Quand les artistes se racontent en bande dessinée
Si la bande dessinée a longtemps été considérée comme un art mineur, elle semble depuis ces dernières décennies susciter un intérêt croissant et gagner la légitimité qu’elle mérite. Rebaptisée le neuvième art, elle incite aujourd’hui de nombreux auteurs, dessinateurs et scénaristes à consacrer leurs albums à des figures célèbres de l’histoire de l’art. De Gustave Courbet à Yayoi Kusama en passant par Niki de Saint Phalle, découvrez la vie des plus grands artistes à travers trois maisons d’édition.
Par Honorine Boudzoumou.
Unir les beaux-arts et la bande dessinée, voilà le défi que plusieurs maisons d’éditions se sont lancées depuis plusieurs années. Car si la seconde fut longtemps considérée comme le parent pauvre de la création artistique, elle bénéficie désormais d’une véritable reconnaissance des institutions muséales et du marché de l’art, domaine dans lequel elle bat des records de ventes. Pour preuve, le 27 juin dernier, une planche intitulée La Pirogue, réalisée par l’artiste belge Franquin, où l’on aperçoit Spirou et Fantasio en compagnie du Marsupilami a été vendue à plus de 330 000 d’euros par la maison Artcurial, un record mondial pour l’œuvre de Franquin. Un mois après, le Musée Picasso inaugurait une exposition consacrée à la relation entretenue par l’artiste espagnol avec la bande-dessinée, encore visible jusqu’au 3 janvier prochain. Aujourd’hui, la légitimité croissante du neuvième art encourage une grande variété de propositions, et la bande-dessinée biographique en fait partie : depuis des années, nombreux dessinateurs et scénaristes de ce domaine se penchent sur l’histoire de l’art, multipliant les albums et romans graphiques consacrés aux artistes qui les ont marqué. Il y a seulement quelques semaines, les maisons d’éditions à succès française et britannique, Chêne et Laurence King Publishing, ont ajoutés leurs pierres à cet édifice en publiant un roman graphique consacré à l’artiste Yayoi Kusama. Intitulé Kusama, Obsessions, Amours et Art (Kusama, The Graphic Novel), ce livre illustré par Eisa Macellari retrace en 128 pages la vie et la carrière passionnante de la peintre et sculptrice japonaise. L’occasion de revenir sur trois maisons d’édition qui, de la France à la Belgique, ont su à leur tour par la bande-dessinée donner à de nombreuses figures artistiques historiques leurs lettres de noblesse.
De Kiki de Montparnasse à Niki de Saint Phalle, les femmes prennent le pouvoir aux éditions Casterman
La bande dessinée historique n’est pas un domaine inconnu des éditions Casterman. Longtemps cependant, ses sujets de prédilection se portaient principalement sur des hommes illustres. Depuis quelques années le duo de dessinatrice et scénariste Catel & Bocquet s’est donc attelé à raconter la vie de grandes figures féminines du monde de l’art et de la culture. Joséphine Baker, Olympe de Gouges, Kiki de Montparnasse… toutes ont vu leur vie et leur personne incarnées dans des romans graphiques de plus de 300 pages. En 2014, à l’occasion d’une grande rétrospective de l’œuvre de Niki de Saint Phalle au Grand Palais, la dessinatrice Sandrine Martin signe son premier album chez Casterman consacré à la vie de l’artiste franco-américaine. Divisé en vingt-deux chapitres prenant la forme des arcanes majeurs du tarot divinatoire, pour lequel la célèbre plasticienne s’était prise de passion, cet ouvrage évoque chaque aspect de sa vie tourmentée et extravagante : son enfance volée, sa gloire, ses projets ou encore son processus créatif, le tout ponctué de citations de Niki de Saint-Phalle. Afin de faire écho à l’esthétique colorée parfois enfantine et à l’échelle de ses œuvres, le dessin est parfois rehaussé de touches de couleurs vives et déborde régulièrement des cadres.
Toulouse-Lautrec et Courbet, quand Glénât s’intéresse aux grands peintres
Henri de Toulouse-Lautrec, Jan van Eyck, Jacques-Louis David, Gustave Courbet ou encore Tamara de Lempicka : tous ces grands peintres ont un point commun, celui d’avoir été ressuscités dans le monde de la bande dessinée. Chez Glénât cependant, on ne raconte pas la vie d’un artiste, on la réinterprète en se focalisant sur un moment particulier de son vécu. Ainsi, pendant que Gustave Courbet doit retrouver le modèle de L’Origine du Monde afin d’empêcher l’assassinat de plusieurs femmes dans le Paris du Baron Haussmann, Henri de Toulouse-Lautrec se voit mêlé à une affaire d’enlèvement de filles de bonnes familles à Montmartre qui mèneront à la création des panneaux pour la baraque de La Goulue. Avec sa série Les Grands Peintres, la maison d’édition française met en scène ces maîtres d’exception dans des dessins au graphisme et aux couleurs correspondant à leur œuvre, leur personnalité ou encore leur époque. L’album consacré à Henri de Toulouse-Lautrec brille à titre d’exemple par son originalité loufoque : dialogues cinglants et drôles accompagnent un trait las, satirique et expressif, inspiré par les pastels du peintre albigeois. Des figures majeures de son époque et de son milieu tels qu’Oscar Wilde ou La Goulue y sont également représentés de façon à ce que quelques traits de crayons suffisent pour les reconnaître.
De Monet à Gauguin, l’impressionnisme vu de Belgique chez Le Lombard
Si Glénât et Casterman explorent principalement le versant positif de la vie des artistes, la maison d’édition belge Le Lombard, quant à elle, se concentre sur ses zones d’ombres. En choisissant de raconter les débuts de carrière difficiles ainsi que la fin de vie des peintres Paul Gauguin et Claude Monet, les créateurs des bande dessinées Monet, nomade de la lumière et Gauguin, loin de la route ont mis en lumière les nombreux obstacles qui jalonnent la vie d’un artiste. Plus qu’une simple présentation, ces ouvrages proposent donc une véritable plongée au cœur de ces personnalités complexes. Afin que le lecteur puisse se créer son propre avis sur l’homme et l’artiste, les images très bavardes se chargent régulièrement de la narration, au point d’évincer le texte traditionnellement inscrit dans les phylactères. Dans Gauguin, loin de la route, l’utilisation d’un trait épais et rugueux crée un dessin chargé parfois presque étouffant, retranscrivant avec efficacité la densité des œuvres d’un artiste provocateur autant que celle de son existence torturée.