Rencontre avec Wong Kar-wai, maître du cinéma récompensé du Prix Lumière
À l'issue de la neuvième édition du Festival lumière, le cinéaste hongkongais Wong Kar-wai s'est vu récompensé du Prix Lumière à Lyon. Numéro revient à cette occasion sur son entretien historique avec l’un des plus grands stylistes du cinéma, publié à la sortie de son film culte In The Mood For Love.
Propos recueillis Nicolas Saada.
Ses films déchaînent critiques et passions. Monstre de patience happé par ses fantasmes, Wong Kar-wai a réinventé un glamour entre mélo classique et nostalgie asiatique. Rencontre.
Numéro : Comment avez-vous réagi au succès planétaire de In the Mood for Love ?
Wong Kar-wai : À dire vrai, j'étais surpris moi-même. C'est un film un peu risqué, d'un point de vue strictement commercial : il traite de couple mariés d'âge moyen. En outre, le fil narratif est un peu lâche, et il n'y a pas beaucoup de scènes de sexe. C'est une sorte de voyage; vous partez pour un ailleurs et il y a assez de place pour que d'autres gens viennent avec vous.
Est-ce dû au fait que le film est indissociable de sa musique, qu'il s'identifie à un air familier que le public aime se remémorer?
Dans le cas présent, oui. C'est un des éléments qui a beaucoup plu, de même que l'ambiance du film, très étrange.
La musique est-elle une source d'inspiration importante ? Vous inspire-t-elle certaines scènes ?
On fait un film pour tellement de raisons différentes ! Pour les personnages, l'histoire, le lieu ou la musique. J'écoute souvent de la musique. Parfois, elle m'inspire une vision qui peut être un point de départ. Nous tournons généralement sans script, mais il me faut une trame à montrer aux acteurs et à mon directeur de la photographie, pour aller plus en détail dans l'histoire et marquer le rythme et le tempo de l'action.
Dans vos films, les lieux sont et demeurent la mémoire des choses. Les hommes disparaissent. Est-ce un trait particulier à la culture asiatique ?
En effet, je pense que c'est très asiatique. Un des grands thèmes de la poésie chinoise est l'inadéquation : la personne qu'il faut, mais au mauvais moment ; ou alors au bon moment, mais pas au bon endroit. C'est toujours comme ça. De là naît la beauté ou le tragique.
“Je suis chinois dans mon subconscient”
“Je me demandais : “Si Hitchcock faisait ce film cela donnerait quoi ?””
Dans vos films, les objets paraissent aussi importants que les personnages. Pourquoi ?
C'est vrai. Ils n'ont aucune importance s'ils n'ont pas un lien avec une histoire en particulier. Une cigarette par exemple, peut en dire beaucoup sur une scène, et vous rappeler certains personnages.
Les objets auraient une âme ? Est-ce un autre élément culturel ?
Non. C'est une manière de montrer les choses. Comme certaines photos. Voyez Brassaï : il ne montre que des petites choses mais vous imaginez des mondes, parce que le visuel peut raconter des volumes.
Comment avez vous trouvé votre identité en tant que réalisateur, du fait que vous étiez déchiré entre ces contradictions et ces cultures différentes ?
Bien que nous vivions à Hong-Kong, mes parents nous rappelaient toujours que nous étions chinois ; je suis chinois dans mon subconscient, même si je vis à Hong-Kong depuis trente ans.
Y-a-t-il des cinéastes et des réalisateurs qui ont influencé votre création cinématographique, et plus particulièrement, celle de In the Mood for Love ?
Enfant, j'ai passé le plus clair de mon temps au cinéma. J'ai vu des milliers de films. Aussi, il m'est difficile de savoir qui m'a influencé. Mais pendant le tournage de In the Mood for Love, je pensais continuellement à Hitchcock, parce que l'histoire est très simple et je voulais voir comment nous pouvions la rendre captivante. Je me demandais : “Si Hitchcock faisait ce film cela donnerait quoi ?”