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Rencontre avec le cinéaste Brandon Cronenberg : “Un jour, un implant dans le cerveau sera aussi banal qu’un téléphone portable”
À l’occasion de la sortie, en DVD et VOD, de son deuxième film, “Possessor”, le cinéaste canadien Brandon Cronenberg dévoile à Numéro sa vision renouvelée du cinéma fantastique, qui reflète les dérives inquiétantes de l’ère numérique.
Propos recueillis par Chloé Sarraméa.
En matière de dynasties de cinéastes, beaucoup connaissent les Coppola, les Ophüls et les Garrel… mais peu savent que, chez les Cronenberg aussi, le virus de la caméra s’est transmis de père en fils. À 40 ans et avec déjà deux longs-métrages à son actif, Brandon Cronenberg, le benjamin de la famille, a visiblement hérité de son père l’envie de faire des films mêlant horreur et science-fiction, mais il semble aller encore plus loin, car les scénarios catastrophe qu’il imagine sont si réalistes qu’ils pourraient bien se retrouver en une des faits divers d’ici quelques années… Dans Antiviral, fresque dérangeante sélectionnée au Festival de Cannes en 2012 (catégorie Un certain regard), Brandon Cronenberg met ainsi en scène, dans un futur proche, une clinique où les employés injectent à leurs clients fanatiques des virus contractés par des célébrités, moyennant une grosse somme d’argent. Dans la même veine angoissante, son nouveau film, Possessor – sorti en 2020 outre-Atlantique et bientôt disponible en VOD –, consacre Brandon Cronenberg comme un maître du film d’épouvante. Il a en effet décroché le Grand Prix du Festival du film fantastique de Gérardmer (dont la 28e édition s’est tenue fin janvier). Une belle récompense pour le cinéaste qui, dès 1999, à peine âgé de 19 ans, se faisait la main sur les effets spéciaux d’eXistenZ, célèbre opus de son père. Dans Possessor, son deuxième long-métrage, Brandon Cronenberg nous plonge dans l’atmosphère trouble d’une organisation secrète aux allures de multinationale qui, grâce à des implants placés dans le cerveau de ses victimes, prend le contrôle de leur volonté et les pousse à commettre des assassinats. Dans son prochain film, il s’agira encore de science-fiction, et – scoop confié par l’auteur – il sera question d’un village vacances uniquement réservé aux stars… Rencontre avec ce digne héritier qui réactualise avec habileté le genre fantastique.
Numéro : La pandémie est-elle selon vous un contexte propice au cinéma de genre, qui permet de s’évader du réel ?
Brandon Cronenberg : Il y a quelques mois, je suis tombé sur une étude disant que les fans de cinéma d’horreur semblent mieux supporter la pandémie que les autres ! Peut-être parce que le monde actuel ressemble vraiment au film Zombies Apocalypse [2011]. Je pense que vivre cette période difficile donne envie de se connecter à des émotions douloureuses. Les gens ont besoin de comprendre ce que l’on considère comme des émotions inconfortables : la peur, l’anxiété, le dégoût… Des thématiques souvent abordées dans les films de genre.
Le cinéma de genre permet en fait d’aborder des questions très profondes, comme dans Possessor, où vous évoquez la difficulté pour un esprit de vivre dans un corps qu’il estime ne pas être le sien.
Le corps définit ce que l’on est, même si l’on ne l’a pas choisi. On doit faire avec. Nous avons l’impression d’être libres, d’avoir nos propres désirs et notre propre volonté, mais en réalité nous sommes très réactifs à nos cultures et à la société dans laquelle nous évoluons. Le corps définit ce que l’on est, mais à l’ère du tout-numérique, beaucoup d’autres choses génèrent nos désirs…
Comme les réseaux sociaux ?
Il est très important de nous interroger sur la manière dont nous sommes influencés par les réseaux sociaux. Concrètement, ils façonnent ce que nous sommes, puisque nous sommes constamment exposés à ce flux d’informations. Et ces technologies ont modifié le monde en profondeur : dénoncer l’ingérence russe dans les élections américaines aurait relevé de la théorie du complot il y a dix ans, mais aujourd’hui, c’est une réalité !
En parlant de théorie du complot… dans Possessor, vous avez imaginé une entreprise qui place des implants dans le cerveau des gens. Êtes-vous obsédé par les implants, comme ces personnes qui ont suggéré que les vaccins anti-Covid contiendraient des puces 5G ?
Je crois surtout qu’un jour, les implants seront considérés comme normaux ! Aujourd’hui, on en est encore au stade où les gens mettent des objets électroniques dans leurs doigts pour pouvoir ressentir les champs électromagnétiques. J’ai même entendu dire qu’une femme aux États-Unis pouvait diriger un hélicoptère militaire avec son cerveau… ça s’appelle le “BrainGate » et ça existe depuis un moment déjà. Dans le futur, les implants dans le cerveau pourront être monnaie courante, de la même manière qu’avoir un téléphone portable en permanence était considéré comme bizarre par nos parents, et c’est quelque chose de normal pour nous, la génération qui est née avec.
Ces implants seront certainement très coûteux. Dans vos deux films, vous semblez d’ailleurs être très critique vis à vis de l’argent, n’est-ce pas ?
L’argent peut devenir menaçant dans la mesure où des entreprises qui ont beaucoup de pouvoir en matière de communication et de culture ne cherchent qu’à maximiser leurs profits. Je ne suis pas technophobe, mais il faut reconnaître que beaucoup d’aspects fondamentaux de notre identité sont aujourd’hui dirigés par le numérique.
Possessor (2021) de Brandon Cronenberg, disponible VOD le 7 avril et le 14 avril en DVD et Blu-ray.