8 avr 2024

Rencontre avec Benoît Magimel et Nadia Tereszkiewicz, amoureux anticonformistes du film Rosalie

Alors qu’ils sont à l’affiche, ce mercredi 10 avril 2024, du film Rosalie, un drame historique qui met en scène la figure fascinante d’une femme à barbe à l’aube du 20e siècle, les deux acteurs talentueux Benoît Magimel et Nadia Tereszkiewicz se sont confiés à Numéro.

propos recueillis par Nathan Merchadier.

Quelques années après la sortie d’un premier long-métrage remarqué – La Danseuse (2016) avec Lily-Rose Depp et Gaspard Ulliel – la réalisatrice Stéphanie Di Giusto invite deux autres acteurs fascinants au casting de son film Rosalie, qui sort ce mercredi 10 avril 2024 au cinéma. Dans ce drame historique inspiré d’un personnage ayant existé (Clémentine Delait), l’étoile montante du cinéma français Nadia Tereszkiewicz incarne Rosalie, une femme à barbe célèbre au début du 20e siècle et donne la réplique à Benoît Magimel

 

L’acteur talentueux incarne de son côté Abel, un ancien soldat devenu tenancier de bar acculé par les dettes. Présentés l’un à l’autre dans le cadre d’un mariage forcé, les deux personnages devront apprendre à vivre ensemble avant qu’Abel ne fasse une découverte qui ne le laissera pas de marbre. 

 

Benoît Magimel et Nadia Tereszkiewicz, héros anticonformistes du film Rosalie

 

Alors que le bar de son mari connaît des difficulté financières, Rosalie, qui jusqu’ici se montrait toujours rasée en public, décide d’attirer de nouveaux clients dans son établissement en exposant au grand jour sa pilosité, devenant un temps une attraction aux yeux de tous. À travers ce second long-métrage poignant, Stéphanie Di Giusto interroge la place des femmes dans un film d’époque aux thématiques on ne peut plus actuelles. Les acteurs césarisés Benoît Magimel et Nadia Tereszkiewicz, formidables dans ce long-métrage, nous racontent leurs souvenirs de tournage et leur vision du couple.

L’interview des acteurs Benoît Magimel et Nadia Tereszkiewicz

 

Numéro : Qu’est-ce qui vous a séduit dans le film Rosalie ?
Benoît Magimel : Il y avait la volonté de la réalisatrice, Stéphanie Di Giusto, de faire en sorte qu’on ne se parle pas et qu’on ne se rencontre pas avant le tournage. Nous avons beaucoup aimé le fait de se laisser porter, de tourner le récit de façon chronologique. Il y avait également une certaine forme de pudeur et de distance entre nous deux qui m’intéressait. 

Nadia Tereszkiewicz : Il y a également un aspect proche du “conte” dans ce film qui m’a séduit.

 

Comment avez-vous envisagé cette histoire d’amour compliquée ?
Benoît Magimel : Le scénario a évolué à plusieurs reprises. Mais le fait de s’identifier à ce point aux personnages nous a permis de soulever des questions qui ne figuraient pas forcément dans sa version initiale avant qu’elles nous apparaissent comme des évidences. Ce sont des éléments qui auraient pu sembler superflus mais qui ont finalement pris beaucoup de sens. Notamment sur le désir qui liait le personnage d’Abel à celui de Rosalie. Je me suis beaucoup interrogé sur l’approche que je pouvais avoir envers la féminité de Rosalie, notamment lorsqu’il éprouve une résistance au sujet de son “handicap”. Tout ce travail m’a permis de réaliser qu’ils étaient des âmes sœurs et de voir à quel point ils avaient de la bienveillance l’un envers l’autre. 

 

Comment décririez-vous la relation de rejet qui s’opère entre les deux personnages ?

Nadia Tereszkiewicz : Abel ressent une immense colère car Rosalie lui a menti (sur sa barbe). De son côté, elle se laisse envahir par quelque chose qu’elle n’avait jamais éprouvé car elle ne connaissait jusqu’à maintenant que l’amour de son père. Rosalie a fantasmé beaucoup de choses sur l’amour en lisant des livres. Elle s’est longtemps dit que si on ne l’aimait pas, elle se devait d’avoir un enfant pour que les gens portent un regard nouveau sur elle. Mais pour cela, il fallait d’abord qu’elle tombe amoureuse. Ce sont des choses que l’on peut se dire lorsqu’on a 14 ans… Lorsqu’elle arrive chez Abel avec tous ces rêves, elle est pour la première fois confrontée à la vraie vie.

« J’ai lu le scénario en mettant de côté le concept de femme à barbe. » Benoît Magimel

 

Le film Rosalie se déroule à l’aube du 20e siècle mais évoque certaines préoccupations très actuelles. Sur le couple, le regard des autres…
Nadia Tereszkiewicz : Je pense que ce film questionne le fait de pouvoir encore croire à l’amour aujourd’hui …

Benoît Magimel : Oui, car ils s’aiment au-delà des différences. J’ai lu le scénario en mettant de côté le concept de femme à barbe. On s’aperçoit d’ailleurs que ce sont ses actes qui sont incroyables plutôt que cet aspect physique. Rosalie est très lumineuse car elle a été aimée par son père. Malgré le regard des autres, elle arrive à faire glisser beaucoup de choses sur elle. Elle se relève et elle y retourne (au bar, pour travailler, ndlr). À aucun moment, elle ne se démonte face à la situation. C’est peut-être cela qui est pour lui le plus déstabilisant. Quand tu essaies de détruire quelqu’un, de lui faire comprendre que tu le n’aimeras jamais, que tu la traites de monstre ou même d’ours, et que le lendemain elle revient à la charge, c’est impressionnant. Je trouve qu’ils s’apportent énormément l’un à l’autre. C’est pour cela que je dis que ce sont des âmes sœurs.

 

Comment était-ce de tourner ce film avec cette épaisse barbe ? 
Nadia Tereszkiewicz : Lorsque Rosalie parvient à assumer sa barbe, elle le fait d’abord pour Abel, pour l’aider, car elle est bienveillante et qu’elle a envie d’être aimée par cet homme. C’est d’ailleurs en se rendant compte que cette barbe se présente comme sa féminité à elle, et que c’est avec cela qu’elle va vraiment être une femme, qu’elle découvre tous ses désirs pluriels. J’ai trouvé cela très beau comme déclic. À travers la naissance de ces désirs, une très forte image de l’amour se dégage. Elle va vraiment tomber amoureuse. J’ai aimé l’idée que ce ne soit pas un coup de foudre mais un amour plus stable qui va progressivement s’installer entre eux. Il y a eu de la résistance, au départ. C’est aussi beau de montrer que parfois, c’est le désir qui fait qu’ils se rapprochent. Cette une sorte de rejet que je trouve intéressant : lorsque l’on n’accepte pas le désir qui nous envahit mais que les sentiments prennent le dessus. 

 

Le personnage de Rosalie se présente par ailleurs très complexe par bien des aspects …

Benoît Magimel : Rosalie commet des actes qui le bouleversent et il réalise que ce sont des actes dangereux pour lui. Elle se met à nu et il appréhende que cette histoire finisse mal. Cet homme se voit aussi comme une bête curieuse, elle va réveiller chez lui le désir mais aussi son corps qu’il laissait jusqu’ici pour mort. C’est un type qui souffre, il y a un aspect fascinant dans sa résistance. Ce rejet vient en partie du fait qu’il y a eu un mensonge très fort. Il a l’impression d’être manipulé, d’être pris pour un imbécile. Quand il la rencontre et qu’elle lui dit qu’elle veut des enfants, il trouve cela étrange. Il pense qu’elle ne veut qu’un enfant de lui, qu’il est réduit à un simple statut de géniteur et qu’après, il disparaîtra. Toutes ces questions ne sont pas dans le scénario. Je me les suis posées par rapport à ma sensibilité. Rosalie vient le chercher, elle provoque chez lui des choses. Plus que lui ne cherche à les provoquer, d’ailleurs. 

“Aujourd’hui, on parle beaucoup de l’amour qu’il y a dans les couples et de l’engagement qui, j’ai l’impression, chez les jeunes, est un peu compliqué. » Nadia Tereszkiewicz

 

Selon-vous, qu’est-ce que ce film dit de l’amour ?
Nadia Tereszkiewicz : Abel est un homme brisé par la guerre, alors que de son côté, Rosalie a plein de rêves et d’envies. Elle est confrontée à quelqu’un qui a été déçu par l’humanité, qui n’a plus de foi et qui ne croit plus en rien. On parle aujourd’hui beaucoup de l’amour qu’il y a dans les couples et de l’engagement qui, j’ai l’impression, chez les jeunes, est un peu compliqué. Le mariage arrangé est quelque chose terrible.  

Benoît Magimel : C’est aussi une histoire d’argent. Le père de Rosalie l’abandonne car il estime que sa fille doit vivre une vie de femme. Elle ne côtoie personne et son départ est d’ailleurs assez marquant, quand le père de Rosalie part en calèche, c’est déchirant. Lorsque j’ai imaginé le personnage joué par Nadia, je projetais une sorte de cendrillon qui vivait dans la forêt. Très seule car elle n’avait que son père. 

Nadia Tereszkiewicz : C’est un abandon et à l’époque les jeunes femmes avaient pour habitude de passer directement de l’amour de leur père à celui de leur mari. 

Benoît Magimel : De son côté, il semble obligé de provoquer cela car elle se devait de trouver l’amour. 

 

Rosalie (2024) de Stéphanie Di Giusto, avec Benoît Magimel et Nadia Tereszkiewicz, au cinéma le 10 avril 2024.