Rencontre avec Vincent Macaigne : “Je trouve que notre monde avance trop vite”
Ce mercredi 9 août 2023, Vincent Macaigne incarne un galeriste parisien fréquentant les hautes sphères de l’art contemporain dans le film Un coup de maître de Rémi Bezançon. Dans une interview accordée à Numéro, l’acteur et metteur en scène français se confie, sans filtre, sur ses peurs et ses envies de cinéma.
propos recueillis par Nathan Merchadier.
Depuis près de dix ans, l’acteur Vincent Macaigne est l’un des visages, à l’allure aussi dépressive que pleine de fantaisie, en vogue du cinéma français d’auteur (et pas que). De son rôle d’homme égaré, séparé de ses enfants dans la Bataille de Solférino (2013), le premier film de Justine Triet, à celui de figurant de cinéma éperdument amoureux dans le film Les deux amis (2015) de Louis Garrel, le physique atypique du Parisien, aujourd’hui âgé de 44 ans, ne semble plus quitter les écrans. Un scénario auquel l’acteur ne se pensait pourtant pas destiné lorsqu’il squattait encore les cours de théâtre d’un lycée de Troyes.
Vincent Macaigne, acteur incontournable du cinéma français
Pourtant, Vincent Macaigne, n’a eu de cesse de monter sur les planches depuis son adolescence, et encore plus depuis sa sortie du Conservatoire national d’art dramatique en 2002. S’il était pressenti pour recevoir le César du meilleur acteur en 2022 (pour le film Médecin de nuit d’Élie Wajeman), Vincent Macaigne mène aussi, en dehors de sa carrière d’acteur, celle de metteur en scène au théâtre. Une casquette qui semble lui réussir si l’on en croit l’accueil critique enthousiaste de sa pièce Au moins j’aurais laissé un beau cadavre, présenté lors du Festival d’Avignon en 2011.
Plus récemment, l’acteur s’est illustré dans le domaine de la comédie “grand public” en apparaissant discrètement dans les séries à succès La Flamme (2020) et Le Flambeau (2022) de Jonathan Cohen. La preuve que Vincent Macaigne, récemment vu dans la série Irma Vep et dans le long-métrage Chronique d’une liaison passagère, est à l’aise dans tous les genres. Ce mercredi 9 août, il démontre encore son talent d’acteur dans le rôle d’Arthur Forestier, un galeriste parisien représentant le peintre fictif Renzo Nervi (brillamment interprété par Bouli Lanners) dans le film Un coup de maître, de Rémi Bezançon.
Rencontre avec l’acteur français Vincent Macaigne, l’affiche d’Un coup de maître
Numéro : Qu’est-ce qui vous a séduit dans le scénario du film Un coup de maître ?
Vincent Macaigne : J’ai beaucoup aimé cette histoire d’amitié entre les deux personnages. Cette folie, cette fantaisie, cette dérive vers la comédie contenue par le film, à certains moments. Il s’agit d’une relation assez universelle, qui pourrait exister entre un éditeur et un écrivain, le comptable d’un restaurant avec son cuisinier… En même temps, le film devient fantaisiste, un peu comme les longs-métrages de Francis Veber, avec un couple comique. C’est finalement ce mélange que Rémi Benzanson a réussi à opérer qui m’a séduit. C’est l’histoire d’une vie : on sent que ces deux personnages ont eu un passé et qu’ils auront un avenir.
Pensez-vous avoir des points communs avec le personnage d’Arthur Forestier ?
Je pense que j’ai plus de points communs avec Renzo Nervi, car je suis également artiste. Quelque part, on a tous quelque chose de Renzo et quelque chose d’Arthur en nous. Je suis metteur en scène et je dois prendre soin des gens avec qui je travaille. Lorsque je suis sur un tournage c’est l’inverse qui s’opère. Quand j’ai interprété Arthur, je me suis inspiré de programmateurs, de gens qui ont donné leur vie pour le travail d’autres artistes, en observant leur façon d’être, leur manière de parler, leurs tenues… Il y a aussi beaucoup de personnes qui restent dans l’ombre et j’ai trouvé que c’était beau de leur faire un clin d’œil avec ce film.
« Il ne faut pas devenir un vieux con. Il y a un équilibre qui bouge et il faut réussir à le comprendre. » Vincent Macaigne
Comme le héros du film (Renzo Nervi, joué par Bouli Lanners), avez-vous déjà traversé une crise existentielle ?
Pas aussi intense, car je ne suis jamais allé jusqu’à la dépression. En tant que metteur en scène de théâtre, je trouve que le monde avance très, voire trop, vite. Cela parvient presque à me faire douter de ma capacité à le comprendre, à le cerner. Quand on est jeune, on a cette sensation que c’est à nous de prendre la parole. J’espère un jour être assez humble avec cela car je sais que le monde est tellement en mouvement qu’on devient vite spectateur de tout ce qu’il se passe. Récemment, je discutais avec un ado de 14 ans et il semblait déjà dépassé par la vie. On vit un moment hallucinant. Je ne sais pas si c’est positif ou négatif mais c’est dans un sens excitant. L’arrivée de l’intelligence artificielle, les NFT qui ont dégringolé en l’espace d’un an… L’an dernier, sur le tournage du film Un coup de maître, c’était quelque chose qu’il fallait regarder et qui était au centre de l’attention. Maintenant que le film est sorti, cela semble déjà passé de mode. C’est bien que les choses changent mais cela crée parallèlement des mondes différents. La bizarrerie du truc c’est qu’il ne faut pas devenir un vieux con. Il y a un équilibre qui bouge et il faut réussir à le comprendre.
« Même si ce métier est parfois compliqué, je pense qu’il n’y a rien de plus beau. » Vincent Macaigne
Je crois que vous venez d’un milieu artistique…
Ma mère est peintre mais je ne pense pas avoir grandi dans le milieu de l’art contemporain. Le milieu dans lequel évolue Arthur dans le film est chic et opulent. Ce n’était pas tellement mon cas. Mais il est vrai que j’ai assez vite été initié à cette réflexion autour de l’art.
Vous fêterez bientôt vos vingt bougies en tant qu’acteur. Vers quels genre de rôles souhaitez-vous aller aujourd’hui ?
J’adorerais retourner avec mes amis, que ce soit Guillaume Brac, Antonin Peretjatko… refaire un tour de mes amitiés. J’ai adoré quand Elie Wajeman m’a proposé Médecin de Nuit. C’était un rôle était passionnant.
Récemment, on vous a vu jouer dans des séries humoristiques comme La Flamme ou encore Le Flambeau, mais aussi dans des rôles plus sérieux comme dans le long-métrage d’Emmanuel Mouret (Chronique d’une liaison passagère). Dans quel registre vous sentez-vous le mieux ?
J’aime beaucoup Jonathan Cohen et nous sommes assez amis. Ce sont en partie les raisons qui m’ont amené à jouer dans La Flamme ou dans Le Flambeau. Je ne pensais pas que les gens iraient voir ce genre de programmes. J’hallucine face à l’ampleur que cela a pris. Sinon, je pense que j’aime tous les genres cinématographiques, les paris, et que l’on m’offre l’espace d’être un genre de soldat pour une œuvre. Lorsqu’on a l’impression de défendre une cause juste, ça donne du sens à nos vies. Même si ce métier est parfois compliqué, je pense qu’il n’y a rien de plus beau.
En 2013, vous avez joué aux côtés de Laetitia Dosch dans La Bataille de Solférino, un film de Justine Triet. Qu’avez-vous pensé de son discours et de sa Palme d’or à Cannes ?
À travers son discours, Justine Triet voulait dire qu’elle pense à tous ceux qui galèrent. Faire ce discours, alors qu’elle recevait la Palme d’or, qui est la chose la plus folle qu’un cinéaste puisse avoir, c’était très fort. Faire du théâtre et du cinéma c’est déjà une chance, et par rapport à plein de domaines, comme la médecine ou la science par exemple, c’est sûrement cosmétique. Mais cela fait acte de civilisation et donne de l’espoir. Pour ces raisons, je n’ai pas compris la mauvaise réception de son message par certains. Je pense qu’elle voulait aussi dire que la France est un pays génial, où l’on aide les artistes, que c’est une sorte d’exception et que nous devons essayer de ne pas perdre ça. Ce discours était aussi une manière de dire que l’on souhaite défendre tout ce que l’on a acquis. Pour mon cas personnel, je viens de nulle part, j’ai fait mon lycée à Troyes, j’ai bien aimé le théâtre, j’ai fait le conservatoire national. Je n’aurais pas eu l’argent pour faire le Cours Florent par exemple. Je trouve que nous vivons dans un pays exceptionnel pour toutes ces raisons. Je ne me suis jamais endetté pour faire mes études, ce qui n’aurait pas été le cas aux États-Unis. Il faut finalement que l’on continue à se battre pour cet accès à la culture.
Un coup de maître (2023) avec Vincent Macaigne et Bouli Lanners, de Rémi Bezançon, au cinéma le mercredi 9 août 2023.