20 nov 2023

On était à la master class du réalisateur Paolo Sorrentino au Louvre

Dans le cadre du festival Naples dans le regard des cinéastes, qui se tient au Louvre jusqu’au 26 novembre 2023, le réalisateur italien oscarisé Paolo Sorrentino (La grande bellezza, La Main de Dieu), était présent à Paris pour présenter sa sélection de films, lors d’un grand entretien avec l’écrivain et essayiste Antonio Monda.

Les adorateurs du cinéma de Paolo Sorrentino ignoraient peut-être, jusqu’à son récent film La Main de Dieu, dévoilé sur Netflix en 2021, que le réalisateur était originaire de Naples –  le cinéaste vient d’ailleurs de terminer le tournage de son prochain film, intitulé pour l’instant L’Apparato Umano [l’appareil humain], dans la capitale de la Campanie. Cette ignorance est tout à fait excusable, tant sa filmographie s’attache à dresser des satires mordantes de la vie mondaine romaine, et de ses personnages de pouvoir. La Grande Bellezza, récompensé en 2014 de l’Oscar du meilleur film étranger, semblait ainsi prendre la relève du chef-d’œuvre de Fellini, La Dolce Vita, en épinglant l’atmosphère burlesque, étourdissante et bouillonnante de la capitale italienne, à la fois scène de théâtre et bûcher des vanités. 

 

La master class du réalisateur Paolo Sorrentino au Louvre, sur le cinéma et Naples

 

Silvio et les Autres dressait un portrait mi-acide, mi-attendri, de l’inénarrable Silvio Berlusconi qui a établi à lui seul un nouveau paradigme constitué de politique-spectacle, étalage de richesses, confusion des rôles et des pouvoirs, et objectification décomplexée des corps féminins par l’Homme viriliste revêtant ses plus beaux habits de chasseur. Il Divo s’attachait quant à lui à démonter – s’il était besoin – la figure de Giulio Andreotti, personnage plus que trouble qui fut sept fois président du Conseil italien [équivalent de notre premier ministre], sénateur à vie, mêlé dans plusieurs affaires impliquant la mafia, le Vatican, et l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades Rouges. 

“J’aime être étranger à ce que je filme, cela me permet de m’éloigner du réalisme, c’est-à-dire d’être réaliste, et de ne pas l’être” Paolo Sorrentino. 

 

 

Pourtant, avant même La Main de Dieu, des indices trahissaient la “napolétanité” de Paolo Sorrentino : “Les Napolitains sont dotés d’une grande ironie, ce qui permet de construire des situations dramatiques particulièrement intéressantes”, expliquait par exemple le réalisateur à son intervieweur. Et aussi : “Il y a toujours eu une forte tradition à Naples du théâtre et de la musique.” Plus qu’une ville, Naples est un monde en soi, constitué de strates et d’influences historiques diverses nées de plusieurs vagues de domination étrangère depuis l’Antiquité (gréco-romaine, byzantine, normande, française, espagnole…), et doté de sa propre langue, le napolitain. La richesse de son théâtre, souvent écrit et joué en napolitain, et de sa musique, ont presque naturellement ensemencé la riche production cinématographique parthénopéenne. 

 

On retrouve chez Paolo Sorrentino ce mélange de verve et ironie mordantes (qui marque notamment l’éloquence et l’art de la réplique propres aux Napolitains), et de musicalité et sens de la mise en scène. Lorsqu’Antonio Monda projette une séquence d’Il Divo qui montre Andreotti marchant à l’aube dans une rue de Rome, Paolo Sorrentino commente ainsi : “Il ne marche pas, il danse. Car Andreotti ne savait pas danser. Marcher était sa façon de danser. Ce qui me fascine chez lui, c’est sa présence au monde.” Enfin, le réalisme magique, un trait napolitain qu’on retrouve dans La Main de dieu notamment dans le personnage folklorique du Monaciello (un petit nain habillé en moine, facétieux et joueur), se glisse aussi dans le regard du cinéaste : “J’aime être étranger à ce que je filme, cela me permet de m’éloigner du réalisme, c’est-à-dire d’être réaliste, et de ne pas l’être.”

Paolo Sorrentino, invité prestigieux du festival Naples dans le regard des cinéastes au Louvre

 

 

Pour le festival Naples dans le regard des cinéastes, qui accompagne l’exposition d’œuvres du musée Capodimonte au Louvre, Paolo Sorrentino a choisi de présenter cinq films : le classique absolu L’Or de Naples, de Vittoria de Sica, Vito e gli altri d’Antonio Capuano (mentor de Sorrentino, avec qui il a collaboré en tant que scénariste). Également Mort d’un mathématicien napolitain, de Mario Martone – qui viendra lui-même présenter plusieurs films dans le cadre du très beau festival du Louvre. “C’est un chef-d’œuvre, commente Paolo Sorrentino, et Mario Martone a montré aux Napolitains de ma génération que nous pouvions faire du cinéma, et le faire de façon exigeante.”

 

Ainsi que Main basse sur la ville [Le Mani sulla città] de Francesco Rosi, qui dénonce la corruption de l’Italie dans les années 60, et Ricomincio da tre de Massimo Troisi, “un grand connaisseur de l’être humain, et grand metteur en scène des nuances de l’âme.” Ces films rares et/ou incontournables permettront à la fois de mieux connaître Naples, son cinéma, et pour les fans de Paolo Sorrentino, de s’approcher un peu de leur idole qui terminait ce grand entretien d’une heure avec une attitude on ne peut plus napolitaine. “Que répondez-vous à ceux qui disent que Lionel Messi est le plus grand footballeur de tous les temps ?”  lui demandait Antonio Monda. “Je ne réponds pas aux provocations”, conclut le cinéaste nécessairement fidèle à la mémoire de Diego Maradona, qui fait figure de véritable saint pour les Parthénopéens.  

 

Naples dans le regard des cinéastes, jusqu’au 26 novembre 2023 au Louvre. L’Apparato Umano de Paolo Sorrentino n’a pour l’instant aucune date de sortie.