Qui est Kareem Ali, le producteur qui réunit la house avec l’islam
96 morceaux, 7 albums et 13 EP en un peu plus d’un an. À seulement 26 ans, Kareem Ali est l’un des producteurs les plus prolifiques de sa génération. Ses morceaux “ambient”, à la frontière de la house, du jazz et du hip-hop semblent être habités par des inspirations cosmiques et par sa foi en l’islam.
Par Lucas Aubry.
Sorti le 16 mai dernier, l’EP Solar est déjà le onzième projet publié par Kareem Ali en 2020. Quelle étrange raison pousse le jeune musicien à être aussi productif ? Quelques mois avant la résurgence du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, Kareem Ali s’en prend violemment à la DJ Nina Kraviz sur Twitter. Un message assassin dans lequel il lui conseille de se montrer un peu plus respectueuse envers les Afro-américains, inventeurs de la techno et de la musique house. Mais que l’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas la haine qui anime le producteur installé à Phoenix, en Arizona. “L’important c’est les sentiments, l’amour et faire de la musique pour guérir les gens” confiait-il lors de l’une de ses rares interviews accordée au média sud-africain Meet Me Underground.
Sa mère, une chanteuse de formation classique diplômée de la prestigieuse High School of Music and Art de New York lui enseigne la musique très tôt. Dès l’âge de 10 ans, Kareem découvre la trompette et tombe sous le charme de Miles Davis, “sa principale source d’inspiration après Dieu”.
Si Nas, Gorillaz, Ella Fitzgerald ou encore Kanye West se disputent la troisième position c’est avec Herman Poole Blount aka Sun Ra que la filiation semble être la plus évidente. Kareem Ali partage avec celui qui raconte avoir été "enlevé par des extraterrestres pour lui assigner la mission de vaincre le chaos avec son art", un amour pour la philosophie cosmique et la nécessité de créer sans cesse. Le jeune producteur va devoir maintenir son rythme pour égaler le pharaon du free jazz américain, qui a sorti pas moins de 200 albums en 50 ans de carrière. 25 ans après sa disparition, son groupe, le mythique Sun Ra Arkestra vient de sortir un album mené par le saxophoniste Marshall Allen… 96 ans.
Kareem Ali est aussi un admirateur de la philosophie, bien réelle cette fois-ci, de la Nation of Islam, institution qui a accueilli Malcom X et Mohamed Ali dans les années 60. Si les discours communautaires prêchés le ministre Louis Farrakhan, dirigeant de l'organisation, suscitent régulièrement la polémique, ils insistent sur la nécessité pour les Afro-américains de faire des études, d’acquérir un capital socio-économique et de lutter contre la délinquance et l’usage des drogues. Entre deux posts diffusant la bonne parole de la Nation of Islam sur ses réseaux sociaux, Kareem Ali s'amuse à mêler ses instrumentales avec des sermons comparables prononcés par des personnages de film, comme "Furious" Styles dans Boyz N the Hood (1991) ou le professeur Butler dans Menace II Society (1993).
Avec les EP Future Black Music, Black Power, Black Advancement, Black Science, sortis en 2020, on comprend sa volonté de marquer ses compositions de l’empreinte des musiques issues de la culture noire américaine. Comme chez Moodymann, le légendaire compositeur de musique électronique originaire de Detroit, on retrouve des sonorités afro, jazz et hip-hop dans la house de Kareem Ali.
En véritable mission, le producteur est même allé plus loin en lançant son propre label, CosmoFlux Recordings en 2018. Un espace pour accompagner des artistes issus des communautés africaines et sud-américaines, que Kareem Ali ambitionne de transformer en véritable média. Une série de podcast est déjà disponible sur la plateforme SoundCloud.
Solar, de Kareem Ali (2020), disponible sur toutes les plateformes de streaming.