11 mar 2022

Rencontre avec Grégory Fitoussi, l’acteur français magnétique qui a rejoint les Peaky Blinders

Acteur versatile et ténébreux, Grégory Fitoussi, 45 ans, a autant tourné dans des séries (Engrenages, Le Bureau des Légendes, La Garçonne) qu’au cinéma (World War Z, La Conquête). Aussi demandé en France qu’à l’étranger, l’artiste formé à l’Actors Studio joue aujourd’hui dans la saison 6 du show culte Peaky Blinders, diffusé depuis le 27 février sur la BBC (et disponible dès le 10 juin prochain sur Netflix). L’occasion de discuter avec lui de la gentillesse de Brad Pitt, de la définition du métier de comédien et de l’importance d’avoir du style.

Vous apparaissez dans la nouvelle et ultime saison de la série Peaky Blinders. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle ?

Je joue un personnage qui travaille dans le commerce de boissons, sur des bateaux. Le jour de la fin de la prohibition, une journée noire, Thomas Shelby (joué par Cillian Murphy) arrive à Saint-Pierre-et-Miquelon et commande un verre d’eau dans un bar. Mon personnage, qui se trouve là, voit ce geste comme une provocation et forcément, ça va dégénérer. Tous ces hommes qui sont au chômage et ont perdu tout ce qu’ils avaient n’apprécient pas de voir un inconnu commettre un tel affront.


Quelles anecdotes retenez-vous du tournage ?

C’était une expérience extraordinaire. La rencontre avec Cillian Murphy, qui pour moi est l’un des meilleurs acteurs actuels, m’a profondément marqué. C’est quelqu’un de très impressionnant. Je suis très fan de la série depuis les débuts, en tant que spectateur. Et c’était un rêve de côtoyer ces gens-là et de me retrouver plonger dans cette univers si particulier. Pour la petite histoire, nous tournions à Manchester en février 2021 en plein Covid et nous avons dû respecter une quarantaine d’une bonne dizaine de jours avant de commencer à tourner pour ne pas contaminer les acteurs anglais. Et je dois dire que d’être enfermé dans une chambre qui ressemblait à une prison – car on nous apportait à manger devant la porte – a nourri mon rôle dans la série. C’était une préparation émotionnelle assez intense car je me sentais comme un lion en gage et je commençais à devenir un peu dingue. Je ne pensais qu’à sortir et à me retrouver sur le plateau pour délivrer ma partition et me frotter à ces talents incroyables. Je suis sorti de là avec beaucoup d’énergie.

 

La série dégage une image très rock, avec sa bande-son contenant des morceaux de Nick Cave et de PJ Harvey. Vous vous reconnaissez dans ce côté bad boy assez sauvage et sombre ?

J’adore cette contradiction entre l’époque où se déroule l’intrigue et la modernité de la musique. Cela apporte vraiment quelque chose et je pense que c’est l’une des clés de l’immense succès de Peaky Blinders. La bande-son fait tellement partie de l’intrigue que le réalisateur de la série m’a expliqué qu’il en discutait longuement avec Cillian Murphy. Ils choisissent ensemble des morceaux de façon très précise pour coller parfaitement à des scènes spécifiques.

@ Guillaume Plas

Vous arrive-t-il de votre côté d’écouter de la musique pour entrer dans un rôle ?

Oui, je l’ai déjà fait plusieurs fois. La musique peut en effet aider aider à mieux épouser un rôle. Récemment, pour un rôle dans la série Walkyries (qui sera bientôt diffusée sur TF1), j’ai même intégré la musique à mon personnage. Je tenais à qu’il écoute du classique. Cela le décalait d’une réalité violente en le plongeant dans son univers. Pour ma préparation et pour le personnage lui-même, le fait qu’il écoute du Chopin ou du Rachmaninov l’enrichissait, lui apportait quelque chose de plus profond.

 

Vous êtes très éclectique. On vous a vu dans des comédies (Daddy Cool), des films d’action, des séries d’espionnage (Le Bureau des Légendes)…

J’aime être une anomalie. J’ai l’impression que je n’aurais pas dû faire les choses que je fais. Mais j’ai ce désir fort de me lancer dans des projets très différents. On a tendance à vouloir vous enfermer dans un genre ou un rôle. Quand on vous a aimé dans un registre, on veut vous y revoir. Mais de mon côté, je ne cherche pas les rôles les plus gros. Je suis plus motivé par les projets eux-mêmes. Je peux aller tourner seulement deux jours dans un film ou une série si le réalisateur possède un vrai univers, par exemple. Je ne possède pas l’ego de l’acteur qui ne veut faire que des premiers rôles. Le support de diffusion, le salaire ou le nombre de jours de tournage comptent moins pour moi que le côté atypique ou fort du projet. Je recherche même presque plus des expériences de vie que des rôles. 

 

Vous êtes toujours très beau dans vos films et séries. Pourriez-vous vous métamorphoser pour un rôle comme Jared Leto ou Joaquin Phoenix le font ? Vous enlaidir à l’écran vous gênerait-il ?
Déjà, merci pour le compliment ! J’ai pourtant l’impression de parfois m’enlaidir, mais il faut croire que ça n’a pas marché ! En tout cas, ça me plaît beaucoup de changer d’allure. Dans Peaky Blinders, je porte quand même une barbe grisâtre, des tatouages partout et j’ai l’air sale, vieux et ivre, très buriné. M’enlaidir n’est pas ma priorité. Par contre, j’essaie toujours de me rapprocher au plus près de l’apparence du personnage. Je n’ai pas encore eu l’occasion de prendre, par exemple, vingt kilos pour un rôle, mais si on me propose de le faire, je n’hésiterais pas.

@ Guillaume Plas

Quel est votre acteur fétiche ?
Tom Hardy m’impressionne beaucoup. Je le trouve très intense et charismatique. Il fonctionne beaucoup à l’instinct et ose énormément. C’est une inspiration. J’ai demandé à assister au tournage de l’une de ses scènes de Peaky Blinders au réalisateur de la série. J’étais dehors, me comportant très discrètement et restant dans mon coin. Et à un moment donné, il m’a regardé droit dans les yeux d’une pendant une bonne dizaine de secondes et ce regard semblait dire qu’il préférait ne pas avoir trop de monde autour de lui pendant sa scène. Je ne me suis donc pas éternisé.

 

Vous avez tourné aux côtés de Brad Pitt dans le film d’horreur et d’action World War Z (2013). Quel souvenir en gardez-vous ?
C’était une expérience extraordinaire de jouer dans un blockbuster à 250 millions de dollars de budget, avec cette superstar dont j’avais vu tous les films. Je n’oublierai jamais. Brad Pitt a été adorable avec moi, d’une grande gentillesse et d’un grand professionnalisme. C’est quelqu’un de très élégant.

 

Quelle sont les différences majeures entre les tournages français et américains ?

Je pense que la manière de travailler dépend principalement du réalisateur plus que de la nationalité du film. Et du budget. Quand on joue dans un film à 250 millions de dollars, une ville entière se trouve mobilisée. La cantine de World War Z  pouvait nourrir une ville à elle seule. Le nombre de gens qui travaillent sur un tel long-métrage n’a rien à voir avec l’équipe de tournage, plus réduite, d’un téléfilm français. Mais avec écran vert ou pas, les acteurs font le même boulot. 

@ Guillaume Plas

Vous avez tourné pour des réalisateurs cultes. Pouvez-vous nous parler de votre expérience avec Philippe Garrel pour le film Un été brûlant (2011) aux côtés de Monica Bellucci et de Louis Garrel ?

C’était assez improbable comme histoire. J’ai reçu un coup de fil de ce grand monsieur qui me disait m’avoir beaucoup aimé dans Les Baigneuses (2003), un film de Viviane Candas que très peu de gens ont vu. Et il s’en souvenait huit ans plus tard. J’ai d’abord cru à une blague à tel point que j’ai failli raccrocher avant la fin du coup de fil. J’ai finalement auditionné aux côtés de Monica Bellucci. On m’a ensuite dit, très gentiment, que je ne convenais pas dans ce rôle. Mais Philippe Garrel tenait tellement, à cause des Baigneuses, à me faire tourner, qu’il m’a écrit un rôle sur mesure. J’ai rencontré un cinéaste absolument magnifique, poétique, d’une grande sensibilité. J’ai adoré travailler avec lui. J’étais fier et honoré. C’était une expérience assez atypique car Philippe Garrel est l’un des seuls réalisateurs, à ma connaissance, qui tourne son film dans l’ordre.


Quels sont vos réalisateurs préférés ?

Je suis très fan de l’univers de Leos Carax, du cinéma fantasque de Jan Kounen, de Cédric Klapisch et de Jacques Audiard. Je rêverais de tourner avec eux.


Quel est votre définition du métier d’acteur ?

Je crois que c’est la quête incessante d’une vérité. On essaie de comprendre le plus possible les personnages que l’on interprète et de naviguer dans la psychologie de l’être humain en se mettant à la place de l’autre. On ne peut pas faire ce métier sans générosité ni empathie, je pense. Et une sorte d’intelligence instinctive des émotions. J’aime travailler beaucoup en amont de mes rôles et une fois sur la plateau, mettre mon cerveau sur pause pour faire confiance à mon instinct ainsi qu’aux réalisateurs. C’est un métier qui se pratique avec les tripes et une part d’animalité.

Votre frère, Mikaël Fitoussi, fait le même métier que vous. Vous donnez-vous mutuellement des conseils ?

Bien sûr que nous nous donnons des conseils l’un à l’autre. Nous nous faisons même répéter mutuellement. Et nous avons cette même franchise réciproque quand quelque chose que nous faisons ne va pas. Nous savons bien que l’entourage plus large que la famille peut ne pas oser être critique envers nous et être uniquement dans le compliment. Or il s’avère important, pour avancer, d’entendre ce qui peut être amélioré. Nous avons déjà tourné ensemble et avons de nouveau envie de travailler tous les deux sur un court-métrage commun.

 

Quel rapport entretenez-vous avec les vêtements, à la fois sur les plateaux et sur les tapis rouges ?

Dans le travail, c’est l’une des parts essentielles d’un personnage. On commence par le costume avant même d’avoir répété. Ça définit le personnage et cela se joue souvent dans les petits détails. On ne marche pas de la même façon lorsqu’on porte des bottes hautes, un uniforme de général de l’armée qui vous serre, ou encore un corset – lorsqu’on est une femme. On rentre dans une peau, surtout concernant les films d’époque. Dans la vie, je m’intéresse de plus en plus à la mode. Je cherche de plus en plus à être élégant et bien habillé. Je ne passe pas mon temps à faire les boutiques, mais j’apprécie de plus en plus les belles choses. Et il se trouve que je suis aujourd’hui accompagné par de belles maisons comme Tod’s ou Hermès. Ce qui aide pas mal à porter de très belles choses ! On se sent tout de suite plus beau, à l’aise et rayonnant.

 

Grégory Fitoussi est au générique de la saison 6 de Peaky Blinders (2013-2022) de Steven Knight, diffusée actuellement sur la BBC et disponible dès le 10 juin 2022 sur Netflix. Il sera également à l’affiche du film Pilote de Paul Doucet, disponible le 10 mai 2022 sur OCS et dans la série Walkyries (sur TF1) et le film Emperor avec Adrien Brody.