Comment Adèle Haenel est devenue l’une des voix les plus précieuses du mouvement #MeToo
Actrice prodigieuse, épatante dans le sublime Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, Adèle Haenel a déserté les plateaux de tournage, au profit du militantisme, depuis son départ lors de la cérémonie des César 2020. Et ses prises de position politiques ne laissent pas de glace, provoquant notamment l’ire de l’extrême droite. Retour sur le parcours fulgurant d’une personnalité en feu.
par Violaine Schütz.
Le départ fracassant d’Adèle Haenel lors des César 2020
Personne n’a oublié cette cérémonie des César du 28 février 2020. Lorsque le César de la meilleure réalisation est attribuée au cinéaste franco-polonais Roman Polanski (absent ce soir-là), l’actrice française Adèle Haenel quitte la salle en s’exclamant, très en colère : « C’est une honte ! La honte !« . Il s’agissait là, pour celle qui avait dénoncé, dans Mediapart, les attouchements que lui aurait fait subir le réalisateur de son premier film (Christophe Ruggia, contre lequel un procès s’est tenu le 9 et 10 décembre 2024), de protester contre une récompense attribuée à un homme accusé plusieurs fois de violences sexuelles.
Quelques jours après l’évènement, Virginie Despentes célébrait l’audace d’Adèle Haenel dans un texte puissant, intitulé Désormais on se lève et on se barre, publié par Libération. L’héroïne des sublimes Naissance des pieuvres (2007) et Portrait de la jeune fille en feu (2019) de Céline Sciamma devient ainsi une icône féministe qui symbolise à elle seule la lutte contre le sexisme dans l’ère post #MeToo.
La carrière repensée de l’actrice depuis son coup de gueule et d’éclat aux César
Sauf qu’après ce coup d’éclat lors de la grand-messe du cinéma français, la carrière d’Adèle Haenel, âgée de 35 ans, ne sera plus la même. Jusqu’ici, la comédienne césarisée qui brillait dans Les Combattants (2014), 120 Battements par minute, L’Apollonide : Souvenirs de la maison close (2011) de Bertrand Bonello, Le Daim (2019) de Quentin Dupieux ou encore En liberté ! (2018) était une figure majeure du cinéma d’auteur. Son jeu instinctif, son intensité et son charisme phénoménal lui avaient même valu des comparaisons avec Isabelle Adjani et Gérard Depardieu et les louanges de la profession. Mais après les César 2020, l’actrice va raréfier sa présence sur les écrans.
En mai 2022, dans le média italien Il Manifesto, elle verbalise ce changement en annonçant vouloir mettre un terme à sa carrière d’actrice dans des films « classiques », préférant se consacrer au théâtre, aux projets signés Céline Sciamma ou réalisés par des débutants éloignés d’une industrie qui est, selon elle, “un système oppressif où le sexisme continue de s’exercer.” “Ceux au pouvoir continuent à nous oppresser, déclare-t-elle. On récompense toujours les violeurs et ils veulent que je me taise ? Cela n’arrivera jamais.”
Une lettre radicale et puissante publiée dans Télérama
Des propos confirmés, le 9 mai 2023, par l’actrice dans une lettre radicale et puissante publiée par Télérama. L’artiste y explique, sans ambages : “J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est.”
Plus loin on peut lire : “Face au monopole de la parole et des finances de la bourgeoisie, je n’ai pas d’autres armes que mon corps et mon intégrité. De la cancel culture au sens premier : vous avez l’argent, la force et toute la gloire, vous vous en gargarisez, mais vous ne m’aurez pas comme spectatrice. Je vous annule de mon monde. Je pars, je me mets en grève, je rejoins mes camarades pour qui la recherche du sens et de la dignité prime sur celle de l’argent et du pouvoir.”
Depuis, Adèle Haenel a prêté sa voix au documentaire Retour à Reims (2022), primé aux César 2023, lu des extraits d’une pièce de théâtre de Monique Wittig à la Maison de la poésie de Paris, et a défendu, sur la scène du Centre dramatique national (CDN) de Besançon, le spectacle L’Étang mis en scène par Gisèle Vienne.
En décembre 2023, c’est dans une autre pièce de cette dernière, Extra Life, qu’elle s’illustrait sur la scène de la MC93 de Bobigny. Bref, l’actrice mène une carrière atypique loin des plateaux de cinéma mainstream et du circuit médiatique, préférant apparaître sur des piquets de grève, comme celui de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher en Normandie, en mars 2023.
Un virage de plus en plus militant qui agace l’extrême droite
On savait qu’Adèle Haenel était une actrice engagée, connue pour sa présence dans des manifestations ou d’évènements tels que le mouvement Nuit debout, situé place de la République à Paris, en 2016. Elle s’est déjà exprimée ou positionnée, à côté de ses partis pris féministes, sur les réfugiés, sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, sur les violences policières et sur l’écologie. Mais le militantisme semble, depuis l’an dernier, occuper une plus grande place dans la vie de celle qui se déclare désormais anticapitaliste. Invitée le 20 février 2023 par le collectif féministe et communiste Du Pain et Des Roses (lié à l’organisation politique trotskiste Révolution Permanente), lors d’un meeting prenant place à l’université Paris 8, Adèle Haenel a donné son avis sur la réforme des retraites.
Elle a déclaré notamment : “Le gouvernement ne nous entendra que si nous les forçons. Et pour ça, il faut bloquer l’économie, et forcer à la grève générale et reconductible, après le 7 et 8 mars prochain.” La comédienne a aussi affirmé : « Vous pouvez mettre la misère aux capitalistes et aux bourgeois et faire le portrait de la jeunesse en feu. » Autre moment remarqué de son discours ? Adèle Haenel a précisé que le fait que le gouvernement “soit composé de violeurs” était mauvais signe. Suite à cette prise de parole, une vague d’insultes a fusé sur les réseaux sociaux, provenant en grande partie de l’extrême droite. L’actrice, qui apparaissait les cheveux courts et sans maquillage lors du meeting filmé (et disponible sur YouTube), a même été attaquée sur son apparence.
Adèle Haenel soutenue par Noémie Merlant et Camille Cottin
Face à un tel déferlement de haine et de sexisme, près de 200 personnalités, dont l’écrivaine Annie Ernaux, les actrices Camille Cottin et Noémie Merlant, les réalisatrices Céline Sciamma et Alice Diop, la femme politique Sandrine Rousseau, la chorégraphe Gisèle Vienne, l’artiste Jean-Luc Verna et la militante antiraciste Assa Traoré ont fait part de leur solidarité avec la comédienne dans une tribune publiée le 3 mars 2023 dans Le JDD.
On peut y lire ces mots : “La violence des propos contre la comédienne reflète aussi la crainte que suscite, dans le monde des puissants, le fait qu’une artiste reconnue internationalement, ayant reçue plusieurs César dont celui de meilleure actrice, puisse choisir un autre camp.” Une chose est sûre, même quand elle ne brûle pas les planches et qu’elle n’enflamme pas la pellicule, Adèle Haenel reste une jeune femme en feu qui déchaîne les passions. Pour mieux éveiller les consciences.
Le procès de Christophe Ruggia
Et les combats de la comédienne, qui fait partie de l’une des grandes voix françaises du mouvement #MeToo avec Judith Godrèche, ne sont pas près de s’arrêter… Le 9 décembre 2024, a débuté le procès du réalisateur Christophe Ruggia, accusé par l’actrice d’agressions sexuelles alors qu’elle avait entre 12 et 14 ans. Le parquet de Paris a requis cinq ans de prison (dont trois ans avec sursis), ce mardi 10 décembre 2024, contre celui qui l’avait dirigée dans le film Les Diables.
Durant le procès, l’actrice a explosé de colère et quitté l’audience en criant “mais ferme ta gueule” quand l’accusé a prétendu avoir tenté de la protéger lors de ses débuts, encore enfant, dans le cinéma. Depuis longtemps, Adèle Haenel parle ouvertement de ce qu’elle a subi dans cette industrie. Il serait enfin temps que les gens l’écoutent et qu’une véritable prise de conscience ait lieu. Dans le cinéma, comme ailleurs.