9 mar 2022

Que vaut la dernière pièce de Christophe Honoré avec Chiara Mastroianni ?

Présentée à l’Odéon jusqu’au 3 avril, la nouvelle pièce de Christophe Honoré, Le Ciel de Nantes, met en scène sa propre famille réunie au paradis pour les besoins d’un film que le jeune cinéaste souhaite tourner.

On l’a compris : Christophe Honoré aime mettre en scène les relations fantasmées et chimériques. Des passions qui appartiennent au domaine du rêve mais ne sont (presque) jamais tristes. Elles se nourrissent d’une nostalgie sans pathos et nous rappellent une chose : aimer c’est aussi se souvenir. La preuve avec Chambre 212 (2019), où l’ancien critique des Cahiers du cinéma imaginait une nuit à l’hôtel où une femme, incarnée par Chiara Mastroianni, retrouvait la version jeune de son mari actuel ainsi que plusieurs fantômes. Également avec Les Idoles, pièce magistrale jouée à l’Odéon en 2019, où le réalisateur des Chansons d’amour (2007) faisait se rencontrer sur scène ses icônes toutes mortes du sida, comme si elles conversaient au paradis. On se réjouissait ainsi d’une danse endiablée d’un Jacques Demy devenu femme (Marlène Saldana) et d’un monologue poignant d’Hervé Guibert, interprété par une Marina Foïs sidérante – et d’ailleurs récompensée du Molière de la comédienne cette année-là.

 

Cette fois, le cinéaste né dans le Finistère met en scène, dans Le Ciel de Nantes, sa propre famille. La plupart sont morts : sa mère, ses grands-parents, ses oncles et tantes. Certains tragiquement, dont sa tatie “préférée”, suicidée très jeune après plusieurs tentatives dont une qui l’avait laissée pendant dix ans sur une chaise roulante. À nouveau sur la scène de l’Odéon, et ce jusqu’au 3 avril, Christophe Honoré se livre plus que jamais. Pas en parlant de ce qu’il aime – dont Demy, Guibert, Foucault et Jean-Luc Lagarce – mais de ceux qu’il a chéri. Il a recruté, pour ça, des comédiens avec qui il a l’habitude de travailler : Chiara Mastroianni, qui fait pour l’occasion des premiers pas très convaincants sur les planches dans le rôle de sa tante bien-aimée et nous fait cadeau, en prime, d’un monologue en italien, Marlène Saldana, Harrison Arévalo, qui était Cyril Collard dans Les Idoles et son propre frère, qui jouait déjà pour lui dans La belle personne, en 2008.

 

Offrant à ses acteurs des monologues mémorables – et c’est d’ailleurs l’intérêt majeur de la pièce – dont un à Stéphane Roger, qui incarne l’oncle du jeune Honoré, terrassé par la toxicomanie de son fils, Le ciel de Nantes dépeint en deux heures les malheurs extraordinaires d’une famille ordinaire. À travers la volonté d’un cinéaste en devenir qui dialogue avec ses proches défunts afin de réaliser un film sur leur vie, le metteur en scène signe sa propre psychanalyse, revenant sans filtre sur les traumatismes vécus par son oncle durant la guerre d’Algérie, la frustration de sa grand-mère mariée de force à son grand-père et les regrets de sa tante tombée enceinte trop tôt. Et si la pièce souffre parfois de ses longueurs, elle est sauvée par ses nombreuses éclaircies : une bande-son eighties aussi pointue que popu – du Velvet Underground, caution “intello” du cinéaste à Sheila –, des blagues efficaces, des guest star – dont Ludivine Sagnier et Anaïs Demoustier –, des clins d’œil du metteur en scène à ses propres obsessions – avec une reprise presque a capella d’Alex Beaupain, qui a composé la musique de plusieurs films d’Honoré – et des comédiens renversants. 

 

Le Ciel de Nantes (2022), une pièce mise en scène par Christophe Honoré, avec Chiara Mastroianni et Marlène Saladana, jusqu’au 3 avril à l’Odéon puis en tournée.