Quels sont les meilleurs films de l’année 2022 ?
Numéro a sélectionné les meilleurs films de l’année 2022 du troublant Pacifiction avec Benoît Magimel à l’intense As Bestas avec Denis Ménochet et Marina Foïs en passant par les très réussis Les Enfants des autres et The Batman.
Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson
Licorice Pizza est moins un film sur la perversité et la misogynie – ce qu’on lui a d’ailleurs parfois reproché outre-Atlantique – que sur les années 70, le cinéma de l’époque et l’enfance de son réalisateur. Ici, Paul Thomas Anderson parle une langue universelle : la nostalgie. Mais pas celle qui fait chouiner. Plutôt celle qui fait regretter avec joie une époque que la plupart n’ont pas d’ailleurs pas vécu – pas même le réalisateur, qui n’était qu’un jeune enfant au moment de l’histoire. L’amour et le désir, pourtant jamais consumés (dans plusieurs scènes, Gary rêve de toucher les seins d’Alana sans pourtant jamais les effleurer), ne sont pas, dans Licorice Pizza, source de pleurnicherie. Et même si chaque personnage masculin croisé par le tandem tente de les séparer – de Joel Wachs, l’homme politique joué par Ben Safdie à William Holden, l’ex-acteur pervers qu’est Sean Penn —, on sait, parce que tout les sépare, parce que tous les deux ont des physionomies atypiques, parce qu’aux yeux des autres elle est plus attirante que lui, parce qu’ils ont dix ans d’écart et parce que c’est elle l’aînée, qu’ils finiront par s’aimer. Ça peut paraître mièvre comme ça – et parfois ça l’est –, mais la force de Paul Thomas Anderson, depuis Punch-Drunk-Love (2002), réside dans sa capacité à rendre grotesques des situations romantiques. Et vice versa.
Pacifiction : Tourment sur les Îles d’Albert Serra
D’une beauté incandescente, Pacifiction est pour l’instant le plus grand film de la compétition cannoise, travaillé lui aussi par l’idée que l’imaginaire colonial reste une source de grande violence. Benoît Magimel y joue un haut-commissaire de l’État français en Polynésie, affairé à conserver son statut et ses privilèges sur fond de manœuvres politiques liées à la reprise d’essais nucléaires. Mais c’est un peu comme pour João Pedro Rodrigues : résumer un film aussi ample en déroulant son scénario n’a que peu de sens. Le catalan Albert Serra, dont c’est le huitième long-métrage (on connait notamment de lui Histoire de ma mort, primé à Locarno en 2013) n’avait jamais atteint une telle justesse de ton et une précision aussi grande dans ses effets : il film l’errance mentale de quelques hommes comme perdus dans un paysage sublime, dont la grandeur cache en permanence un danger mortel. Lancinant, jamais ennuyeux malgré sa durée hors-normes, le film célèbre la nature tout en filmant sa fragilité, l’indifférence humaine absolue qui la détruit, les enfers contemporains de la politique réduite à la gestion des intérêts dont plus personne ne sait à quoi ils servent.
The Batman de Matt Reeves
Dans le blockbuster psychologique de près de trois heures The Batman, Robert Pattinson crève l’écran. Magnétique, romantique et profond, l’acteur fait de la chauve-souris un justicier qui tient plus de la rock star grunge, dans l’introspection, intranquille, criblée de doutes et déprimée que du super-héros. Inspiré par Kurt Cobain (on entend plusieurs fois les notes de Nirvana dans le film-fleuve), le garçon maquillé comme Robert Smith de The Cure fait aussi beaucoup penser au personnage central de The Crow, autre oiseau de malheur(s). Batman devient ainsi une sorte de vampire ou de fantôme qui questionne sur le bien ou le mal à la manière du Joker interprété avec une folie géniale par Joaquin Phoenix. Malgré ses bonnes intentions, il porte en lui une bonne dose d’idées noires et de pulsions autodestructrices qui le rendent bien plus attachant que les précédentes versions de Batman (jouées par Michael Keaton, Val Kilmer ou encore George Clooney). Se questionnant sur son système de valeurs ainsi que sur la moralité de sa famille, il donne un visage sublime à tous les révoltés du monde. Tout comme celle que le héros aime, Selina Kyle alias Catwoman (formidable Zoë Kravitz), vengeresse punk et féline qui donne aux concepts d’indépendance et de rébellion une beauté qui nous hante longtemps après le visionnage de la fresque crépusculaire envoûtante.
Le Lycéen de Christophe Honoré
Avec Le Lycéen, le cinéaste français Christophe Honoré replonge dans son passé en évoquant la mort de son père, alors qu’il n’était qu’un adolescent. Ici, le héros, Lucas (excellent Paul Kircher), 17 ans, fait face au décès de son père dans un accident de voiture. Il part alors une semaine à Paris, rejoindre son frère artiste (incarné par l’épatant Vincent Lacoste), et faire l’expérience d’un quotidien chaotique entre premier amour et tentative de repousser ses limites. Entre scène de sexe crues et confusion des sentiments, le réalisateur parvient à dresser un portait bouleversant du passage à l’âge à l’adulte, porté par une Juliette Binoche au sommet de son art, en mère bienveillante et profondément humaine.
As Bestas de Rodrigo Sorogoyen
Le drame rural As Bestas (disponible en DVD et en VOD) raconte le quotidien d’Antoine et d’Olga, un couple de Français installés dans un petit village agricole de Galice. À la tête d’une ferme et d’un projet de restauration de maisons abandonnées, le couple fait rapidement face à l’aigreur et à la colère des locaux qui vivent ici depuis toujours. S’en suit une dégringolade faite de conflits, de tensions, d’intimidations et de violence. Les acteurs hexagonaux Marina Foïs et Denis Ménochet impressionnent dans ce thriller écolo hispano-français poignant, angoissant, intelligent et dérangeant qui prend aux tripes et se termine très mal, continuant à hanter le spectateur longtemps après son visionnage.
Armaggedon Time de James Gray
Le cinéaste James Gray décrit son milieu familial – une mère attentive et surbookée, un père frustré et parfois violent, un grand-père aux idéaux très solides – avec un amour énorme, ce qui rend la trajectoire du film encore plus saisissante. Derrière les traumas communs issus de la seconde guerre mondiale puis de l’immigration, les peines du passé qu’il ne faut jamais oublier, le cinéaste montre à quel point ce climat familial peut produire et assumer de la brutalité presque malgré lui. Ce ne sont pas seulement les coups de ceinture du père dont on parle, mais aussi et surtout ce qu’on appelle aujourd’hui le privilège blanc. Armageddon Time en décortique les rouages avec une grande précision. Après un incident dans son collège public, Paul est transféré dans un établissement beaucoup plus huppé où un discours destiné aux élèves de cette “élite” est assuré par Maryanne Trump (jouée par Jessica Chastain, parfaite). Là-bas, il découvre les saillies racistes de ses nouveaux camarades et se rend compte bientôt que rien de mal ne pourra lui arriver, même s’il enfreint la loi, tandis que son ami Johnny vit de l’autre côté du miroir trompeur que l’Amérique tente de se renvoyer elle-même.
8. Les Banshees d’Inisherin de Martin McDonagh
C’est en Irlande, dans une chaumière de pierre au beau milieu des falaises et plaines verdoyantes de l’île d’Inisherin que vit le berger Pádraic. Comme chaque jour, il se rend au pub pour rejoindre son ami de longue date, le violoniste Colm. Seulement, cette fois-ci, celui-ci refuse de lui adresser la parole. Il en est certain, il ne souhaite plus être ami avec Pádraic. Le musicien décide alors de se couper un doigt dès lors que Pádraic, têtu comme une mule, tentera de l’approcher. C’est l’intrique tragique et loufoque du dernier drame philosophique du réalisateur et dramaturge britannique Martin McDonagh (3 Billboards, Les panneaux de la vengeance), qui se déroule en 1923, pendant la guerre d’Irlande et oppose deux conceptions de la vie. L’émouvant Pádraic – incarné avec une justesse par Colin Farrell, sacré meilleur acteur à la Mostra de Venise en septembre dernier – mène une existence simple et peu réfléchie, à l’opposé de celle de Colm (Brendan Gleeson), personnage profond et intellectuel qui s’interroge sur ce qu’il laissera à la postérité. C’est dans cet affrontement entre les deux personnages, un paysan et un artiste, que se joue tout le film, ponctué de paysages irlandais à couper le souffle et de références au folklore local. La solitude, la violence, la haine, la mort, l’amour, la fraternité ou encore l’art… Lent et contemplatif, ce chef-d’œuvre aborde avec subtilité les multiples facettes de l’existence. Martin McDonagh compose un film brillant, interrogeant la part d’humanité qui réside en chacun d’entre nous. On en ressort bouleversé.
Nope de Jordan Peele
Dans le sublime Nope (2022), le réalisateur américain Jordan Peele s’attaque au mythe de l’ »american dream ». Cette variation sur le besoin de célébrité sans limites entrelace plusieurs intrigues – une découverte surnaturelle dans une vallée californienne, l’ambition d’un enfant star traumatisé devenu directeur d’un parc à thème — pour former une critique de la société du divertissement et du capitalisme poussé à son paroxysme. Cet objet cinématographique non identifié entre suspense, horreur, science-fiction, farce, western, épopée et drame social convoque le sublime et le terrifiant, le merveilleux et le trivial. Le réalisateur y réhabilite la figure du cowboy noir, incarné par l’acteur américain Daniel Kaluuya, qui crevait déjà l’écran dans le premier long métrage du réalisateur, Get Out (2017), et qui donne la réplique à l’Américaine Keke Palmer. Dépeindre la vie quotidienne d’individus de la classe moyenne afro-américaine en y intégrant une dose de mystère : telle est la recette de Jordan Peele, qui dans sa filmographie (Get Out en 2017, Us en 2019), s’érige contre l’invisibilisation des Noirs du cinéma américain afin de “banaliser les visages noirs dans la pop culture”.
Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski
Peut-être parce que l’histoire du cinéma a été marquée (plombée?) par des décennies de male gaze, un constat amer s’impose. Très peu de films ont vraiment compris les femmes « en dehors des clous », dans toute leur complexité et leurs nuances. Les cinéastes peinent en effet à peindre de beaux portraits de femmes modernes, indépendantes, pas à leur place dans la société telle qu’elle l’est. Si elles n’ont pas d’enfants, ni de mari, ni de travail viable, ni de sexualité définie (ou de sexualité tout court) et arrivent à « un certain âge », la tâche se complexifie. Certaines réalisateurs et réalisatrices comme Claire Denis, Jane Campion, Agnès Varda, Amos Kollek ou John Cassavetes (avec Opening Night) ou Noah Baumbach (avec Frances Ha) ont réussi, heureusement, à s’approcher d’une certaine « vérité » concernant cette féminité libre et dense, loin des injonctions et souvent jugée comme « désaxée ». Mais on ne se souvient pas, avant de découvrir le nouveau film de Rebecca Zlotowski, Les Enfants des autres, sorti en salle le 21 septembre, d’avoir vu une vision aussi juste, subtile et sensible sur ce que c’est que d’être une femme de 40 ans, non mariée et sans enfant dans un monde encore très patriarcal et normé. De la même manière, qu’en littérature, Annie Ernaux, Nelly Arcan ou Virginie Despentes ont dessiné des personnages féminins autres que la femme fatale ou la bonne épouse, la cinéaste atteint ici un climax dans la représentation de la figure de la belle-mère.