Rencontre avec Zita Hanrot, qui incarne une strip-teaseuse dans À Mon Seul Désir
Zita Hanrot se met à nu dans son nouveau film, À Mon Seul Désir, qui sort au cinéma aujourd’hui. Elle y incarne une apprentie actrice qui initie au strip-tease et au théâtre érotique une étudiante qui se cherche, dans un cabaret parisien déluré. L’occasion de nous parler de désir et de cinéma, mais aussi des films avant #MeToo.
propos recueillis par Violaine Schütz.
1. Mademoiselle (2016) de Park Chan-wook
« C’est un film du réalisateur sud-coréen Park Chan-wook qui se trouve tout en haut de ma liste concernant mes long-métrages fétiches dépeignant le désir. Le film – qui se passe en Corée, dans les années 30, pendant la colonisation japonaise et raconte l’histoire d’une jeune femme engagée comme servante d’une riche Japonaise vivant recluse dans un manoir – met en scène non seulement le désir mais aussi l’idée d’émancipation. Les deux sont liés car dans le désir, se joue souvent une forme d’émancipation. C’est un film très juste. Les scènes d’amour entre les deux personnages féminins m’ont particulièrement marquée, notamment celle qui est racontée de deux points de vue différents. J’ai rarement été aussi émue et bouleversée par une scène d’amour au cinéma. La mise en scène, la musique, le cadre, les actrices… parviennent à créer une excitation en même temps qu’une émotion romanesque. Ce film remplit pleinement le rôle du cinéma qui est celui de véhiculer et des raconter des émotions par l’image et son cadrage (ce que l’on décide de montrer ou de cacher).
J’ai parlé de Mademoiselle à Lucie Borleteau, la réalisatrice d’À mon seul désir, qui l’avait aussi beaucoup aimée, et comme il repassait dans un cinéma dans le XIe arrondissement de Paris, nous sommes retournées le voir juste avant le tournage du film. Et comme à sa sortie, j’étais en larmes tout au long de cette fameuse scène. On sent à la fois l’amour et le désir qui les habitent mais aussi la façon dont elles sont « empêchées » dans leur quotidien. Leur étreinte, mue par une sorte d’urgence de vie et de mort, est d’une grande beauté. C’est une libération. J’ai beaucoup pensé à cette séquence pour jouer la première scène d’amour entre mon personnage, Mia, et celui d’Aurore, dans À mon seul désir, que je voulais vitale, presque urgente. »
2. Lady Chatterley (2006) de Pascale Ferran
« J’ai revu ce long-métrage de Pascale Ferran, avec Marina Hands et Jean-Louis Coulloc’h, pour préparer À mon seul désir. Comme Mademoiselle, c’est un film d’époque (il se passe pendant la Première Guerre mondiale), très romanesque, qui parle de libération à travers le désir. L’héroïne prend en main son désir et son corps et s’émancipe dans la découverte de son corps et de celui de l’autre (Lady Chatterley souffre de dépression après que son mari soit revenu de la guerre hémiplégique et impuissant, et elle retrouve goût à la vie dans les bras d’un garde-chasse bourru, ndlr). C’est une adaptation du livre (Lady Chatterley et l’Homme des bois de D. H. Lawrence, paru en 1927) que je trouve très belle, émouvante, moderne et juste, à l’avant-garde des films qui abordent aujourd’hui le plaisir féminin de manière réaliste. Il y a beaucoup de scènes de nudité et d’amour mais qui ne semblent jamais gênantes pour les acteurs et qui ne sont pas voyeuristes. Elles participent à l’avancement du récit et sont abordées avec beaucoup de sensibilité. »
3. Esther Kahn (2000) d’Arnaud Desplechin
« Lucie (Borleteau) a fabriqué ce À mon seul désir avec ses actrices. Il y avait beaucoup d’échanges. Je lui ai offert des livres, notamment ceux de la philosophe Anne Dufourmantelle, que je trouve très inspirants, car ils sont mystérieux et ne livrent pas leur sens tout de suite. Elle m’offrait des BD, on allait au cinéma, on buvait des cafés à la salle d’escalade de Pantin. Et on parlait de cinéma. Lucie nous avait envoyé une liste de films à regarder, autour du désir, à Louise (Chevillotte) et à moi. Nous avions certains films en commun et d’autres, spécifiques. Dans ma liste, j’avais Esther Kahn d’Arnaud Desplechin, qui m’a beaucoup plu. Le film parle du désir brûlant d’être actrice. L’héroïne, qui évolue dans le Londres de la fin du XIXe siècle, tombe en amour de ce métier, en le pratiquant au théâtre. Un sentiment que je trouve très semblable à l’illumination que j’ai ressentie, à 18 ans, quand j’ai voulu devenir comédienne. C’est difficile à expliquer. Tout n’est pas conscient, il reste une part de mystère dans ce désir. La rencontre avec ce métier est comme un jaillissement, une révélation. C’est étrange : intimement, on a l’impression que c’est là que l’on doit être, un peu comme les palpitations que l’on ressent lorsqu’on est amoureux. Ce n’est pas un métier anodin. »
4. Mulholland Drive (2001) de David Lynch
« Mulholland Drive raconte à la fois la relation pleine de désir entre deux femmes, Betty (Naomi Watts), aspirante actrice qui vient d’arriver à Los Angeles, et une femme amnésique (Laura Harring) rescapée d’un accident de voiture. Mais il parle aussi du désir d’être actrice et de l’ambition de devenir une star à Hollywood. David Lynch questionne le métier d’actrice à travers le personnage incarné par Naomi Watts. C’est comme s’il avait mis en scène le comble du métier de comédienne en mélangeant des sensations oscillant entre rêve et réalité, désir de réussite et désir pour une autre femme, faux-semblants et illusions. Il y a un côté très « méta » car il met en scène le milieu dans lequel il évolue. »
5. Virgin Suicides (1999) de Sofia Coppola
« Virgin Suicides évoque de manière très rusée l’éclosion du désir dans un groupe d’adolescentes. La scène avec Josh Hartnett qui marche est hallucinante. Je me souviens de l’avoir regardé ado et de m’être dit : « Je n’ai jamais vu un homme aussi beau de ma vie, alors qu’en plus je suis entourée de bels hommes dans ma famille. » Même si l’acteur est charismatique en dehors de ce film, il est formidablement filmé et mis en scène par Sofia Coppola, qui le magnifie. Comme Marlon Brando quand il a débuté au cinéma, je trouve qu’il possède un mélange de « féminin » (avec sa bouche charnue, sa démarche sensuelle et ses cheveux longs) et de « masculin ». Ce n’était pas le type d’hommes qu’on avait l’habitude de voir au cinéma. »
À mon seul désir (2023) de Lucie Borleteau, avec Zita Hanrot, au cinéma le 5 avril 2023.
Six mois après la sortie du film La Maison (2022), dans lequel l’héroïne, écrivaine, décide de se prostituer dans une maison close pour nourrir sa créativité et par plaisir, un autre long-métrage met en scène le désir féminin de manière aussi libre qu’onirique. Dans le conte moderne À Mon Seul Désir de Lucie Borleteau (Fidelio, L’Odyssée D’Alice, Chanson douce), en salle ce mercredi 5 avril, une aspirante actrice nommée Mia (Zita Hanrot) initie au théâtre érotique et au strip-tease une étudiante qui se cherche, Aurore (Louise Chevillotte). Les deux jeunes femmes vont même nouer une relation fusionnelle aussi charnelle que poétique dans un club de strip-tease parisien où règnent la sororité et la bienveillance, malgré les galères. De quoi leur faire oublier un quotidien des plus précaires…
À Mon Seul Désir : une immersion dans un club de strip-tease avec la magnétique Zita Hanrot
Sensuel et audacieux, cette fable qui évite le glauque et le racoleur, montre une nouvelle facette de la formidable actrice française Zita Hanrot. Habituée à osciller entre les drames, les films engagés (Fatima, Annie colère) et les comédies (la série générationnelle Plan cœur), elle se met littéralement à nu, multipliant les scènes sulfureuses. « J’avais déjà tourné des scènes de nu et d’amour, nous explique l’actrice, notamment dans le film Paul Sanchez est revenu de Patricia Mazuy, mais c’est la première fois que je joue dans un film qui gravite autant autour du corps, du désir, avec des scènes d’amour et de simulation. J’ai eu peur, au début, avant d’accepter ce long-métrage. Je me questionnais beaucoup et j’ai eu besoin de temps pour réfléchir avant de donner un oui réfléchi et conscient. » Finalement, Zita Hanrot se jette à l’eau, séduite par le « female gaze » malin de Lucie Borleteau et se prépare à ce rôle en rencontrant des strip-teaseuses et en se rendant, dans le sixième arrondissement de Paris, dans le seul lieu montrant du théâtre érotique (des saynètes mélangeant effeuillage et comédie). « J’ai découvert un univers très joyeux, ludique, où les femmes n’étaient pas contraintes, contrairement à ce que je redoutais. Il y avait des femmes venant de milieux très différents, avec des jobs à côté, qui jouaient de petites scènes de théâtre amusantes et se déshabillaient en faisant des blagues. »
Un avant et un après #MeToo
Cette atmosphère décontractée et « bon enfant » l’a rassurée, tout comme la pensée féministe qui habitait toutes les actrices et la réalisatrice présentes sur le projet. Car Zita Hanrot explique : « Même si j’ai déjà joué des personnages dans la souffrance, je n’avais pas envie, dans ce film, de représenter une sexualité liée à la souffrance. » Pour l’actrice de 33 ans, il y a un avant et un après #MeToo au cinéma. « Je me souviens avoir adoré, à sa sortie, Dogville (2003) de Lars von Trier. Mais en le revoyant plus tard, j’ai eu l’impression de voir Nicolas Kidman se faire violenter pendant plus de deux heures, sans regard critique sur la violence subie, ce qui était pour moi insoutenable. Il en va de même pour Boulevard de la mort (2007) de Quentin Tarantino. À 17 ans, un âge où l’on se construit, j’avais adoré. J’y étais allée avec des copines et ça nous avait mises dans une grande joie. On était surexcitées. Je voulais être Rosario Dawson. Sauf qu’en le revoyant il y a quelques jours, pour le montrer à mon mec, on l’a trouvé d’un cynisme absolu et d’une violence inouïe. Il y a par exemple un cadrage sur les fesses d’une actrice très érotisé qui ne serait pas tourné de la même manière aujourd’hui. Le contexte est très dérangeant. Le film est produit par Weinstein, avec Rose McGowan, qui a été détruite par ce dernier, qui meurt dans des circonstances atroces à l’écran. En tant que spectatrice, c’est douloureux à regarder. Même quand les femmes reprennent le pouvoir dans le film, contre un prédateur qui s’en prend à des jeunes femmes, les insultes qu’elles profèrent sont sexistes et misogynes (« salope », « grosse chienne »). Comme si les femmes devaient s’approprier les codes de la violence des hommes pour être à égalité avec eux. » À Mon Seul Désir, qu’on peut voir comme un Showgirls (de Verhoeven) féministe, apporte un tout autre regard, bien plus moderne et affranchi, sur l’exploration du désir féminin et ce qu’il comporte de sentiment de libération. À l’occasion de sa sortie en salle ce mercredi 5 avril, Zita Hanrot nous fait part de ses films fétiches qui parlent d’amour, de sexe et de désir.