21 mar 2022

Rencontre avec Yahya Abdul-Mateen II, la star de Watchmen à l’affiche du dernier Michael Bay avec Jake Gyllenhaal

Repéré en 2018 par le producteur de la série HBO Watchmen alors qu’il apparaît dans The Handmaid’s Tale aux côté d’Elisabeth Moss, Yahya Abdul-Mateen II a très vite revêtu le costume bleu du célébrissime Dr. Manhattan et a raflé, dans la foulée, un Emmy du “meilleur acteur dans un second rôle”. Depuis, il a incarné Morpheus dans le dernier Matrix – succédant à Laurence Fishburne – et est à l’affiche du nouveau film d’action de Michael Bay avec Jake Gyllenhaal. Rencontre.

Yahya Abdul-Mateen II et Jake Gyllenhaal sur le tournage d’“Ambulance” de Michael Bay

Numéro : Michael Bay est-il venu vous chercher pour son dernier film Ambulance ?

Yahya Abdul Mateen II : J’ai reçu un appel d’un type avec qui je bosse. Il m’a dit que Michael Bay me voulait pour le film. J’ai lu le script et je me suis dit “Ok, il est très connu pour avoir réalisé des trucs énormes, dont Bad Boys [1995] qui était l’un de mes films préférés en grandissant. Mais celui-là est différent.” C’est une histoire de fraternité, sur un gars qui est dos au mur et qui essaie de sauver sa femme en obtenant de l’argent pour qu’elle se fasse opérer… J’étais assez impatient de voir ce que Michael Bay allait faire avec une telle histoire.

 

Le film aborde également les lacunes de la protection sociale américaine. Excepté l’action pure, c’est son engagement qui vous a séduit ?

C’est quand même dingue que la majorité des Américains pauvres ou appartenant à la classe moyenne ne puisse pas aller chez le médecin quand elle se sent mal ! Ou que ces gens aient carrément peur de tomber malades. C’est d’ailleurs une chose qui doit vraiment être améliorée aux États-Unis… Donc oui, ça m’a plu à la lecture du scénario. Il y a aussi le fait que mon personnage ait été un Marine. On entend beaucoup parler des héros, on les applaudit pour leurs sacrifices, mais quand il s’agit de donner à nos vétérans le soutien dont ils ont vraiment besoin pour survivre… Il n’y a plus grand monde. Et en tournant le film à Los Angeles, on voit beaucoup de vétérans qui sont maintenant sans abri.

 

Avez-vous eu une formation spéciale pour ce tournage ?

J’ai appris à conduire une ambulance ! [Rires.] C’était juste une formation d’un jour où j’ai dû conduire très vite et essayer de faire des drifts. Quand je suis rentré chez moi, j’avais l’impression de conduire hyper lentement… J’avais passé le reste de la journée à rouler pied au plancher ! Bon, en fait, je n’allais pas si vite, mais je m’en suis vraiment convaincu…

 

À quel âge avez-vous commencé à jouer la comédie ?

J’ai toujours joué et eu le droit d’être un enfant. On ne m’a jamais dit d’arrêter… Une fois que j’ai obtenu mon diplôme, on m’a dit de jouer encore davantage. C’est l’une des choses que je me dis souvent maintenant : “Continue à jouer”. J’ai vraiment pris mon premier cours de théâtre à 19 ans et commencé à tourner à 29 ans. J’ai donc passé dix ans à bosser, à rester focus pour essayer de réussir.

 

Quel a été le déclic – le moment où vous avez quitté votre travail pour vous lancer vraiment ?

Lorsque je travaillais, je prenais des cours de théâtre les jeudi soir. Personne ne le savait mais j’arpentais les rues après le travail pour y aller… À l’époque, je n’avais pas assez d’argent pour tout quitter d’un coup. Mais d’un coup, j’ai été licencié, j’ai touché un peu de chômage et mon frère m’a exonéré de loyer pendant quelques mois ! Ça m’a beaucoup aidé. 

 

Vous avez raconté qu’à vos débuts, certains vous ont conseillé de changer de nom. Vous ont-ils fait des suggestions ?

Personne ne m’a clairement dit : “Tu dois changer”. C’était plus sous forme de question, comme pour me demander si cela m’intéressait… Et ils n’ont jamais fait d’autre suggestion !

 

Certains acteurs font-ils cela? 

 

Bien sûr. Ils veulent quelque chose d’accrocheur, de cool… Et aussi à cause de l’Union [syndicat des acteurs hollywoodiens], qui mentionne que deux comédiens ne peuvent pas porter le même nom. S’il y avait un autre Yayha Abdul-Mateen II, j’aurais dû changer le mien.

https://youtu.be/Gh08ntLohXk

Dans une interview, vous parliez de votre amour pour les réalisateurs qui se forgent une tribu de cinéma, comme Martin Scorsese ou Ben et Casey Affleck. Faites-vous partie de celle de Jordan Peele ?

Peut-être. C’est sans aucun doute l’un des réalisateurs que je regarde et que j’admire le plus. Et il m’a en quelque sorte adopté très tôt. Il m’a offert un rôle dans Us en 2019 puis, en 2021, il m’a proposé d’être le protagoniste de Candyman [un film que Jordan Peele a co-écrit et produit]. C’est important d’avoir une famille, une tribu, une communauté… Et d’avoir, dans ce métier, des gens sur qui je peux compter, dont je fais confiance en la vision et qui ont une vision précise de leur art. Si vous avez la chance d’être un acteur vivant de son art, ça ne devrait pas ressembler à du travail, ça devrait ressembler à du plaisir. Et vous avez besoin d’un espace rassurant pour être suffisamment à l’aise pour devenir imaginatif et vulnérable… La vie est courte. Si tu veux être heureux dans ce que tu fais, tu dois le faire avec les gens que tu aimes. 

 

Vous avez récemment développé un projet avec Netflix…

J’ai conclu un deal créatif avec Netflix qui s’appelle House Eleven 10. C’est une boite de production qui porte le nom de la maison dans laquelle j’ai grandi, à Oakland, en Californie…

 

Comme l’a fait Kanye West en recréant sa maison d’enfance à Chicago ! 

[Rires.] Oui ! Le concept de maison est important : c’est l’endroit où je me sens le plus libre, où je peux jouer, utiliser mon imagination et ne pas être critiqué… C’est ce que je veux qu’on ressente dans mon entreprise : créer un endroit où l’on partage les mêmes valeurs. Je veux pouvoir aborder tous les genres – comme je le fais actuellement – dont les films d’action, indépendants, les séries télévisées… Ce que je veux faire avec ma société : avoir une vision unifiée, un sens, un objectif et une identité culturelle.

 

Hollywood a-t-il besoin des plateformes pour évoluer, notamment en matière d’inclusivité ? 

Le monde en a besoin. Parce que si les endroits où nous allons ne reflètent pas nos désirs, nous créons de nouveaux espaces. On tourne le dos à Hollywood, on tourne le dos à ce qui a jadis été récompensé et on commence à remettre des prix à d’autres. Regardez les réseaux sociaux. Les jeunes n’ont pas de problème pour se divertir ou trouver un endroit pour le faire. Si vous ne leur donnez pas, à l’écran, à la maison ou à la télévision, les moyens de le faire, ils le trouveront ailleurs. Hollywood doit donc écouter l’appétit des jeunes et du monde. Et le monde a de plus en plus envie d’histoires diverses racontées par des hommes et des femmes de couleurs et d’origines diverses.

 

À ce propos, que pensez-vous du choix de Drake et The Weeknd de ne pas se rendre aux Grammys à cause du manque d’inclusivité de la cérémonie ?

Ces types sont des géants. Et s’ils utilisent leur voix pour s’opposer à quelque chose, c’est leur droit. Ils défendent ce en quoi ils croient et leur déclaration a du poids, du fait de leur stature. On doit vraiment réexaminer le système qui valide l’art. Et il faudrait qu’il y ait une correspondance entre ceux pour qui nous faisons de l’art et ceux par qui il est validé.

 

Un artiste moins mainstream pourrait-il se permettre de faire cela ?

Non. Les enjeux sont différents. Et croyez moi, j’en suis conscient. Quand vous n’avez pas cette position, l’argent et le pouvoir… Personne n’en parle. Ça ne fera pas la une des journaux si un petit artiste tourne le dos au prix… Il sera pour quelqu’un d’autre. Mais c’est honorable d’utiliser une voix forte et la plateforme dont vous disposez pour vous exprimer et défendre ce en quoi vous croyez.

 

 

Ambulance (2022) de Michael Bay, avec Jake Gyllenhaal et Yahya Abdul Mateen II, en salle.