film, leur avais-je expliqué, je tiens à ce que le spectateur ne me reconnaisse plus.

 

 

Les frères Safdie n’avaient pas encore Good Time en tête et travaillaient déjà sur Uncut Gems, un film situé dans le diamond district de Manhattan où leur père avait autrefois été employé, mais, pris de court par l’enthousiasme de l’acteur, ils décidèrent de bouleverser leurs priorités. Pour se préparer à son rôle de petite frappe organisant, après un braquage raté, l’évasion de son frère attardé mental, Pattinson avait traîné dans le Queens, lu les livres conseillés par les deux frères, Le Chant du bourreau de Norman Mailer, et Dans le ventre de la bête de Jack Henry Abbott, un autre classique américain de la littérature carcérale. L’acteur s’était aussi efforcé de retrouver l’accent new-yorkais de ses metteurs en scène. Puis était venue l’étape de sa transformation physique. Il avait perdu du poids, teint ses cheveux en blond, percé ses oreilles pour y insérer des faux diamants, puis s’était choisi une énorme doudoune à l’intérieur de laquelle il semblait à l’étroit. “Je ne ressemblais plus à rien, si ce n’est à une merde.” Une merde qui pouvait marcher librement dans la rue sans se voir accostée. “C’est comme si j’avais une cape me permettant de devenir invisible. Et puis le brillant dans les oreilles, c’était vraiment un bon truc.” À bientôt 34 ans, Robert Pattinson n’a jamais vu le temps passer. Il se souvient d’avoir eu 14 ans. Puis il a fait carrière. Assurément, une des carrières les plus singulières du cinéma contemporain. “Seulement voilà, dans ma tête j’ai toujours 14 ans.