12 nov 2022

Rencontre avec Ana Girardot, à l’affiche du film sulfureux La Maison

L’actrice française Ana Girardot, 34 ans, incarne une écrivaine qui se prostitue dans La Maison, le nouveau film réalisé par Anissa Bonnefont (Wonder Boy, Olivier Rousteing, né sous X). Une belle prise de risque pour l’héroïne des Revenants (2012-2015) à l’image sage et évanescente. Cette fausse timide nous en dit plus sur les coulisses d’un film, interdit aux moins de 16 ans, appelé à faire beaucoup de bruit lors de sa sortie au cinéma, ce mercredi 16 novembre.

propos recueillis par Violaine Schütz.

Ana Girardot dans « La Maison » (2022) © Baptiste Antignani © 2021 Radar Films – Umedia – Rezo Films – Carl Hirschmann – Stella Maris Pictures

Avec La Maison, nouveau film réalisé par Anissa Bonnefont (Wonder Boy, Olivier Rousteing, né sous X en 2019), l’actrice Ana Girardot (Les RevenantsDeux Moi de Cédric Klapisch) signe une belle prise de risque. En effet, le film est librement adapté d’un livre sulfureux à succès, La Maison (2019) d’Emma Becker. L’ouvrage raconte l’immersion de l’écrivaine française, durant deux ans, dans une maison close à Berlin. Cette dernière a décidé de se prostituer par choix, pour nourrir son livre. Dans le film, Ana Girardot aborde avec grâce, candeur et subtilité ce personnage aussi fascinant que clivant, lui conférant même une dimension féministe. Cette fausse timide nous en dit plus sur les coulisses d’un film, interdit aux moins de 16 ans, appelé à faire beaucoup de bruit lors de sa sortie, ce mercredi 16 novembre.

 

L’interview d’Ana Girardot, à l’affiche du film La Maison

 

Numéro : Vous dégagez une image assez sage et ce rôle d’écrivaine qui se prostitue est très sulfureux. Aviez-vous la volonté de casser vote image ?
Ana Girardot : Je suis différente, dans la vraie vie, de l’image que je renvoie. Je ne suis pas la même quand je suis avec mes amis que lorsque je me trouve face à des journalistes, des réalisateurs ou des acteurs. Mais finalement, on endosse un costume et on continue à le porter parce que des réalisateurs pensent qu’on est très bien dans ce type de rôles. Alors, pourquoi changer ? Sauf qu’en fait, ça devient bloquant parce qu’on se rend compte que ce manteau est la seule chose dans laquelle on vous voit. Et à un moment donné, on se retrouve dans une case et on joue des rôles qui se ressemblent. Or, quand on est comédien, la seule chose dont on a envie, c’est de porter plusieurs manteaux, plusieurs masques. L’intérêt de ce métier, c’est de jouer des personnes très différentes. Et j’ai envie d’explorer mille choses. C’est ce qui s’est passé quand j’ai tourné dans la série La Flamme (2020) de Jonathan Cohen, alors qu’on me proposait peu de rôles comiques. J’ai eu l’impression de porter un blouson en cuir. Tout à coup, je me suis dit : voilà, les choses bougent.

 

La Maison arrive donc au bon moment dans votre carrière…
Oui, car j’étais un peu malheureuse de sentir qu’il y avait une case dans laquelle on me voyait très bien et qu’on m’y plaçait facilement. Je me disais que cela peut fonctionner quand on est très jeune et qu’on joue les jeunes premières qui se découvrent mais que j’allais risquer de m’ennuyer au bout d’un moment. Cependant, j’ai eu très peur quand Anissa Bonnefont m’a confié le rôle d’Emma Becker dans La Maison qu’elle regrette ensuite son choix d’actrice. Jusqu’au jour J du début de tournage où tout s’est mis en place comme une évidence…


Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce film ?
J’ai aimé que le personnage principal d’Emma Becker, qui se fait appeler Justine quand elle est au bordel, soit une femme libre, qui assume pleinement son désir, sans se soucier du jugement des autres. Quand sa sœur la critique sur son choix de se prostituer dans une maison close pour nourrir un livre, elle s’en fout et continue son expérience. Ce film affirme que les femmes sont plurielles et qu’elles peuvent avoir une sexualité jugée discutable, qui peut étonner, voire choquer. Heureusement, on a aussi ça en nous et on ne peut pas nous mettre si finalement dans des cases. Ce que j’ai aimé, aussi, c’est que ce n’est pas un personnage qui réagit à une situation, mais qui provoque la situation. Et j’ai rarement lu des scénarios avec des personnages féminins où c’était le cas. Donc évidemment, en lisant le scénario, j’ai eu envie d’interpréter ce personnage si indépendant, affranchi et fort. Emma est libre dans l’exercice de son fantasme et l’assume pleinement. Ceux et celles qui ont vu le film me disent qu’ils trouvent que c’est un film féministe. Rien ne pourrait me faire plus plaisir…

« Emma est une femme qui veut découvrir son ressenti lorsqu’elle va se prostituer et retranscrire le rapport de pouvoir qui va se jouer avec les clients. Puis elle s’attache à toutes les femmes qui se prostituent. » Ana Girardot

 

Connaissiez-vous déjà le livre ?
Oui. Je me souviens même de l’avoir lu parce que j’avais vu Emma Becker en faire la promotion et qu’elle m’avait intriguée. Mais c’était intéressant de le relire, de l’annoter. J’ai tellement ajouté de notes dessus que le livre ressemble à un accordéon. Par contre, je ne connaissais pas son premier roman, Mr., qui parle de la liaison de l’héroïne avec un chirurgien marié. En fait, le livre m’a encore plus interpellée que La Maison.

 

Y-a-t-il un passage du livre qui vous a particulièrement marquée ?
Oui. J’aime beaucoup l’un des extraits qu’Anissa a gardés et a retranscrits dans le film. C’est toute la tirade de fin du livre où Emma dit que beaucoup d’humanité ressort de cette expérience. Elle explique qu’au départ, elle voulait parler des hommes qu’elle allait rencontrer, mais que finalement, elle s’est retrouvée à parler des femmes qui viennent au bordel et qui travaillent avec elle. Au départ, on parle d’une femme qui veut découvrir son ressenti lorsqu’elle va se prostituer et qui entend retranscrire le rapport de pouvoir qui va se jouer avec les clients. Et puis, au fur et à mesure, Emma s’attache à toutes les femmes qui se prostituent (jouées notamment par Aure Atika et Rossy de Palma dans le film). Elle les observe et en parle si bien. Et c’est dans ce lien de sororité qu’elle se sent exister complètement, sans jugement. Qu’elle se sent enfin « à la maison ». Et ça, ça m’a beaucoup plu.

 

Je crois que vous avez rencontré des prostituées pour préparer votre rôle. Mais avez-vous rencontré Emma Becker ?
Je voulais très fortement la rencontrer. Elle habite à Berlin, ça a failli se faire, mais finalement, il ne restait plus beaucoup de temps avant le tournage et malheureusement, ça ne s’est pas fait. Je me suis dit que ce rendez-vous manqué était peut-être un signe, que ce n’était pas forcément une mauvaise chose et que j’allais pouvoir m’affranchir de sa vision pour créer ma « Emma » et ma « Justine », dans le respect de ses mots et d’après la vision d’Anissa (la réalisatrice, ndlr). Car c’est déjà difficile d’interpréter un personnage de fiction alors, un personnage réel et vivant, c’est encore plus compliqué. Et puis, nous sommes très différentes, Emma et moi. On ne dégage pas la même féminité. Elle a l’air très impressionnante et peut-être que si elle m’avait rencontrée, elle aurait mis un gros veto au fait que je joue son rôle (rires).

Ana Girardot dans « La Maison » (2022) © Nicolas Berteyac © 2021 Radar Films – Umedia – Rezo Films – Carl Hirschmann – Stella Maris Pictures

« J’ai travaillé avec une danseuse du Crazy Horse, Mika Do. Elle m’a appris à marcher, à sentir mon corps, à fixer une proie et à ne pas la lâcher. » Ana Girardot

 

Comme dans Belle de jour (1967) de Luis Buñuel et Jeune et Jolie (2013) de François Ozon, on voit dans La Maison une travailleuse du sexe pour qui ce métier est un choix, et non une nécessité. Est-ce que ce sont des films que vous aviez en tête lors du tournage ?
Alors j’aime énormément ces deux films et j’aime énormément Catherine Deneuve et Marine Vacth. Mais la grande différence avec ces long-métrages, c’est que La Maison est réalisé par une femme. C’est le fantasme d’une femme vu par une femme. C’est le grand écart qui change tout. Il y a d’autres exemples comme Lady Chatterley (2006), un film de femme (Pascale Ferran) sur la sexualité d’une autre femme mais c’est le point de vue d’homme encore, puisque c’est l’adaptation du livre d’un écrivain (D. H. Lawrence, ndlr). Quand on a commencé à parler du projet, avec Anissa, soit six mois avant le début du tournage, on a longuement discuté du désir et de sexualité. On a évoqué ce qui nous attirait et nous fascinait dans ce personnage d’Emma. Je n’aurais sans doute jamais pu avoir le même échange avec un homme. Je me demande ce que ça m’aurait fait si tout d’un coup un réalisateur était venu vers moi avec ce projet de La Maison et ce personnage. Je ne pense pas que ça aurait donné la même chose.

 

Comment avez-vous abordé les nombreuses scènes de nudité et de sexe ?
J’ai travaillé avec une danseuse du Crazy Horse, Mika Do. Elle m’a appris à marcher, à sentir mon corps, à fixer une proie et à ne pas la lâcher. J’avais besoin de pouvoir mener la danse parce que le personnage de Justine (le nom d’Emma une fois qu’elle est dans le bordel, ndlr) mène la danse et amène les hommes dans la chambre, les rassure, les guide. Et comme je suis plus quelqu’un qui se laisse guider dans la vie, il fallait que j’apprenne à initier le mouvement.

 

Il n’y avait pas de coordinateur d’intimité sur le film…

C’est Anissa qui jouait le rôle de la coordinatrice d’intimité. Je pense que la présence d’un coordinateur, c’est important quand le réalisateur ne sait pas exactement ce qu’il veut demander à ces acteurs ou que les acteurs souhaitent sa présence pour se sentir rassurés. Je trouve ça très bien que ce métier existe. Mais là, Anissa avait tout en tête, que ce soit le mouvement de la caméra, la lumière, les actions. Elle nous mimait tout et expliquait les scènes dans leurs moindres détails, en les justifiant. Elle assumait tout, donc il n’y avait pas de gène. On ne se sentait pas trahis. Par le passé, j’ai eu affaire à des réalisateurs qui m’ont dit, pendant une scène de sexe, des choses comme : « Vas-y, respire fort, comme ça le drap va tomber et on verra ton téton. » Là, j’aurais eu besoin d’un coordinateur d’intimité, car ça ne sonnait pas authentique.

Ana Girardot dans « La Maison » (2022) © Baptiste Antignani © 2021 Radar Films – Umedia – Rezo Films – Carl Hirschmann – Stella Maris Pictures

Vos deux parents, Hippolyte Girardot et Isabel Otero, sont acteurs. Avaient-ils peur que vous tourniez dans La Maison ?
J’ai dit à mon mon père, qui a l’habitude de lire mes scénarios : « Écoute papa, voilà, je veux faire un film, mais je ne veux pas que tu lises le scénario et je ne veux pas que tu le vois. Tu ne le verras pas. Tant pis. Il y a des films que tu as fait que tu m’a interdit de voir. Bah voilà, moi, c’est mon tour. » Ma mère l’a lu et on en a parlé. Et j’ai aussi demandé à mes cousines si ce scénario les gênait. Elles m’ont dit : « Non, pas du tout, au contraire, vas-y, c’est génial, va explorer ce personnage. » En fait, je pense que toutes les femmes ont envie, comme Emma, d’aller explorer ce monde et de voir ce qu’il y a derrière ces portes closes et ce que ça provoque chez nous en tant que femmes. J’ai senti beaucoup de curiosité, de fascination et d’envie de la part des femmes de mon entourage face à ce projet. Et je pense que quelque part, par rapport à ma personnalité et à ma carrière, j’avais besoin de ce rôle.

 

Y-a-t-il, concernant celle que vous êtes en dehors des plateaux, un avant et un après La Maison ?
Oui. Alors, parfois, je l’oublie et je reviens à la Ana d’avant. Mais désormais, je sais que je peux réactiver, si je le veux, une femme beaucoup plus puissante qui vit en moi et qui, je pense, vit en chacune de nous.


« La Maison » (2022) d’Anissa Bonnefont avec Ana Girardot, Aure Atika, Rossy de Palma, Philippe Rebbot, en salle le 16 novembre.