28 mai 2023

Quel est le palmarès et notre bilan du Festival de Cannes 2023 ?

Après 11 jours de projections, de fêtes et de polémiques, le Festival de Cannes 2023 s’est achevé ce samedi 27 mai, accordant la Palme d’or à Justine Triet et à son Anatomie d’une chute. Retour sur une 76e édition touffue et passionnante ainsi que sur son palmarès.

Le palmarès complet de la 76e édition du Festival de Cannes :

 

Palme d’or : Anatomie d’une chute de Justine Triet. Sortie le 23 août.
Grand Prix : The Zone of Interest de Jonathan Glazer. Prochainement.
Prix de la mise en scène : La Passion de Dodin bouffant de Tran Anh Hung. Sortie le 8 novembre.
Prix d’interprétation masculine : Koji Yakusho dans Perfect Days de Wim Wenders. Sortie le 29 novembre.
Prix d’interprétation féminine : Merve Dizdar dans Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan. Sortie le 12 juillet.
Prix du scénario : Yuji Sakamoto pour Monster de Hirokazu Kore Eda. Prochainement.
Prix du Jury : Les feuilles mortes de Aki Kaurismäki. Sortie le 20 septembre.
Caméra d’or : L’Arbre aux papillons d’or de Pham Thien An. Sortie le 20 septembre.

Palme d’or du court métrage : 27 de Flóra Anna Buda

Mention spéciale : FÁR de Gunnur Martinsdóttir Schlüter

 

Nos films préférés du Festival de Cannes 2023 :


L’été dernier de Catherine Breillat. Sortie le 20 septembre.
Fermer les yeux de Victor Erice. Prochainement.
Le Règne animal de Thomas Cailley. Sortie le 4 octobre.
May December de Todd Haynes. Prochainement.
Killers of The Flower Moon de Martin Scorsese. Sortie le 18 octobre.
Indiana Jones et le Cadran de la destinée de James Mangold. Sortie le 28 juin.
Asteroid City de Wes Anderson. Sortie le 21 juin.
L’Arbre aux papillons d’or de Pham Thien An. Sortie le 20 septembre.

Justine Triet et sa Palme d’Or Award pour Anatomie d’une chute, lors du 76e Festival de Cannes, le 27 mai 2023, au Palais des festivals, à Cannes. Photo par Lionel Hahn/Getty Images

Dans un Festival de Cannes touffu et passionnant, la réalisatrice Justine Triet a dominé une sélection où la place des femmes et le rôle du cinéma dans un monde violent étaient mis en avant. La victoire d’Anatomie d’une chute de Justine Triet a offert la Palme d’or à un deuxième film français en trois ans – Titane de Julia Ducournau l’avait emportée en 2021 – et à la troisième réalisatrice de l’histoire au total en… 76 éditions. Un choix du jury présidé par le suédois Ruben Östlund qui n’a rien d’un rattrapage opportuniste, mais tout d’une évidence. Le Grand Prix donné à Jonathan Glazer pour The Zone of Interest, qui raconte la vie familiale bourgeoise du chef d’Auschwitz, pouvait donner des regrets à son réalisateur, sans toutefois créer le moindre scandale.

 

Festival de Cannes 2023 : Anatomie d’une chute de Justine Triet offre une nouvelle palme d’or à la France

 

D’une virtuosité imparable, porté par une comédienne en état de grâce (l’allemande Sandra Hüller, également présente dans The Zone of Interest), le quatrième long-métrage de Justine Triet après La bataille de Solférino (2013), Victoria (2016) et Sybil (2019) raconte la déliquescence d’un couple d’écrivains. L’homme meurt en chutant d’un balcon dans un chalet isolé, sa femme est accusée, tandis que leur fils, malvoyant, pourrait détenir la clef. S’engage alors un formidable mélange entre le drame intime parfois digne de John Cassavetes et le film de procès, deux genres que Triet mêle pour en tirer la substance, enclenchant une réflexion sur la puissance des récits et la difficulté à établir une vérité.

 

Si Anatomie d’une chute a tant plu – ce film so french a été adoubé par la critique internationale -, c’est sans doute pour sa capacité à atteindre la nudité de ses personnages avec une simplicité ravageuse. Dans le cinéma de Justine Triet, les plaies sont toujours à vif, et la caméra surgit pour les triturer encore, en relever les béances.

 

La diatribe contre le gouvernement de Justine Triet

 

Le film s’inscrit dans les réflexions contemporaines sur la place des femmes dans la société, avec une subtilité qui force l’admiration. L’héroïne, Sandra, est celle qui réussit dans le couple qu’elle forme avec Samuel. Lui se retrouve dépassé par le talent et la pugnacité de sa femme, sa manière d’affirmer son désir, et ne parvient plus à écrire de roman. Une manière très fine de mettre en scène ce que le monde fait de la réussite de certaines femmes : une anomalie, presque une violence dont il faudrait établir le procès. Sur scène, Justine Triet n’a pas non plus voulu tenir le rôle de celle qui se contente de remercier béatement, entamant une diatribe contre le gouvernement français et sa réforme des retraites, défendant dans le même élan la liberté des artistes : « La marchandisation de la culture (…) est en train de casser l’exception culturelle française. Cette même exception culturelle sans laquelle je ne serais pas là devant vous. »

Des héroïnes complexes, jouées par Natalie Portman et Léa Drucker

 

La singularité des femmes et parfois leur violence, tout cela traversait le Festival de Cannes 2023, avec des personnages bien loin du cliché des victimes. On pense aux héroïnes de May December, le beau film de Todd Haynes, où Natalie Portman joue une actrice venue s’immiscer dans la vie de celle qu’elle va incarner, interprétée par Julianne Moore. Cette dernière est en couple avec un homme beaucoup plus jeune. Le film, à la fois mélodramatique et ironique, dévoile qu’elle l’a rencontré alors qu’il n’était qu’en classe de cinquième. Le trauma finira par resurgir. Les deux femmes se frôlent, se regardent en miroir, scrutent leur abimes intérieurs, créant un spectacle fascinant.

 

On a aussi croisé une autre héroïne complexe et inoubliable, celle de L’Eté dernier de Catherine Breillat, notre film préféré de la compétition, malheureusement reparti sans prix. La réalisatrice de Romance y raconte la rencontre fulgurante entre une quadragénaire mariée (Léa Drucker, géniale) et son beau-fils encore mineur (Samuel Kircher, véritable révélation) revenu habiter chez son père. Ce film retors et fluide est animé d’une flamme sans limites. Il met en scène la force du désir quand il transgresse toutes les règles. Breillat, victime d’un AVC qui la handicape, fait ici son retour à l’âge de 74 ans. Et quel retour. L’Eté dernier n’a rien d’une entreprise d’absolution de son personnage central, la conscience d’une faute et de plusieurs mensonges étant clairement affirmée. Mais ce qui intéresse la réalisatrice, c’est d’aller encore au-delà, dans une zone où les peaux ne peuvent plus se détacher, où littéralement, plus personne ne veut voir ou entendre ce qui se passe.

 

Le cinéma en miroir

 

Le palmarès a pris en compte une autre tendance de ce Festival de Cannes 2023 : la place donnée aux réalisateurs qui entament la dernière partie de leur carrière – on a vu sur la Croisette, parfois hors compétition, Martin Scorsese (80 ans), Victor Erice (82 ans) ou encore Marco Bellochio (83 ans). Koji Yakusho, l’acteur de Perfect Days, de Wim Wenders, a obtenu le prix du meilleur de la meilleure interprétation masculine, offrant à l’auteur de Paris, Texas une nouvelle reconnaissance à 77 ans, grâce à son plus beau film depuis les années 1980. Aki Kaurismaki, presque un jeunot avec ses 66 printemps, a empoché un Prix du Jury mérité avec Les Feuilles mortes, l’histoire d’un amour prolétaire dans une société – spoiler : la nôtre – gangrénée par la guerre et la violence économique.

 

Au-delà de son sujet, le finlandais a tenu de façon consciente la place que de grands réalisateurs s’octroient aujourd’hui : celle des gardiens du temple du cinéma, cet art qui n’en finit plus d’être mis en danger – ce que rappelait d’ailleurs à sa manière Justine Triet sur la scène du Grand Théâtre Lumière. Dans Les Feuilles mortes, les héros passent du temps dans une salle obscure, le spectre de Chaplin rôde, l’idée que le cinéma enchante et change la vie simultanément reste très forte. On a aussi vu, durant le Festival, plusieurs descriptions de tournages bordéliques mais salutaires. Dans Le Livre des solutions, Michel Gondry se dévoile (via un personnage joué par Pierre Niney) en réalisateur au bord du précipice, tandis que chez Nanni Moretti, tout tourne autour du cinéma comme épreuve et comme libération. Le personnage central – qu’il joue lui-même – est un réalisateur tentant, presque contre son époque, de tourner un film politique sur l’histoire du Parti Communiste. On y croise un producteur poète mais véreux joué par Mathieu Amalric, des cadres de Netflix demandant quel sera « l’arc narratif » de son héros – moment très drôle – et l’intrusion de Moretti sur le tournage d’un jeune réalisateur qui utilise la violence sans réfléchir.

Dans Fermer les yeux de Victor Erice, cinéaste espagnol mythique pour son premier long-métrage L’Esprit de la ruche (1973), toute la structure narrative du film embrasse l’idée du cinéma comme le lieu où la mémoire se déploie, où les êtres s’apaisent et communiquent entre eux. L’histoire est celle d’un réalisateur qui part à la recherche de son acteur, disparu en plein tournage des décennies auparavant. Il n’est pas question de rejouer de façon nostalgique les vieux refrains du passé, mais de mettre en scène le cinéma comme un art éternellement vivant, un secret qu’il faudrait toujours s’employer à révéler.

 

L’Arbre aux papillons d’or et Le Règne animal : quel monde vivable ?

 

Et les jeunes, alors ? Deux films ont prouvé que la conscience du cinéma comme terreau de création et d’invention reste vive. Le français Thomas Cailley, revenu après Les Combattants (2014, César du Meilleur premier film), a impressionné avec Le Règne animal avec Adèle Exarchopoulos, imaginant un monde où certains êtres humains se transforment en animaux. Qui sont les bêtes ? Comment accepter l’altérité dans ce qu’elle a de plus déstabilisant ? Ces questions actuelles traversent le film, d’une maitrise et d’une originalité renversantes, où Romain Duris et le jeune Paul Kircher font des merveilles. On a aimé, enfin, le premier film vietnamien L’Arbre aux papillons d’or de Pham Thien An, qui à 34 ans suit la quête d’un jeune homme affublé d’un petit garçon pour retrouver son frère. Passant de la ville à la campagne, ce long-métrage doux et vaporeux propose une expérience immersive avec de longs plans où le spectateur a le loisir de fureter, de s’ennuyer un peu, de s’accrocher à un détail, de tester sa foi dans le septième art. Le film a remporté la Caméra d’Or. Créer un monde où il est possible d’habiter, telle sera toujours la fonction du cinéma et du Festival de Cannes.