Rencontre avec Vincent Lacoste : « J’adore tourner des scènes dans des lits, couché, en position latérale de sécurité »
Ce mercredi 30 novembre, Vincent Lacoste est à l’affiche du nouveau film de Christophe Honoré, dont il est l’un des comédiens fétiches. Dans ce long-métrage beau, intime et bouleversant intitulé Le Lycéen, l’acteur incarne le grand frère du héros, un plasticien débraillé et arrogant qui évolue d’une certaine dureté à une vraie bonté. Rencontre avec un acteur qui ne cesse de prendre des risques pour mieux nous troubler.
propos recueillis par Violaine Schütz.
« Qui va garder mon crocodile cet été / (Qui va ?) / Le chouchouter, lui donner à manger / Qui va garder mon crocodile cet été / (Qui va ?) / Le bichonner, lui brancher la télé. » Il faut entendre et voir Vincent Lacoste chanter, entre deux interviews, les paroles délicieusement absurdes du tube du groupe de disco français Ottawan (datant de 1981) Qui va garder mon crocodile cet été ? pour prendre toute la mesure de la fantaisie dont fait preuve l’acteur. Atypique, nonchalant et pince-sans-rire, le comédien de 29 ans, qui porte un blouson de cuir étriqué et un débardeur blanc moulant tout en se tenant presque allongé sur un canapé, dégage, lorsqu’on le rencontre, le même charme iconoclaste qu’à l’écran. Celui qu’on a vu grandir, depuis son rôle d’adolescent mal dans sa peau dans Les Beaux Gosses (2009), s’est métamorphosé, passant du teenager timide à la valeur sûre (césarisée) du cinéma français, acclamée pour ses prestations dans Hippocrate (2014), Victoria (2016) ou Illusions perdues (2021). Ce mercredi 30 novembre, il est à l’affiche du nouveau film de Christophe Honoré, dont il est l’un des comédiens fétiches. Dans ce long-métrage beau, intime et bouleversant intitulé Le Lycéen, Vincent Lacoste incarne le grand frère du héros, un plasticien débraillé et arrogant qui évolue d’une certaine dureté à une vraie bonté. Rencontre avec un acteur qui ne cesse de prendre des risques pour mieux nous troubler.
Vincent Lacoste, l’acteur atypique du cinéma français
Numéro : Dans Le Lycéen, vous incarnez Quentin, un artiste exposant à Lafayette Anticipations, qui semble assez dur au début du film, avant de se révéler bien plus doux et bienveillant. Qu’est-ce qui vous a plus dans ce rôle ?
Vincent Lacoste : Ce qui m’a attiré, c’est d’abord le fait que ce soit une proposition de Christophe Honoré avec qui j’ai déjà fait deux films, Plaire, aimer et courir vite et Chambre 212. J’adore son cinéma. Je trouve que c’est un cinéaste exceptionnel, qui a toujours des idées de mises en scène géniales. Quand j’ai lu le scénario, hyper émouvant, j’ai pleuré. Il a une manière d’écrire les choses très particulière. Je trouve le film très juste sur ce qu’il dit de la famille, du deuil. Le Lycéen m’a vraiment touché. Et puis Christophe me donne toujours des rôles assez différents. Là, mon personnage possède un côté antipathique alors que j’ai souvent joué des garçons extrêmement sympathiques.
À part dans Illusions Perdues (2021), où vous incarnez le journaliste, très clivant, Etienne Lousteau…
Enfin, je suis assez sympa dans le film, non ? Enfin, je suis le méchant un peu sympa que l’on comprend. Surtout que le Lucien (le héros, ndlr) est un peu trop sérieux (rires). Franchement, ses dents rayent le parquet ! En tout cas, j’aime bien être désagréable, au départ, dans Le Lycéen car ça change des rôles de types sympas…
Vous apparaissez métamorphosé dans Le Lycéen, avec votre teinture blonde et vos pulls vintage bigarrés. Cela vous a-t-il amusé ou quelque peu effrayé ?
Ça m’a beaucoup amusé. Je portais des pulls vraiment étonnants, roses, col roulés, avec des manches bouffantes, à la trois très années 80-90 et en assez modernes, parce que ça revient, ce style. En même temps, là, je ne sais pas si c’était déjà venu auparavant, mais c’était très fun, ça me plaisait bien et ça s’inscrivait vraiment dans la création du personnage. Je trouve que Christophe me donne toujours d’excellents looks dans ses films. Là, il voulait que je ressemble à un artiste parisien. Un jour, il m’a envoyé un texto avec une photo d’un gars qu’il avait vu dans un bar avec ce message : « Et si on te teignait en blond ? » J’ai répondu : « Oui, pourquoi pas, mais il faut voir si c’est possible parce que je tourne dans d’autres films après. » J’aime bien changer, histoire de ne pas avoir toujours la même tête dans les films. Parce que vu que j’ai joué dans pas mal de projets d’affilée, si j’avais toujours la même gueule, ce serait un peu chiant au final.
“Je me sens rarement autant en confiance et à l’aise que sur un plateau de film de Christophe Honoré.” Vincent Lacoste
Dans le dossier de presse du Lycéen, Christophe Honoré dit, à votre sujet : « Vincent, il est comme Chiara Mastroianni : il me fait du bien. Quand j’arrive le matin sur le tournage, alors que je suis plutôt de mauvaise humeur par principe, parce que ça me fait peur, parce que je me dis que ça va être raté, etc, si je le croise, qu’il me lance « Ça va mon Chris, c’est quoi la petite scène aujourd’hui ? », c’est une vitamine qui me fait un effet immédiat. » Est-ce que de la même manière, Christophe Honoré vous fait beaucoup de bien ?
Non, il me fait beaucoup de mal (rires). Je plaisante bien sûr. C’est quelqu’un qui fait beaucoup de bien. On se sent bien regardé dans ses films. Si je pouvais ne faire des films qu’avec lui, je dirais oui, mais il faudrait qu’il en fasse deux par an (rires). Il adore les acteurs et se montre doux, gentil et attentionné avec eux. Donc c’est vraiment très agréable de tourner avec lui. Je me sens rarement autant en confiance et à l’aise que sur un plateau de film de Christophe Honoré. Et puis, il tourne souvent des scènes dans des lits et moi j’adore être couché, en position latérale de sécurité. C’est un réel plaisir de se lever, d’arriver sur le plateau et de retourner dans un lit pour tourner une scène dans laquelle on va discuter.
Qu’est-ce qui vous émeut le plus dans Le Lycéen ?
La justesse avec laquelle sont abordés des thèmes comme la famille, le deuil ou la fin de l’adolescence. Il a le don de proposer des scènes qui sont à la fois très intimes et rappellent des souvenirs aux spectateurs. Quand les spectateurs vont voir un film, si ce n’est que la vie du réalisateur, cela ne va pas forcément les toucher. Même si Christophe a plein de fans que sa vie peut intéresser. Mais ce qui, pour moi, en fait un grand cinéaste, ça reste son habileté à parler de choses très personnelles qui parlent à d’autres personnes.
Le film, qui a été tourné à la fin de l’année 2021 et au début de l’année 2022, s’ancre dans une temporalité spécifique, qui lui donne un fond sociétal. On voit des personnes porter, à l’écran, des masques. Et lors d’une discussion familiale à table, les élections présidentielles et Zemmour sont évoquées…
Je trouve ça bien d’inscrire la fiction dans la réalité d’une époque, car ça permet aux films de se constituer en actes de mémoire. Là, l’époque était très marquée par la pandémie, donc on y voit des masques. Et quand on reverra ce film dans vingt ans, on se dira : « Ah oui, c’est vrai, on portait des masques. » En espérant que dans vingt ans, les masques ne seront plus qu’un souvenir. Le fait que Christophe ait inclus ça dans le film, alors qu’il s’agit d’un film assez personnel qui évoque des histoires qu’il a vécues, adolescent (comme la perte de son père, ndlr), lui permet également de s’inscrire dans quelque chose de plus universel. Cet ancrage dans le présent permet de détacher le film du passé pour transformer ce récit initiatique sur un jeune homme en long-métrage pouvant toucher un grand nombre de personnes. Même si c’est inspiré de faits personnels, ça devient une histoire qui peut toucher tout le monde parce que tout le monde a vécu, malheureusement, des choses comme la mort, la rupture amoureuse, le passage à l’âge adulte. C’est tout ce qui compose la vie quoi.
Et que pensez-vous du mélange de joie et de tristesse que Christophe Honoré laisse souvent transparaître dans ses films ?
C’est ça que j’adore. On y voit toujours des moments difficiles, comme celui de deuil suite à la mort, dans un accident de voiture, du père dans Le Lycéen, mais aussi, des instants plus joyeux, des chansons qui remontent le moral, des rires durant la préparation de l’enterrement, durant les réunions familiales. Même si certains sujets de ses films sont assez sombres, ils ne sont pas lourds ou difficiles à regarder. Il y a toujours une forme de légèreté dans la gravité, comme dans le cinéma que j’aime, en général. Et je trouve ça essentiel lorsqu’on raconte des histoires.
Quel genre de films vous aimante ?
J’essaie juste de faire des films différents les uns des autres, qui me plaisent, avec de la personnalité et des univers forts. Illusions perdues ne ressemble pas à Fumer fait tousser ni au Lycéen. J’ai envie de tout faire, sans me limiter à un seul genre. Le cinéma, ça englobe tellement de choses différentes à la fois que ce serait bête de se poser des limites.
Vous n’arrêtez pas de travailler. Vous êtes actuellement à l’affiche du Lycéen et de Fumer fait tousser de Quentin Dupieux et bientôt, du film Le Parfum vert, aux côtés de Sandrine Kiberlain, qui sortira en salle le 21 décembre. Quel est le secret de votre hyperactivité ?
J’aime bien travailler et je m’ennuie vite, donc il faut que je tourne dans pas mal de films. J’ai eu une année 2021 très chargée, et beaucoup de projets arrivent sur les écrans, donc je suis forcé d’arrêter un peu, mais ça me gonfle (rires). Je n’ai rien de prévu pour l’instant, je suis en vacances, car en ce moment, on me propose que des films que je n’ai pas envie de faire (rires). J’attends la perle. Je me tiens à côté de mon de mon téléphone et je me dis : « Voyons voir, qu’est ce qui va arriver maintenant ? »
Vous avez commencé à tourner dans des films dès l’adolescence, avec Les Beaux Gosses (2009) de Riad Sattouf. Avez-vous déjà fait une pause dans votre carrière ? Il ne semble pas y avoir de « trou » dans votre CV…
Alors que dans ma vie, il y a énormément de trous (rires). J’ai joué dans Illusions perdues en octobre 2019 puis je n’ai repris les tournages qu’en juin 2021. J’étais censé tourner à l’été 2020, sauf que du coup ça a été décalé. En fait, j’avais prévu, en 2020, de prendre une année sabbatique, et comme par hasard, le Covid est arrivé à ce moment-là. Donc mon année sabbatique s’est révélée complètement nulle. Comme pour tout le monde, il y a eu un petit temps d’arrêt avec le Covid, et pour moi, ça a duré deux ans…
« Le Lycéen » (2022) de Christophe Honoré et « Fumer fait tousser » de Quentin Dupieux, actuellement en salle.