Rencontre avec Juliette Binoche, héroïne poignante et magistrale du nouveau film de Christophe Honoré
La charismatique actrice française Juliette Binoche apparaît pour la première fois dans l’univers de Christophe Honoré. Dans l’émouvant Le Lycéen, elle incarne une mère en deuil, aimante et profondément humaine, qui porte à bout de bras son fils Lucas (l’épatant Paul Kircher). À cette occasion, la star magistrale se confie, avec pudeur et élégance, sur la vie, la mort et le pouvoir du cinéma.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Ce mercredi 30 novembre, l’immense actrice Juliette Binoche pour la première fois par Christophe Honoré dans l’émouvant Le Lycéen. Elle y incarne une mère en deuil, aimante et profondément humaine, qui porte à bout de bras son fils Lucas (l’épatant Paul Kircher), âgé de 17 ans et dévasté par la perte de son père. À cette occasion, la star magistrale se confie, avec pudeur et élégance, sur la vie, la mort et le pouvoir du cinéma.
L’interview de l’actrice Juliette Binoche, à l’affiche du film Le Lycéen
Numéro : C’est la première fois que vous tournez pour Christophe Honoré. Mais je crois qu’il vous avait déjà proposé un projet avant ça…
Juliette Binoche : Oui, tout à fait, il y a quelques années de cela. Mais j’ai refusé car je trouvais que le personnage de la mère qu’il avait écrit pour le projet qu’il m’avait proposée, était tellement dur, presque haineux, sur le papier (dans le scénario) que je lui ai dit : « Écoute, je ne suis pas prête à jouer cette mère-là (rires). »
Qu’est-ce qui vous a le plus attirée dans ce film ?
Ce que j’ai aimé, c’est que l’un des grands thèmes du film, qui ne se voit pas d’emblée, qui n’est pas discuté mais qui est vraiment important, c’est qu’elle accepte totalement l’homosexualité de son fils. Elle est au courant mais ce n’est pas un sujet. Et ce n’est tellement pas un sujet que ça devient un sujet. C’est accepté dès le départ et elle sent que quelque chose d’important, sur le plan amoureux, s’est passé quand son fils est monté à Paris pendant une semaine, loin de ses Alpes natales. Elle ne sait pas exactement quoi, accepte de pas savoir et le comprend. Et ensuite, elle aide son fils à faire le lien avec cette personne qui a compté dans sa vie. Elle participe au démarrage d’amour qu’il vit pour la première fois, certainement grâce à cette dégringolade et de cette tragédie de la perte du père, donc de repères. Je trouve cette idée latente magnifique.
Être mère vous a-t-il aidé à préparer ce rôle ?
J’imagine que oui. Mais je crois que déjà, enfant, j’avais cette sensibilité là, très maternelle. Je jouais beaucoup aux poupées et je passais des heures avec des poupées cassées (le plus souvent), à jouer au docteur. Je voulais aider, faire du bien, réparer, soigner. Donc je pense que le côté maternel fait partie de mon caractère.
Christophe Honoré a la réputation d’être quelqu’un d’assez doux avec les acteurs, sur les tournages, et de leur laisser de la place. Comment décririez-vous cette expérience ?
C’est quelqu’un de qui accompagne et qui, en même temps, laisse une certaine liberté, et qui a une vraie exigence technique. Il voit derrière ce qui se passe. Il démontre aux acteurs beaucoup de tendresse et fait preuve d’aisance. Et ce qui m’a plu chez lui, c’est que je l’ai senti libre. Avec sa caméra, ses acteurs et même son texte, il y a une liberté qui fait que ça devient vivant. Or au cinéma, le « tout possible » est nécessaire. Si on est trop contraint, ça amène autre chose, qui peut être juste. Mais il y aura moins de surprises.
On parle beaucoup du « male gaze » et du « female gaze ». Mais avec le rôle de mère en deuil que vous jouez dans Le Lycéen, pleine d’empathie envers son plus jeune fils en souffrance, semble presque avoir été écrit par une femme. Avez-vous apporté des idées à propos de ce personnage à Christophe Honoré ?
Non, car j’ai appris à ne pas parler avec les metteurs en scène, surtout quand on est en train de tourner. Si on intellectualise avant de jouer, on part déjà sur un chemin sinueux, à mon avis. Ce qui est important c’est comment on incarne un rôle et non de discuter des scènes entre les prises. Sauf si on a des gros problèmes et qu’on a besoin d’en parler. Mais au moment où on tourne, ce n’est plus le temps de l’analyse. Il faut proposer en jouant car il n’y a rien de mieux que de prouver quelque chose par l’incarnation. Parce qu’il n’y a plus matière à discuter si on arrive au « c’est vrai« , et pas seulement au « ça sonne vrai. »
Pour Christophe Honoré, ce film a des accents autobiographiques et cathartiques car il évoque la disparition de son père, lorsqu’il était adolescent. Le Lycéen a-t-il ravivé des moments difficiles de votre vie ?
J’ai perdu mon père il y a deux ans et demi, mais le fait de perdre quelqu’un d’un coup, du jour au lendemain, c’est une autre histoire. Ce n’est pas comme perdre quelqu’un en s’y attendant et en sachant que ça va arriver, à plus ou moins long terme. Un choc comme celui de la mort du père dans le film, lors d’un accident, je ne l’ai jamais vécu. Mais c’est facile de l’imaginer. Dans ces cas-là, on pense à ses poussins, à comment aider les autres. En tant que mère, on se dit « sauve qui peut. » Il y a une responsabilité qui fait que tout d’un coup, on assume à la fois le rôle de la mère et du père.
« Le cinéma reste l’art le plus proche de la vie. » Juliette Binoche
L’adolescence est au cœur du film de Christophe Honoré. Et dans un grand nombre de vos films tels que Mauvais Sang (1986) et Les Amants du Pont-Neuf (1991) de Leos Carax, on ressent des sensations qui évoquent l’intensité de cet âge-là… Choisissez-vous vos films en fonction des sentiments puissants qu’ils pourraient susciter chez les spectateurs ?
Je ne pense pas d’abord aux spectateurs quand je choisis un scénario. Je choisis en fonction de la transformation intérieure possible grâce à ce rôle.
Une transformation chez l’actrice ou la femme ?
Je ne suis pas divisée, c’est la même personne (rires). C’est quand cette transformation est possible grâce à un rôle que ça m’émeut, parce que dans la vie, c’est ce qui se passe. On est là pour un certain temps et c’est à nous de nous transformer si on le veut bien, à faire des choix, intérieurs et extérieurs, des choix qui nous appartiennent. Je trouve qu’un film aide à comprendre ça. Car le cinéma reste l’art le plus proche de la vie puisqu’on l’image, les histoires, la musique… Et la longueur du film permet de vraiment traverser quelque chose.
Chez Christophe Honoré, on trouve souvent un mélange d’euphorie et de tristesse, comment dans cette scène du Lycéen où votre personnage doit choisir la chanson de l’enterrement de son mari, et qu’il finit par danser avec ses fils, sur le morceau Electricity (1980) d’Orchestral Manoeuvres in the Dark…
Oui, parce que c’est pas forcément séparé dans la vie. C’est ça qui est extraordinaire chez l’humain. On rit dans des moments extrêmement tragiques parce que parfois, il s’agit d’une réalité à laquelle on ne croit pas parfois, ou qui vous fait ressentir les choses qu’on n’avait jamais ressenties avant. Et puis le fait de se rapprocher de ses fils, c’est joyeux. Les liens familiaux deviennent encore plus forts lors de ce drame de la mort du père. C’est d’ailleurs souvent dans les moments les plus les plus tragiques de séparation, de disparition, qu’on se sent le plus vivant. Souvent, après les deuils, il y a un repas de famille et on a besoin de manger, de rire. Et ça fait du bien, sauf quand c’est, comme le dîner familial du film, un repas dans lequel personne ne respecte ce que les proches ont vraiment vécu et que les convives le transforment en repas politique évoquant Zemmour. Et là, ça devient tragique.