28 nov 2018

Quels sont les meilleurs films indés US de 2018 ?

Depuis 1991, la cérémonie récompense chaque année les meilleurs artisans du cinéma indépendant. L'an dernier, les grands gagnants n'étaient autres que “Call Me By Your Name”, “Get Out”, “Moonlight”, “Spotlight” et “Birdman”, tous primés aux Oscars.

Par Laura Catz.

The Rider

Antichambre incontournable des Oscars, la cérémonie des Gotham Awards révèle chaque année depuis 1991 le meilleur du cinéma indépendant. Call Me By Your Name, Get OutMoonlightSpotlight et Birdman, tous ont remporté la précieuse statuette. Cette année, les gagnants sont…

Le film : The Rider

 

Western mais pas spaghetti, The Rider relate la convalescence de Brady, une jeune star déchue du rodéo qui tente de survivre dans la réserve de Pine Rige (Dakota du Sud) après un accident : son cheval lui a écrasé le crâne, il est obligé de l’abattre. Double peine pour ce cow-boy anachronique qui voit ses rêves partir en fumée, que le monde moderne voudrait contraindre à travailler au supermarché, et sur qui repose tout l’espoir d’une famille bancale. Malgré cette souffrance, physique et morale, cet antihéros à la gueule cassée garde la tête haute et s’obstine à vouloir rester parmi les siens.

 

Après un poignant film initiatique, Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015), sur un adolescent sioux qui choisissait de fuir pour se sauver, Chloé Zhao délivre un drame hyperréaliste  (inspiré d’une histoire vraie) écrit à la manière d’un récit d’apprentissage. Elle met en scène ses écorchés vifs – tous des acteurs non professionnels – dans une scénographie composée de plans de champs désertiques à la Terrence Malick, de sublimes paysages éclairés à la lumière de l’aube ou du crépuscule. Outre les questions d’assimilation, de nature, de relation homme-animal et de culture, elle dessine le portrait d’une certaine Amérique acquise à Donald Trump. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, The Rider risque fort de briller aux Oscars.

L'acteur : Ethan Hawke

 

Sur le chemin de la rédemption (le titre français de First Reformed), Ethan Hawke coiffe au poteau Adam Driver (qui était nommé pour le brillant BlacKkKlansman de Spike Lee) avec le prix du meilleur acteur. Dans ce drame signé Paul Schrader (Taxi Driver, American Gigolo), Ethan Hawke campe un ex-militaire devenu pasteur, ravagé par la mort de son fils. Sa foi est mise à rude épreuve lorsque Mary (Amanda Seyfried), une jeune paroissienne qui rencontre des difficultés avec son époux, écologiste radical, lui demande conseil. Le play-boy issu de la génération grunge n’a même pas 15 ans lorsqu’il apparaît pour la première fois au cinéma dans Explorers avec Joe Dante, maestro du cinéma sci-fi. Quand Télérama évoque avec lui ce fiasco, il répond qu’il s’agit de “la meilleure chose” qui lui soit arrivée puisqu'elle l'a “guéri de toute prétention”. Quatre ans plus tard, il campe un ado secret et malmené dans le cultissime Cercle des poètes disparus de Todd Anderson, et c'est la consécration. 

 

S’il est aujourd’hui à l’affiche d’un film indépendant, Ethan Hawke a également tourné pour de grosses productions (24 Hours to Live, American Nightmare), et multiplié les rôles de héros cabossés. Mais c’est avec le réalisateur Richard Linklater qu'il a principalement collaboré, notamment avec la trilogie Before SunriseBefore SunsetBefore Midnight, où il se met à nu au côté de Julie Delpy. L'autre réalisateur qui marque sa carrière n'est autre qu'Antoine Fuqua, qui lui offre le rôle d’un flic malmené dans Training Day et pour lequel il est nommé à l’Oscar du meilleur second rôle. Aussi à l’aise sur les planches prononçant du Tchekhov (La Mouette, La Cerisaie, Ivanov) que dans un film d’action, le Texan de 48 ans, divorcé d’Uma Thurman, a fait de la fragilité sa marque de fabrique. 

L'actrice : Toni Collette 

 

Habituée des rôles de mère de famille borderline, (Little Miss Sunshine, United States of Tara, et plus récemment Wanderlust) Toni Collette (Sixième Sens) signe un come-back fracassant en incarnant à nouveau le rôle d’une mère de famille, ici très dysfonctionnelle, dans le traumatisant Hérédité. Sensation du Festival Sundance, ce film d’horreur signé Ari Aster met en scène une famille sombrant dans la démence après la mort de la grand-mère. Annie (Toni Collette), n’accepte pas la mort de sa mère qui avec l'âge était devenue folle à lier, et se réfugie dans son travail pour fuir ce deuil. Artiste, elle termine une commande pour des galeries, des maquettes où elle se représente avec sa famille au quotidien. Mais elle sera finalement rattrapée par cette folie massacrante.

 

Le plus marquant chez l’Australienne de 46 ans, c’est sans doute son visage si émouvant capable en une fraction de seconde de passer par 1001 émotions. Dans United States of Tara, elle joue les six alter ego d’une mère souffrant d’un trouble dissociatif de l’identité. Une prouesse couronnée du Golden Globe de la meilleure actrice dans une série comique. Si elle commence sa carrière en 1990 au théâtre, Toni Collette, fille d’un camionneur et d’une employée de bureau, se fait connaître du grand public grâce à son rôle dans Muriel, quatre ans plus tard. Une comédie glitter-guimauve pour laquelle elle a dû prendre 18 kilos, dans laquelle une fille un peu paria et attaquée pour son physique se réfugie dans les catalogues de robes de mariée en rêvant au prince charmant, Abba dans les oreilles. “Elle ne se pose pas de questions, elle fonce tête la première”, confiait Ari Aster à son sujet dans Le JDD.  

 

La série : Killing Eve

 

Thriller nerveux et truffé d’humour noir, la série Killing Eve renouvelle avec brio le genre du film d’espionnage en y remplaçant les agents secrets masculins par des héroïnes féminines, aussi brutales qu’imprévisibles. Une adaptation du livre de Luke Jennings signée Phoebe Waller-Bridge, l’Anglaise à l’origine de la comédie amère Fleabag, qui suit les déboires d’une trentenaire en plein deuil de sa meilleure amie. Ici, elle met son humour brutal et grinçant au service d’un jeu du chat et de la souris ambigu entre une agente du MI5 (Sandra Oh, Grey’s Anatomy) et une tueuse à gages aux méthodes sanguinaires, interprétée par l’excellente Jodie Comer. L’une pourchasse l’autre, mais elles se ressemblent finalement, comme des sœurs qui n’auraient pas tourné de la même manière. Deux femmes tenues par leurs névroses et le désir de s’affirmer, de chaque côté de la loi.

 

J’aime les femmes normales, donc bizarres, donc sauvages, donc complexes”, a expliqué l’auteure. Sous une carapace assez classique se dessinent des jeux de pouvoir, de séduction et de mort, relevés d’un mauvais esprit qui fait du bien et d’un féminisme inattendu. Dans la première scène du premier épisode, la tueuse fixe intensément une fillette en train de savourer une glace. Elle modifie soudain l’expression de son visage, reproduisant le sourire bienveillant des adultes alentour, et provoque un rire complice chez la gamine. Puis elle se lève, impériale, et quitte les lieux, renversant au passage la glace sur les genoux de l’enfant… La série, déjà renouvelée pour une deuxième saison, était en compétition avec la pépite produite par Ryan Murphy, Pose, ainsi que les histoires macabres de Sharp Objects dont l'héroïne n'est autre qu'Amy Adams. 

Le documentaire : Hale County This Morning, This Evening

 

À travers un télescopage d’images, comme autant de fragments empruntés à la vie de ses protagonistes, ce film mosaïque, miroir de la vie d’une communauté afro-américaine du sud des États-Unis, nous entraîne dans un voyage émotionnel et poétique dans les abysses de l’Amérique d’aujourd’hui.

 

Ce premier long métrage documentaire du photographe RaMell Ross est une œuvre qui redéfinit radicalement la représentation des Afro-Américains à l’écran. Tourné sur près de cinq ans dans une petite ville d’Alabama, Hale County This Morning, This Evening tourne le dos à toute convention documentaire au profit d’une approche sensorielle et lyrique fondée sur la captation d’instants de la vie quotidienne. Alternant l’anodin et le sublime, le sociologique et le métaphysique, Hale County parvient à nous plonger au cœur d’une communauté sans jamais la réduire à un grand récit utilitaire. Si plusieurs protagonistes se distinguent, ils ne sont qu’un des éléments constituant la réalité sensible que le cinéaste nous transmet au moyen d’un montage audacieux qui s’apparente à l’écriture poétique.

Le palmarès complet:

 

Meilleur film : The Rider de Chloé Zhao

 

Meilleur acteur : Ethan Hawke pour First Reformed

 

Meilleure actrice : Toni Collette dans Hérédité

 

Meilleure révélation – acteur : Elsie Fisher dans Eighth Grade

 

Meilleure révélation – réalisateur : Bo Burnham pour Eighth Grade

 

Meilleure série longue : Killing Eve

 

Révélation série courte : 195 Lewis

 

Meilleur scénario : First Reformed de Paul Schrader

 

Meilleur documentaire : Hale County This Morning, This Evening, de RaMell Ross

 

Prix du Jury du meilleur casting : Rachel Weisz, Olivia Colman et Emma Stone dans La Favorite

 

Prix du public : Won't Be My Neighbor?, de Morgan Neville