Quentin Dupieux en 5 personnages loufoques
Un pneu dans le film “Rubber” (2010), une veste à franges dans “Le Daim” (2019)… à l’occasion de la sortie de Mandibules (prévue au 16 décembre mais reportée hier par le gouvernement français), dans lequel une mouche géante tient le rôle principal, retour sur 5 personnages loufoques qui habitent le cinéma de Quentin Dupieux.
Par Lucas Aubry.
Depuis une dizaine d’années, le réalisateur et musicien Quentin Dupieux fabrique des mondes imaginaires aux frontières de l’absurde, de l’onirique et du bizarre. Après s’être fait un nom dans le cinéma indépendant en bouleversant la Semaine de la critique du Festival de Cannes avec l’histoire d’un pneu serial killer dans Rubber (2010), le cinéaste autrefois implanté en Californie est revenu en France pour tourner des comédies plus grand public. Malgré la présence de Benoît Poelvoorde dans Au Poste! (2018), de Jean Dujardin et Adèle Haenel dans Le Daim (2019), ou des comiques du Palmashow et d’Adèle Exarchopoulos dans son prochain film Mandibules, ce sont des personnages aussi loufoques qu’inattendus qui jouent les premiers rôles dans son univers.
1. Flat Eric, marionnette star de la French touch
En 1996, le pionnier de la techno française Laurent Garnier fait la rencontre du fils de son garagiste, le jeune Quentin Dupieux, qui effectue des petits boulots sur les tournages des clips réalisés par Michel Gondry et tourne des courts-métrage amateurs avec la caméra vidéo de son père. Il lui confie alors la réalisation du clip de Crispy Bacon et l’introduit dans le mouvement techno français des années 90 plus connu aujourd’hui sous le nom de “French touch”. Quelques années plus tard, Quentin Dupieux s’essaye à la musique électronique et sort le tube Flat Beat (1999) sous son alias Mr. Oizo. Si l’acid-house bordélique du morceau permet à Quentin Dupieux de se faire un nom dans la culture club, c’est la marionnette jaune aux allures de muppet-show présente dans le clip qui accède la première à la reconnaissance internationale. Après avoir été l’invitée d’une publicité pour Levi’s restée culte, la marionnette baptisée Flat Eric apparaît dans la première saison de The Office UK et reste plus de 10 ans à l’affiche du show Cuto Circuito diffusé à la télévision portugaise.
2. Un pneu serial killer dans “Rubber” (2010)
Dans le désert californien, des spectateurs incrédules assistent aux aventures d’un pneu serial killer et télépathe, mystérieusement attiré par une jolie jeune fille. Le premier succès de Quentin Dupieux au cinéma annonce à merveille sa filmographie à mi-chemin entre le cérébral et le franchement stupide. « Donner une personnalité à ce pneu était primordial » explique le cinéaste, qui réalise alors un véritable tour de force en prêtant des sentiments à l’inanimé. Sa science du montage et de la mise en scène se révèle lors d’une scène où le pneu se retrouve face à lui-même, après avoir fait la découverte d’un miroir.
3. Des policiers fans de techno dans « Wrong Cops » (2013)
De l’aveu du réalisateur, la biche qui apparaît dans l’épilogue du film Wrong Cops (2013) est un clin d’œil à l’autruche qui traverse sans raison apparente plusieurs scènes du Fantôme de la liberté (1974) de Luis Buñuel. Et comment ne pas faire le parallèle entre le cinéma de Quentin Dupieux et le cinéaste surréaliste espagnol. À l’image du personnage de policier borgne fan de techno interprété par Éric Judor dans Wrong Cops, ou de son collègue qui deale en dissimulant sa drogue dans des rats éventrés “parce que c’est discret et facile à transporter”, Quentin Dupieux filme une réalité déformée et rationalise des mœurs absurdes, qui ne semblent pas choquer plus que ça les autres habitants de ses mondes imaginaires.
4. Une veste en daim “au style de malade” dans « Le Daim » (2019)
Si les films de Quentin Dupieux sont parfois déroutants, le spectateur peut toujours se raccrocher à une trame simple, guidée par les idées fixes qui obsèdent ses personnages. Dans Le Daim (2019), le personnage de Jean Dujardin est déterminé à réaliser un film d’horreur très série B. Mais c’est une veste à franges en daim “au style de malade” achetée d’occasion qui l’obsède. Celle-ci devient alors un personnage à part entière du film, filmé comme tel, et transporte un Jean Dujardin névrosé aux portes de la folie.
5. Une mouche géante dans « Mandibules » (2021)
Monde surréaliste, personnages monomaniaques et tendrement stupides, esthétique léchée qui semble tout droit sortie d’une époque bien définie – sans que l’on puisse pourtant la définir – Mandibules, en salle début 2021, contient tous les ingrédients du cinéma de Quentin Dupieux. En filmant le duo comique Grégoire Ludig et David Marsais du Palmashow, le cinéaste semble même avoir trouvé les héritiers d’Eric et Ramzy, filmés en 2007 dans Steak. Mais c’est une mouche géante trouvée dans le coffre d’une voiture qui vole la vedette. Quentin Dupieux a même tenu à ce que la mouche soit physiquement en plateau, animée par un marionnettiste à l’heure ou la modélisation 3D aurait pu faire le boulot plus tard, sur ordinateur. “Pour les comédiens, c’est très compliqué de jouer face à un coussin vert, je trouve ça très dangereux et, surtout, pas très intéressant” remarque Quentin Dupieux, qui opère ici avec la joie enfantine et l’esprit de bidouille de ses débuts.
« Mandibules » de Quentin Dupieux, sortie début 2021.