11 juin 2025

Polémique : pourquoi Timbaland se met tous les musiciens à dos ?

Le célèbre producteur derrière les hits de Justin Timberlake et Missy Elliott fait polémique avec le lancement de son label musical basé sur l’intelligence artificielle. Intitulé Stage Zero, le projet de Timbaland divise la communauté artistique et soulève de vives critiques. Pourquoi les musiciens s’insurgent-ils contre ce virage technologique ?

  • par Alexis Thibault.

  • Timbaland, un producteur légendaire du hip-hop et du R’n’B

    Figure tutélaire du R’n’B et du hip‑hop depuis les années 1990, Timothy “Timbaland” Mosley a forgé sa légende grâce à une production innovante. Sa signature rythmique, le stuttering kickdrums template, marquée par des coups de grosse caisse hachés et syncopés, apparaîtra dans ses collaborations iconiques avec Aaliyah, Missy Elliott, Jay‑Z, Madonna ou encore Beyoncé… Résultats des courses : quatre Grammy Awards sur vingt-et-une nominations et un leadership artistique sans appel.

    Qu’il s’agisse de transformer le Cry Me a River (2002) de Justin Timberlake en hymne planétaire ou d’insuffler une modernité percussive à la pop, Timbaland s’est forgé une légitimité artistique rare. Après les labels Mosley Music Group (2006) et Beat Club (2001) ou ses travaux pionniers auprès des artistes émergents, son aspiration à réinventer le système musical ne surprend donc pas… Mais voilà que son nouveau projet fait débat.

    Cry Me A River (2002) de Justin Timberlake.

    Stage Zero, le label célébrant l’IA très controversé de Timbaland

    Le 5 juin 2025, Timbaland annonce le lancement de Stage Zero, un label entièrement dédié à la musique générée par intelligence artificielle . À ses côtés Rocky Mudaliar (un influenceur tech) et Zayd Portillo (expert en IA musicale). Le fruit de cette collaboration ? Une certaine TaTa, artiste autonome et résultat impressionnant d’une combinaison d’algorithmes et de Suno, la plateforme d’IA musicale que Timbaland utilise depuis 2024.  En officialisant sa vision de ce qu’il nomme l’A‑Pop, le producteur américain affirme avoir franchi un véritable cap : “Je ne produis plus seulement des morceaux mais des systèmes, des histoires et des stars… à partir de zéro.

    Mais la naissance de Stage Zero déclenche inévitablement une tempête. Sur la Toile, le Dj Shy FX s’insurge : “Ceci n’est pas de la disruption, c’est une simple opération mercantile.” Plus incisif encore, le journaliste Rob Markman dénonce le procédé du millionnaire : “C’est une gifle en plein visage de tous les musiciens, artistes et créateurs. Comprenez-vous le refus qu’on vous manifeste ? Au lieu de vous justifier avec respect, vous moquez vos détracteurs en publiant des réponses générées par une IA. Vos travaux passés ont changé la musique à tout jamais, chacun reconnait votre talent. Comment avez-vous pu en arriver là ?

    Timbaland présente TaTa, sa pop star entièrement générée par l’intelligence artificielle.

    Timbaland défend l’intelligence artificielle dans la création

    Face à une controverse qui enfle, Timbaland insiste, notamment auprès des médias Billboard et HipHopDX, sur sa démarche hybride. Des démos humaines passent dans le logiciel Suno pour générer la voix de TaTa, mélangeant éléments humains et algorithme. Oui, le musicien envisage de créer une star “vivante et autonome”.  Car l’intelligence artificielle offre une nouvelle palette, où l’émotion est transmise bien que filigranée par la machine.

    Le site spécialisé Technradar réplique aussitôt : “L’IA peut produire des hits, mais elle ne mobilisera jamais l’âme ni ne brisera le cœur.” Pire, c’est le fond même de la création humaine qui est sur le point de vaciller. Le style spontané, le raté créatif, l’erreur cathartique sont les pierres angulaires de l’art musical — ce qu’un algorithme calibré ne peut absolument pas offrir lorsqu’il vise la perfection.

    Sur le plan éthique, l’utilisation de voix synthétiques, parfois proches de celles d’artistes décédés (de Notorious B.I.G à Michael Jackson), interroge. Sommes-nous en train de créer des clones sonores sans consentement ni héritage moral ? À ce propos, les majors en plein affrontement judiciaire contre la plateforme Suno rappellent que la question du droit d’auteur demeure encore assez floue .

    Whatever Happens (2024). Une vidéo entièrement générée par intelligence artificielle qui utilise la voix de Michael Jackson.

    L’intelligence artificielle : impasse ou tournant majeur pour l’industrie musicale ?

    Pour le producteur de 53 ans, Stage Zero reste aussi un système économique. Un artiste IA ne coûte rien en tournée, ne vieillit pas, ne fait pas de caprices… Les singles peuvent inonder Spotify et TikTok, optimisés pour l’engagement millimétré. Quel est le prix à payer ? La musique devient une formule, un produit calibré.

    Timbaland ne vise donc ni plus ni moins qu’une révolution. Avec son A-pop, TaTa deviendrait la première icône  d’une pop sans racines biologiques . Mais d’autres y voient surtout la mise en péril de la diversité mélodique, de l’incertitude créative.

    À l’instar de ses productions passées – écartant les convenances –, Timbaland mise une fois encore sur le choc. Il incarne cette ambivalence propre aux génies disruptifs : vigoureux, visionnaire, imprévisible. Il relance ainsi le débat fondamental : la musique, art humain par essence, peut‑elle devenir purement algorithmique sans perdre son essence ?